1. Les conditions du travail scolaire

1.1. Le cadre du travail scolaire et le suivi parental

Parmi les raisons régulièrement invoquées par les enquêtés pour justifier la baisse de leur travail scolaire figure en bonne place l’éloignement parental consécutif à l’intégration de l’internat du collège ou du Centre. Comme nous l’avons souligné854, la majorité des parents semble accorder, au moment de l’entrée en formation, une place prioritaire à la réussite scolaire et considère que la poursuite des deux cursus est compatible. De la même manière, pour les jeunes footballeurs de 13 à 18 ans interrogés en 1994, « quelles que soient les appartenances sociales, la moitié des parents affirment que la réussite sportive et scolaire sont compatibles et près de quatre sur dix déclarent la réussite scolaire plus importante que le succès sportif »855. Si les attentes scolaires parentales restent fortes, au moins les premières années, ce qui est en jeu ici, c'est la difficulté du contrôle et du suivi scolaire impliquée par la distance spatiale qu’introduit la formation pour une majorité d’apprentis. La contrainte extérieure directe ne peut plus, dans ces cas, s’exercer avec la même continuité et les joueurs peuvent, comme Olivier, expliquer la baisse de leur investissement par cette absence : « C'est pas facile quand… encore j’aurais été à la maison, ils auraient été derrière moi pour me faire faire mes devoirs. C'est pas facile au téléphone de… surtout quand, quand on est dans l’âge de l’adolescent, donc c'est encore plus dur pour eux ». « Y avait personne pour me suivre derrière » justifie lui aussi Lucas. L’évolution des conditions concrètes du travail scolaire fait que la poursuite des efforts repose davantage sur une contrainte intériorisée (autrement dit sur l’auto-contrainte scolaire et une disposition à l’effort scolaire) et sur l’intervention d’un encadrement de substitution. Or, pour les enquêtés hébergés à Lyon, les conditions collectives de travail mettent, en avançant dans le cursus, à rude épreuve leur éventuelle disposition à l’effort scolaire. Si à l’internat du collège des conditions sont réunies pour faciliter la mise au travail (« études » obligatoires, personnel de surveillance), la vie dans l’espace du Centre telle qu’ils la connaissent à partir de l’âge de 15 ans y est moins favorable. Les heures d’astreinte para-scolaire sont réduites, l’aide aux devoirs est facultative et restreinte et les lieux collectifs (comme la salle d’étude), voire individuels (chambres), offrent souvent des conditions de détournement du travail scolaire. Les plus disposés à l’étude regrettent alors le « bruit » (des pairs, de la télévision proche), le « bordel » qui ne facilite pas la concentration au travail. Lucas856 voit dans ces conditions une des raisons ayant accéléré son important déclin scolaire qui le conduit à se ré-orienter vers le lycée professionnel : « Après quand t’es au Centre… t’abandonnes un peu hein. On est trente à vivre ensemble et comment tu peux travailler ? Y en a toujours un qui rentre dans ta chambre. Franchement c'est dur dans le Centre de travailler, c'est vraiment dur ». Si tous ne se désinvestissent pas aussi nettement, il faut noter que le travail scolaire suppose souvent le repli dans les chambres (individuelles ou collectives) : « J’préfère être dans ma chambre parce que là y a toujours du bruit, puis y a la télé à côté, c'est le bordel. Quand j’ai besoin d’un coup de main, parce qu’on a des profs qui viennent le soir là, et donc quand j’ai besoin d’un coup de main, qu’il faut le prof, je monte ici, mais sinon… je me débrouille dans ma chambre » [Gabriel, en terminale STT]. L’auto-contrainte nécessaire pour mettre en œuvre cet isolement est d’autant plus difficile que le lieu facilite l’exercice d’une sociabilité entre pairs qui détourne des enjeux scolaires. Ces conditions de travail sont donc inséparables de la construction des relations entre joueurs qui offrent la tentation toujours renouvelée d’un divertissement. Les pairs interviennent également dans l’évolution du rapport à l’école en se faisant les relais de la réduction de l’attachement aux enjeux scolaires. Par une forme de socialisation horizontale, les enquêtés sont confrontés, notamment quand ils sont issus d’une famille à fort capitaux scolaires, à des pratiques scolaires différentes. C'est dans ce sens qu’il faut comprendre la surprise de Paul (élève de terminale ES et fils d’un enseignant et d’une psychologue) : « Très vite déjà quand on arrive en 4ème, 3ème, il y en a beaucoup qui… Moi j’étais un des rares qui, on était pas beaucoup qui était en 3ème… J’veux dire la plupart ils étaient nuls. Y en a qui voulaient déjà arrêter l’école, y en a qui… ça surprend un peu et c'est un peu… On a pas envie de faire pareil mais on voit les autres, l’école à cet âge on aime pas trop donc… donc j’ai un peu lâché mais sans plus quoi. » Comme lui, Stéphane857 voit ses fortes dispositions au travail scolaire mises à l’épreuve par son intégration à ce groupe de pairs : « En fait c'est bizarre, quand je suis ici, je suis pas comme quand je suis chez moi. Quand je suis chez moi, quand je suis ici, je fais plein de trucs que je me permettrais pas de faire chez moi quoi. / C'est-à-dire ? / Ben… Déjà quand je serai chez moi je ferai tous mes devoirs tandis que là mes devoirs je les fais… à la récré, je demande les devoirs à tout le monde. (…). Après je m’accroche, ça commence à être difficile, je commence à tomber dans le truc, tu travailles plus, tu travailles dans le bus, tu travailles entre les cours, quand tout le monde fait toi après, quand t’es fatigué, tu fais pareil hein. » Est à l’œuvre chez lui cette tension entre un ascétisme scolaire intériorisé (« j’étais un robot, je devais travailler pour avoir des bonnes notes et je donnais les bonnes notes à mes parents » dit-il à propos de son travail avant la formation) et une tendance au désengagement que renforce l’exemple des pairs. Cet « exemple » est d’autant plus prégnant que règne sur les bancs de l’école une tendance à la fermeture sur l’« entre-soi » sportif et que l’intégration au groupe de pairs constitue une ressource non-négligeable face aux exigences sélectives de la formation.

En fin de cursus (après 18 ans), l’accès à des appartements autonomes, restreignant encore le poids de la surveillance du travail scolaire, participe alors à l’accélération de ce désinvestissement global mais inégal. Il se traduit notamment par une hausse des absences scolaires lors de la classe de terminale858. Maxence, par exemple, reconnaît la baisse de l’assiduité en classe en terminale technologique : « Souvent y a de l’absentéisme le matin à l’école quoi. Le matin, les sportifs, c'est rare quand on est toute la classe, y a pas un matin depuis le début de l’année où on est toute la classe ». Enfin, l’évolution du rapport des parents à l’école autorise plus facilement l’arrêt des études et particulièrement une fois franchi l’obstacle du baccalauréat. Comme le soulignent J.M. Faure et C. Suaud, entre 18 et 22 ans, les attentes scolaires des parents déclinent assez largement : « La croyance dans la possibilité de réussir sur les deux fronts s’atténue, et l’objectif de la réussite sportive l’emporte, sauf chez les parents des classes moyennes qui continuent d’attendre davantage de l’école »859. A ce moment-là du parcours, ni les conditions autonomes d’existence ni les attentes de la plupart des parents ne soutiennent fortement l’engagement scolaire.

Si l’organisation et le suivi mis en place par le club peuvent favoriser le relatif maintien, pour la grande majorité des élèves, du travail scolaire lors de la préformation, la fin du cursus est marquée par un déclin plus sensible. L’éloignement parental, le poids de la vie collective puis l’autonomie en appartement deviennent des facteurs de baisse du travail scolaire parce qu’ils facilitent la mise à l’épreuve des dispositions scolaires par l’emprise des enjeux sportifs et autorisent une appropriation non-rentable scolairement des conditions concrètes de vie et de travail. Cependant, l’absence d’écart significatif dans les résultats entre les internes et ceux qui résident à leur domicile familial oblige à élargir la recherche des facteurs des désinvestissements scolaires.

Notes
854.

Cf. « L’exigence scolaire des parents », Partie I, p. 174.

855.

J-M. Faure, C. Suaud, Le football professionnel à la française, Op. Cit., p. 210

856.

Il entre en formation au Greta après l’obtention du BEP et malgré des résultats prometteurs avant l’entrée en formation (fils d’une employée et d’un père appartenant aux professions intermédiaires).

857.

Élève en première ES, il est le fils d’un chirurgien et d’une infirmière.

858.

Fondée sur un échantillon limité (11 cas de lycéens préparant un baccalauréat général ou technologique), la mesure de cette évolution est tout de même révélatrice : ils avaient été en moyenne absents à 17 reprises en classe de seconde (mesuré en demi-journées), ils l’ont été à 34 reprises pour la dernière année du cycle (terminale).

859.

J-M. Faure, C. Suaud, Le football professionnel à la française, Op. Cit., p. 211.