1. La sociabilité : entre pairs et « vrais amis »

1.1. Les pairs : une sociabilité centrale et sous contrainte

En entrant en formation, les apprentis intègrent un groupe de pairs qui est amené à occuper une place importante dans leur réseau de sociabilité. Les conditions et les contraintes de l’apprentissage, parce qu’elles impliquent une forte cohabitation, font des partenaires footballistiques des relations centrales. Leur vie quotidienne, soumise à des temps sportifs (entraînements, déplacements) et non-sportifs (repas, vie en internat) communs, offre un support central à cette sociabilité. De plus, leur scolarisation dans le même dispositif vient renforcer, comme nous l’avons souligné, l’intensité de cette cohabitation et freine la constitution d’une sociabilité parallèle. Enfin, l’adhésion au groupe de pairs est facilitée par la complicité que ne peut manquer de produire la proximité de leurs dispositions et le partage d’une identité commune. Recrutement et expériences socialisatrices similaires garantissent ainsi les chances pour les apprentis de nouer avec leurs pairs des affinités885. On a pu d’ailleurs noter que dans ce temps de cohabitation contrainte (qui s’impose particulièrement aux internes), les activités liées au football tiennent une place non-négligeable (aller voir les matchs professionnels ensemble, s’échanger la presse sportive, discuter de l’actualité, jouer à des jeux vidéo sportifs). Ces relations contribuent à l’appropriation du métier sportif et à l’absorption par les enjeux footballistiques. Il est alors possible de reprendre l’analyse de Bruno Papin au sujet des gymnastes, selon laquelle « en limitant l’aire sociale de fréquentations possibles, les centres de haut niveau contribuent à limiter les déviances possibles »886 et facilitent ainsi l’incorporation des contraintes de la profession par la limitation des espaces de la sociabilité extra-sportive. Les apprentis se rejoignent d’ailleurs pour dire qu’avec la formation, la place de ces « copains » extérieurs est allée en s’amenuisant : ils les voient moins souvent et ont perdu contact avec certains ; c'est le cas de Malek qui a réduit son implantation dans son quartier : « Avant quand j’étais petit j’sortais souvent après l’école. Je posais mon sac, bon les entraînements c'était deux, trois fois dans la semaine donc j’avais plus de temps, je posais mon sac je descendais. Et après voilà quoi, après ça a changé hein. On me voit moins, on me dit souvent “ouais on te voit plus et tout, t’es où ?” » [Malek, 17 ans, externe]. Cette évolution est d’ailleurs régulièrement décrite par les enquêtés comme un « sacrifice » nécessaire lié aux astreintes sportives (poids du temps contraint et déplacement géographique) et cela d’autant plus que l’on connaît l’importance des pratiques de sociabilité pour cette catégorie d’âge887.

Cependant, il faut souligner que l’étude de leurs pratiques de loisirs montre que les collègues de la formation y occupent une place d’autant plus centrale que les enquêtés sont internes. Les sorties des internes lors des temps libérés des contraintes (mercredi ou samedi après-midi par exemple) autour d’activités de détente (« aller en ville » pour faire du « shopping », aller voir les matchs professionnels) prolongent les activités faites au Centre avec les condisciples (télévision, jeux vidéo, etc.). Ces sorties sont donc faites quasi-exclusivement avec des partenaires du club. Cette tendance est beaucoup moins nette pour les joueurs externes parce qu’ils bénéficient d’un réseau de sociabilité parallèle. Pour ceux-là, la sociabilité entre pairs se prolonge plus rarement et leurs sorties sont moins dépendantes de ce réseau. Les temps libérés sont souvent l’occasion de retrouver des « amis » ou « copains » connus à l’extérieur du club. Leurs temps de sociabilité sont moins clivés que ceux des apprentis qui logent au Centre. Pour ces derniers, il existe une dichotomie forte entre le temps ordinaire et les périodes de vacances sportives (week-ends sans compétition, vacances) durant lesquelles ils retrouvent leurs relations extérieures et les fréquentent abondamment.

Pour les enquêtés, l’intégration au groupe de pairs donne donc aux partenaires une place centrale dans la sociabilité, notamment parce que leurs relations se prolongent à l’extérieur du Centre : au lycée, mais aussi dans le temps libre (surtout pour les internes). Cependant, ce constat ne donne qu’une vision partielle de la coexistence chez les apprentis de groupes d’affinités différents (les pairs et les « copains » extérieurs), comme le montre l’analyse de leurs jugements à l’égard de ces groupes.

Notes
885.

Sur ce point, on peut se référer à la partie « Affinités et complicité ».

886.

B. Papin, Sociologie d’une vocation sportive, Op. Cit., p. 357.

887.

Ainsi, 88 % des 15-19 ans déclarent avoir un groupe d’amis régulier [O. Donnat, Les pratiques culturelles des français, enquête 1997, Paris, La Documentation Française, 1998, p. 57]. De la même manière, « discuter avec des amis » est une pratique qui arrive en tête des pratiques les plus fréquemment déclarées par les 17-19 ans (par plus de 70 % d’entre eux) [« Les loisirs des 8-19 ans », Op. Cit., p. 5].