4.2. Deuxième tentative : la quête du sauveur

Nous avons considéré la figure du sauveur en tant que figure incantatoire pour le sujet ordalique.

Nous avons montré que la logique du sujet ordalique retrace une triple aliénation au jeu du sauveur :

Afin d’éclairer plus précisément les modalités de cette organisation, nous proposons une relecture du conte de Blanche-Neige de L. & W. Grimm (1812).

Le conte de Blanche Neige et le miroir menaçant :

‘« Il était une fois […], une reine qui était assise et cousait devant la fenêtre, qui avait un encadrement de bois d’ébène, noir et profond. Et tandis qu’elle cousait négligemment tout en regardant la belle neige au dehors,la reine se piqua le doigt avec son aiguille, et trois gouttes de sang tombèrent sur la neige. Et comme ce sang brillait si rouge dans la neige, la reine se dit en elle-même : si j’avais un enfant aussi blanc que cette neige, aussi rouge que ce sang, et aussi noir que cette bordure ! Peu de temps après, elle eut une petite fille blanche comme neige, rouge comme du sang et noire comme de l’ébène, ce qui fut cause qu’on la nomma Blanche Neige. Et dès que l’enfant fut né, la reine mourut….» (1967, p. 300).’

Le conte de Blanche Neige reprend la scène de l’engendrement de la reine et des vœux inconscients associés « elle se piqua le doigt avec son aiguille » et «si j’avais un enfant [….] ».

La formulation précise de ses souhaits assigne l’enfant à naître à une place prédéterminée.

Blanche Neige naît, fidèle aux attentes de sa mère qui meurt. L’impact de cette scène des origines rapte l’enfant et l’engloutit sous le poids écrasant de la figure de la mort.

Ainsi la scène de mort inaugurale crée une aspiration de type vampirique mettant en péril l’évolution psychique du sujet et son accès au registre spéculaire. Se joue là, en deçà du miroir, un drame des effets de collage à l’image d’une mère morte. La figure de cette mère morte évolue et mute en imago maternelle persécutrice. Un dédoublement s’opère sous hégémonie de l’image de la belle mère qui incarne cette mutation imagoïque. A partir de ce contexte mortifère, le conte présente le paradoxe afférent à la constitution de l’image de soi. Blanche Neige ne peut exister dans le miroir, ou plus précisément tant que le miroir ne réverbère pas son image, elle ne fait pas l’objet de menace de mort : ni vivante, ni morte.

Nous retrouvons ce thème dans le mythe de Narcisse qui méconnaît l’image que lui reflète la surface de l’eau.

Le destin de Blanche Neige est suspendu au fil du vampire, du sacrifice de soi. Elle ne peut exister qu’en tant que fille de sa mère, gardienne de la crypte. L’enjeu inhérent à l’existence de Blanche Neige se remobilise lorsqu’elle celle-ci grandit, tente de s’individuer. Son évolution est indissociablement liée au destin de sa belle mère.

‘« Miroir, gentil miroir, dis-moi, dans le royaume
Qui est la plus belle ?’

Et le miroir répondait :

‘« Vous êtes la plus belle du pays.
Elle était satisfaite, car elle savait que le miroir disait la vérité. »(p. 300).’

Nous retrouvons là le modèle des effets du vampirisme que nous avons dégagés à propos de la clinique de Moïse. L’organisation vampirique s’architecture sur l’édifice premier du sacrifice de l’être. Soit les images fusent, confuses jusqu’à constituer un nœud inextricable, et nous sommes sur le modèle d’une ambiguïté première, « d’un corps pour deux » J. Mac Dougall (1989), « d’une enveloppe commune » D. Anzieu (1996), ou nous sommes sur celui de l’implacable logique des origines, unitaire et exclusive : une des deux doit disparaître.

La belle mère, en tant que figure du dédoublement maternel, réactive l’impact de la malédiction et réclame vengeance :

‘« Emmène cette enfant dans la forêt, je ne veux plus voir son image devant mes yeux. Là, tu la tueras, puis tu m’apporteras son cœur comme signe de sa mort […].
Le cuisinier dut le faire cuire dans du sel, et la méchante femme le mangea, et elle crut avoir mangé le cœur de Blanche-Neige» (p.301).’

Le trouble que constitue l’image, transforme le regard de la belle mère en miroir vampirique, avide et insatiable, absorbant «sans limites» (P. Wilgovich, 1991).

D’une impossible objectalité, ce miroir sans tain attaque l’existence de l’être en ne prévoyant pas de place différenciée, pas de place pour une image de soi qui prend forme et sens dans le regard de l’autre.

‘« On découvre également des angoisses comme celles d’être vidé ou vampirisé, celle de sombrer dans le néant ou d’être écrasé par des forces surpuissantes. »(J. Mac Dougall, 1996, p.167).’

Nous arrivons là aux portes du monstrueux « du mauvais œil » tel que l’évoque le mythe de la Gorgone Méduse.

‘«Voir la Gorgone , c’est la regarder dans les yeux et, par le croisement des regards, cesser d’être soi-même, d’être vivant pour devenir comme elle, Puissance de mort » (J-P. Vernant, 1985, p.80).’

« Puissance de mort », retour de l’état premier ou nécessité de retrouvailles de l’objet premier, Blanche Neige est rattrapée par son destin. Du jeu machiavélique de sa belle mère, elle sombre dans un état léthargique à l’image de sa mère morte.

‘«L’opacité de la figure morte, interposée entraine la léthargie, la non-vie, l’évanescence du héros ou de l’héroïne, retenus captifs dans un autre monde, hors-là, ils demeurent non nés.» (P. Wilgovich, 1991, p.59).’

Ni vivante, ni morte, icône de l’imago morte, Blanche-Neige ne se décompose pas.

‘«Ils voulurent l’enterrer, mais elle paraissait encore fraîche comme une personne vivante, et elle avait encore ses joues rouges….
Ils firent dons construire un cercueil de verre transparent, afin que l’œil pût y voir de tous côtés….
Blanche Neige resta ainsi longtemps, longtemps dans le cercueil sans se putréfier… » (W. & J. Grimm, 1967, p. 302).’

Le temps se fige jusqu’au moment où le prince charmant, figure salvatrice, éradique le mauvais sort. Blanche Neige vivante, sort de son cercueil pour naître à la vie.

La relecture de ce conte à laquelle nous avons procédé, illustre les effets du vampirisme en tant que trouble de l’image de soi qui menace l’existence du sujet. Dès lors le vampirisé entreprend une quête désespérée de l’Autre idéalisé ou salvateur pour tenter d’exister.