4.3. Troisième tentative : à la recherche des traces vivantes

La quête de l’Autre et le retour vers la scène des origines organise le processus de localisation scénique de l’ordalie du contact. Nous considérons qu’il s’agit pour le sujet ordalique de rechercher ce modèle premier en tentant de le contrer. L’Autre, l’élu devient porteur de l’espoir du changement.

L’Autre aux reflets incertains, mirage de soi ou opérateur de changement, représente le destinataire imaginaire de la lutte qu’entreprend le sujet ordalique.

Convoqué implicitement et imaginairement par lui, l’Autre ne rend son verdict qu’au terme de l’épreuve ordalique. Issue ou leurre, nul ne peut augurer de l’impact du dénouement.

La réponse de l’Autre se lit aux travers des signes et des traces laissées par l’expérience.

De cette convocation, le sujet fait seul l’expérience de son corps, en délimite ses contours pour en écrire son histoire.

‘« Il existe des « textes » sans contexte qui demandent à être entendus autrement….Ces « actes » divers prennent en quelque sorte la place des mots et constituent ainsi une forme de communication primitive » (J. Mac Dougall, 1996, p.2000).’

L’histoire du sujet ne peut se lire qu’à travers son corps à défaut d’une autre possibilité de subjectivation. Le corps s’affirme en tant que « lieu d’une écriture originaire » (D. Anzieu, 1985), « un parchemin à déchiffrer » (M. Mevite, P. Planche, 1998).

La psyché, engluée sous l’impact de l’Autre, se trouve altérée dans sa capacité à lier et relier la survenue des évènements, à l’histoire passée. Dès lors l’absence de reflet premier d’un miroir aveugle contraint le sujet à opérer un retournement sur le corps pour tenter de se localiser en tant que sujet vivant et traversant l’expérience.

La question existentielle64 du sujet ordalique ne trouve réponse qu’à travers son corps, s’affirmant ainsi comme surface de lecture.

Où suis-je ? dans le royaume des morts ? des vivants ?.

Suis-je né ?

Ce questionnement inscrit l’essentiel des préoccupations du sujet vampirisé qui somme l’Autre de répondre aux travers le miroir de son corps.

Mort ?

Le corps permet de localiser l’angoisse de mort pour libérer l’espace psychique des effets de mort.

Eprouver la mort, c’est sortir des effets de mort psychique qui sidèrent les capacités représentatives du sujet.

Vivant ?

Si le corps saigne, souffre, il vit, légitimé dans son existence.

Né ?

C’est le corps qui doit naitre, et prouver son existence au sujet.

L’histoire du sujet ordalique se lit sur son corps à l’aide des traces, vestiges, cicatrices, stigmates même du franchissement de l’épreuve, tout autant de marques qui constituent un appui de construction historique.

Moïse brandit ses mains, Calypso a placé un piercing brillant à l’endroit de sa cicatrice et refait l’histoire de son accident, Pénélope décrit ses tentatives de suicides en reparcourant le trajet laissé par les scarifications.

Idées forces :

Les fragilités narcissiques du sujet ordalique sont entachées par les traces hémorragiques entées sur les blessures narcissiques parentales. Emerge alors un fonctionnement psychique que nous avons éclairé à partir du complexe vampirique en tant que celui-ci est basé sur le déni de la naissance, de la mortalité, sur l’infanticide et le matricide – parricide.

Il s’ensuit une nécessité pour le sujet de tenter d’en neutraliser les effets par la quête de l’Autre salvateur, sollicité au terme de l’épreuve ordalique. Le verdict rendu inscrit sur le miroir de la peau la trace de l’existence du sujet.

Le rapport essentiel à la trace inscrite sur le corps, met en lumière la question de la trace première que ces sujets ont peu ou prou laissée dans la psyché maternelle et ou familiale.

Trace de soi dans l’Autre, avant d’être trace de soi pour soi, constitue l’écueil du sujet ordalique-vampirisé. Nous accordons à cette question une attention particulière car elle se situe au centre de la rencontre avec ces sujets dans une dynamique transféro-contretransférentielle.

Moïse oublie tous nos rendez-vous. Le dispositif intégrant le double émissaire (épistolaire et éducatif)65 a permis à Moïse d’être accompagné dans ce travail psychothérapique.

L’éducateur de Moïse lui téléphone systématiquement en début de matinée pour lui servir d’aide mémoire, de marqueurs temporels.

Moïse rejoue les affres de l’oubli dans la relation transférentielle. Ce n’est qu’après plusieurs loupés qu’il propose à son éducateur d’endosser ce rôle d’aide-mémoire.

La figure de l’oubli d’emblée convoquée, nous invite à exploiter le lien de subordination qui existe entre l’absence de trace et la dimension de survie afin de dégager le modèle de l’iconoclastie vampirique.

Notes
64.

Nous avons laconiquement résumé la question existentielle du sujet ordalique en terme de : Suis-je mort ou vivant? Est-ce moi ou l’autre ?

65.

Nous avons développé l’importance d’un dispositif intégrant le double émissaire.