4.4.2. Le rapport à la survivance

L’iconoclastie vampirique ébranle le sujet qui interroge inlassablement à l’aide de son corps, le miroir de l’autre. Il multiplie les tentatives agies afin de symboliser l’effet d’emprise de ce lien originaire. Il convoque la scène au sein de laquelle se jouent et se rejouent les traces-restes traumatiques tel que nous l’avons défini dans le travail du traumatique, et aussi les traces-restes de vécu d’ambiguïté. Le corps exposé part au combat et reprend les traces premières « symboles mnésiques corporels » S. Férenzci, (1974) dans un essai de transformation de « la trace mnésique perceptive» en une trace mnésique « conceptuelle » R. Roussillon, (2003).

Nous restons dans le champ de la symbolisation primaire qui tente d’opérer une transformation de l’originaire en tant que témoin de l’absence de trace.

Les traces susceptibles d’être symbolisées sont à comprendre du côté de leur absence, de l’effacement, de l’oubli, ainsi que la clinique du blanc, et du vide le révèle. En d’autres termes, il s’agit pour le sujet ordalique-vampirisé, « d’aller se faire voir » pour se sentir vu, à l’instar de la collecte de traces entreprise par lui et qui constitue la preuve intangible de l’existence de quelque chose ou quelqu’un.

Cependant face à l’enjeu du travail de symbolisation, le sujet sur-vit.

Il survit de la négation de son existence « il n’aurait pas dû naître » dixit la mère de Moïse. Désubjectivé par un objet désubjectivant, il survit à l’iconoclastie vampirique, à l’infanticide et au matricide/parricide.

Bien que l’interminable question d’être ou ne pas naître résonne de manière lancinante dans les profondeurs de lui-même, le sujet a survécu aux épreuves de vie et s’en inflige d’autres afin de se relier aux précédentes. Provoquée, recherchée, implorée, la preuve par le corps n’a valeur d’inscription que si elle est référée au risque mortel. Le miroir infaillible, permanent, et irrévocable du destin du jugement de dieu se fait jour et réverbère en retour la trace de l’événement, du risque létal et de la présence héroïque du sujet.

« Survivre à une épreuve à tonalité ordalique a valeur de garantie » (D. Le Breton, 2000, p.172).

Dès lors, la survie corporelle à l’épreuve ordalique organise le principe de survie psychique et la fantasmatique de survivance associée.

La définition du verbe survivre est intéressante à souligner.

Survivre : « demeurer en vie après la mort de quelqu’un, après la disparition de quelque chose.

Résister à ce qui pourrait entraîner une disparition, rester en vie après un évènement qui a entraîné la mort » (Dictionnaire Hachette, 1992).

Cette définition scande deux idées capitales sur lesquelles se bâtit l’architecture du survivant.

Il s’agit pour lui de « résister » et de « demeurer » face aux enjeux de l’iconoclastie.

Autrement dit, le principe de survie va opérer un retournement de l’inconstance de l’objet à la constance du sujet. Il récupère en négatif les caractéristiques de l’objet et se les attribue en positif.

La survie provoque une sensation de puissance, d’indestructibilité liée à sa capacité de résistance et une sensation héroïque, d’élection puisqu’il reste en vie alors que d’autres seraient morts.

L’opération de retournement permet ainsi au sujet de s’attribuer les manques de l’objet par inversement en son contraire. Il devient constant et survit à la destructivité.

C’est pourquoi, un sentiment d’être à part habite les sujets dits ordaliques que nous avons rencontrés.

« J’ai tout vécu, et rien de plus grave ne peut m’arriver » Liriopé.

« Je serai là-haut, je volerais dans le ciel » Moïse.

« Je me suis fait tatouer indestructible » Achille.

« Je suis plus forte que la mort » Pénélope.

Le sujet a la certitude d’être à part, pas comme les autres, exceptionnel.

Ce statut d’être à part, nous l’interprétons du côté des effets de la survie chez le sujet ordalique.