Une perspective de prise en charge des adolescents dits ordaliques.

Nous mettons un terme à ce travail en réintroduisant notre rapport à la clinique et aux soins psychiques de ces sujets. Pour cela, nous réaffirmons notre engagement, par l’utilisation du « je ».

Le passage par la scène ordalique constitue une entr’ouverture psychique qui m’a amenée à proposer la métaphore de fenêtre météo, pour illustrer le champ des possibles. Cependant la problématique de ces sujets rend compte d’un degré d’inventivité pour tenter de les approcher. Ils fréquentent peu, les cabinets de psychothérapie, et souvent ne bénéficient pas d’un étayage familial suffisant. La crise adolescente n’est pas sans effet sur leur famille et se fait l’écho de leur propre crise identitaire narcissique.

L’entrée vers l’âge adulte s’effectue généralement pour eux, dans la distance avec elle :

Rares sont ceux qui supportent de consulter un psychiste en présence d’un membre de leur famille.

Encore plus rares, sont les familles qui se mobilisent pour un travail psychique commun.

Le dispositif psychothérapique fonctionnant seulement sur l’engagement du sujet est voué à disparaître.

Toutefois, ces jeunes gens, nous convoquent à leur endroit, à l’endroit de cette utile distance, au regard du travail de remaniement qu’ils tentent d’effectuer.

L’exposition de leur corps, la traversée de la scène ordalique nécessitent un destinataire, un dépositaire et un investissement à plusieurs, afin de favoriser l’après-coup du travail scénique.

L’apprivoisement de ces sujets constitue un pré-requis nécessaire à la mise en place d’un quelconque dispositif de soin. Aussi, cette approche transite avant tout, par la préoccupation des adultes qui les accompagnent, par leur capacité à établir des liens, à supporter les mouvements que ces jeunes destinent, et à tenir dans le temps.

Le dispositif institutionnel que nous avons expérimenté, peut sous certaines conditions, faciliter le portage, l’étayage et l’investissement du travail psychothérapique. Mais c’est au prix d’une mobilisation des intervenants (éducateurs, psychologues, chef de service…) et de la manière dont chacun s’engage dans sa pratique et en lien avec les autres.

Je rencontre souvent ces jeunes gens par le truchement de leur référent éducatif, qui endosse le rôle d’émissaire privilégié.

Lorsque l’investissement à plusieurs voix se met en place, le psychiste est inéluctablement confronté à l’épreuve de la séduction tempérée.

Il s’agit alors, d’être suffisamment intéressant pour éveiller une forme de curiosité et d’espoir susceptible de limiter la menace d’intrusion.

Demeurer, à l’aide de sa créativité et sa croyance dans la relation transférentielle, constitue un passage obligé pour penser un dispositif de mise en travail des fragments psychiques diffractés.

L’expérience du dispositif graphique a constitué un maillon essentiel pouvant rassembler, lier et susciter un intérêt auprès de ces adolescents acceptant cette «épreuve », en marquant par leur trace cette primo-rencontre.

Reste, à déplier un dispositif de soin en l’adaptant aux potentialités de chacun.

La médiation par un conte, ou une histoire à co-construire, ou le dispositif de type face à face… , sont autant de potentialités susceptibles d’accompagner le travail de symbolisation du sujet, à condition qu’il soit investi, à la périphérie par un ou plusieurs adultes se souciant de lui.

C’est souvent un travail qui engage un principe de non disparition au long court.

Le travail psychothérapique comporte détour et surprise. Il se rythme au son des difficultés de ces sujets à tolérer peu ou prou, un investissement. Parfois il devient cyclique, ils viennent régulièrement pendant un temps, ou revêt la forme d’une régularité. Mais le plus fréquemment, il emprunte la voie de la discontinuité soutenue et se déroule sur une ou plusieurs années, au gré des absences-présences qui en constituent l’étoffe.

Il est à souligner que lors de cet engagement psychothérapique même ténu, ces sujets ne se mettent plus en danger.

Le travail psychique semble opérer par diffraction. Chaque interlocuteur devient dépositaire d’une part, à tolérer y compris dans le heurt qu’elle fait vivre. Il est important de travailler dans l’après-coup en équipe pour entrevoir du sens et conserver la confiance dans le rôle que ces grands adolescents ont besoin de nous faire jouer, tant nous incarnons tour à tour des fragments de leur théâtre interne.

Pour ma part, j’ai souvent eu besoin, lors de moments de découragement, de me rappeler les préceptes de D. Winnicott.

Mes travaux m’ont aidée également, à comprendre, pour mieux résister.

Je concède l’indéfectible de ma croyance. Même douloureux et à vif, le contre-transfert est vital. Il me paraît capital qu’il puisse rester vivant et créatif afin de soutenir la part vivante du sujet et faire trace.