1. 4. Les livres religieux : les genres

Témoin de la culture religieuse, le livre, qu’il soit lui-même de spiritualité ou non, révèle également les inflexions et les débats de la société religieuse, travaillée de l’intérieur par l’esprit de la pratique de la controverse, soumise à la mise en oeuvre d’actions de réformation.

Il existe une très grande diversité de genres dans le livre religieux.Nous pouvons distinguer trois grands domaines. Un tiers environ des titres est formé de livres d’un usage courant, dont les tirages sont généralement élevés, mais sur lesquels l’autorité épiscopale exerce une attentive et efficace surveillance : paroissiens et autres livres liturgiques, recueils de prière et de cantiques, catéchismes et « histoire sainte », etc. Un peu plus d’un tiers est destiné à soutenir la vie spirituelle des chrétiens, sous le nom de « méditations », « exercices », etc. ou sous la forme d’une masse impressionnante de vies de saints et autres biographies, dont l’intention reste plus édifiante qu’historique. Un « petit » tiers enfin consiste en publications de caractère doctrinal : travaux théologiques, ouvrages de pastorale ou de catéchèse, écrits apologétiques.

Au début du XIV ème et au XV ème siècles, du fait de l’incapacité des laïcs à comprendre le latin, un certain nombre de livres proposèrent des traductions en langue vulgaire. Ces livres portatifs, furent lus silencieusement par les fidèles lors des cérémonies religieuses et spécialement pendant la messe, ce qui transforma profondément la relation entre les officiants et les fidèles. La messe devint ainsi l’affaire des prêtres seuls dont les laïcs, mais aussi les membres des ordres religieux sont éloignés par leur incapacité à comprendre le latin. Pour palier à l’incompréhension des prières orales, la pratique des prières privées, récitées à voix basse, durant la messe s’est développée, particulièrement pendant l’élévation.

S’agissant des livres hagiographiques ou livres destinés à raconter la vie des saints, la tradition rapporte qu’ils avaient une valeur thaumaturgique. Le fait de considérer comme vrai ce qui était raconté de la vie d’un saint, poussait le lecteur à lui faire confiance et à s’y attacher dans la perspective de recevoir les grâces divines comme celles décrites à travers sa vie. Il y a donc un lien entre livre (livret) et Ecriture qui explique les effets thaumaturgiques du texte hagiographique51. Dans ce contexte, le livre et notamment le livret hagiographique est considéré comme un objet sacré qu’on manipule. Il s’apparente à l’objet de culte, possédé communautairement et doté d’un pouvoir sacré, mais aussi au matériel de dévotion, prolongement individuel de l’activité cultuelle et marque d’une pratique religieuse : il prend place parmi les médailles, les images pieuses, les souvenirs de pèlerinage ; il signale, rappelle, évoque une pratique passée ou régulière, un vœu ; il fait partie des guides spirituels, aux côtés des bréviaires, missels et livres d’heures.52

La décennie 1880–1890 effectue une rupture plus décisive encore avec le passé. Depuis le début du siècle, on continuait à rééditer très fréquemment maints auteurs religieux des siècles passés, en particulier les Jésuites des XVII ème et XVIII ème siècles. Soudain cette pratique tombe en désuétude, comme si se rompaient des liens, longtemps demeurés très étroits, avec le catholicisme post-tridentin. La voie est libre pour « autre chose », et c’est peut-être ce qu’annoncent, au même moment, les premiers signes, très tenus, d’un regain d’intérêt pour la mystique.

A la lecture des chiffres, l’on peut constater une nette différence entre l’édition savante (théologique, texte de la tradition chrétienne) et les œuvres de piété et d’apologétique. L’édition religieuse apparaît comme une édition populaire. Peu d’œuvres comblent l’écart entre le nombre restreint des travaux de qualité universitaire et la pléthore d’ouvrages édifiants. Entre les deux se trouve une France moyenne dont les aspirations spirituelles, surtout celles des hommes, sont mal nourries par les auteurs. L’édition religieuse se modifie depuis les années soixante-dix avec le développement des cercles d’études bibliques et théologiques et la licence théologique rendue accessible aux laïcs. Des ouvrages de bonne tenue théologique, et pas uniquement de la piété, sont maintenant offerts à un grand public cultivé mais non spécialiste53.

Concluons, en disant que le livre a connu plusieurs étapes avant de pouvoir acquérir sa forme définitive et de jouer véritablement son rôle d’agora intellectuel dans la société et au sein de l’Eglise catholique. Aujourd’hui encore, il continue d’être un auxiliaire de la foi et une aide dans la compréhension de l’Evangile. Mais évoquer seulement leslivres et l’imprimerie sans tenir compte des pratiques de lecture très différentes qui se sont succédées dans l'histoire nous donnerait une vision très limitée, d’autant plus que la manière de lire a également de l’influence sur la spiritualité et donc sur la foi du lecteur.

Notes
51.

A. Boureau, Adorations et dévorations franciscaines. Enjeux et usages des livrets hagiographiques, dans « Les usages de l’imprimé », p. 27. Sur l’usage thaumaturgique du livre hagiographique, nous recommandons la lecture de ce texte.

52.

A.Boureau, Idem, p. 29- 30.

53.

M. Albaric, Art. Cit., p. 295- 296.