2.5. La Réforme de Calvin

En mars 1536 paraît à Bâle un gros ouvrage en latin : Christianae religionis Institutio, dédié au roi de France. Son auteur : un jeune clerc déjà connu, qui souhaite clarifier les positions réformées et donner aux fidèles une interprétation vraie des Ecritures. En effet, Calvin a fait des études de droit, avant de se passionner pour l’Humanisme. Sa première oeuvre est un commentaire de Sénèque (1532) où il cherche les correspondances entre stoïcisme et christianisme. Installé à Paris, familier du collège royal, il adopte les idées réformistes à la suite d’une « conversion subite ».

Après les rapides progrès des idées évangéliques, accueillies favorablement dans les milieux où l’exigence religieuse était la plus forte, une certaine confusion régnait. En Allemagne du Nord et en Scandinavie, le luthéranisme, en se transformant en institution d’Etat, avait perdu de son dynamisme. Par ailleurs les conflits politiques entre princes protestants et princes catholiques entraînaient une regrettable confusion du spirituel et du temporel.

Porte-parole de Luther dans les diètes et les colloques où la mise au ban de 1521 interdisait au réformateur de paraître en personne, Melanchton, mu par le désir de réconcilier les chrétiens, acceptait de passer sous silence les points de divergence. A Ratisbonne, en 1541, Melanchton s’accorde avec le légat Contarini sur la justification en acceptant « le synergisme » (participation du chrétien à son salut par ses oeuvres). De leur côté les sacramentaires se divisaient : certains dont Bucer, acceptait la doctrine luthérienne sur l’Eucharistie (compromis de Wittenberg, 1536), d’autres restaient fidèles au symbolisme de Zwingli. Mais beaucoup de fidèles trouvaient cette religion intellectualisée, un peu abstraite, incapable de satisfaire les besoins spirituels. Un français, Guillaume Farel (1498-1565), ancien disciple de Lefebvre d’Etaples, cherchait une voie nouvelle et prêchait à Neufchâtel puis à Genève une version du luthéranisme qui laissait une grande place à l’assemblée des fidèles dans la définition de la foi commune et le choix des pasteurs. Il put entraîner les autorités de Genève qui décidèrent de « vivre selon l’Evangile et la Parole de Dieu ». Et c’est lui qui demande à Calvin, en route pour Strasbourg, de s’arrêter dans la ville et de l’aider à y construire l’Eglise.

Calvin est le second nom de la Réforme. En juillet 1936, Jean Calvin fait étape à Genève. Auteur déjà célèbre de l’Institution chrétienne, l’une des grandes œuvres théologiques du christianisme, il est retenu par Guillaume Farel pour l’aider à consolider la Réforme et à transformer Genève en une cité vivant selon l’Evangile. Calvin fera la gloire de Genève en l’élevant au rang de « Rome protestante ». Son action fut immense et s’étendit à tous les domaines : religion, culture, politique, économique. Son génie est tel que les magistrats recourent à ses lumières à tout propos. Il rédige pour l’essentiel les Edits civils de 1543, qui servent de constitution à la République, tâche à laquelle sa formation de juriste le rend mieux apte que les membres du gouvernement, dont aucun n’a fait d’études universitaires. En 1541, il avait déjà composé les ordonnances ecclésiastiques, lois constitutives de l’Eglise. Ainsi, tant dans le domaine religieux que dans le domaine politique, Calvin fut le législateur de la Genève de l’Ancien régime.

Jusqu’en 1555, Jean Calvin rencontra des adversaires farouches. Il ne s’agit pas de catholiques, car il n’y en a plus ou encore ils se cachent. Ce sont plutôt des familles notables qui avaient été parmi les premières à se servir et les plus empressées à accueillir le réformateur. Elles le rejetteront peu à peu.

Leur animosité provient d’abord de la place que Calvin fixe à l’Eglise et à ses représentants, les pasteurs. Alors que dans les autres cantons gagnés par la Réforme, l’Eglise entre dans la dépendance de l’Etat, Calvin veut instituer un équilibre entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir politique.

En outre, il lutte pour une discipline de vie sévère en associant moralité et religion. Les mœurs doivent être surveillés de près, le luxe réprimé. Un tribunal, le consistoire, comprenant des pasteurs et des laïcs, est chargé de punir les infractions.

Bref, Calvin, contrairement à Luther, s’intéresse de près à la diffusion de la Réforme dans le monde séculier. A Genève, il s’efforce d’établir politiquement et socialement une « véritable théocratie », pleine d’originalité, créatrice d’un certain type de civilisation, mais aussi très juridique et très autoritaire. C’est un peu ce que l’on retrouve aujourd’hui dans certains pays musulmans, où il n’y a pratiquement pas de frontière entre religion et politique.

Calvin est parti de la nécessité de donner à la Réforme un corps de doctrine logique, tirant toutes les conclusions des premières affirmations fondamentales de Luther : l’impuissance de l’homme, la gratuité du salut, le primat absolu de la foi. Son oeuvre qui intègre les différents courants antérieurs, frappe par sa clarté didactique, la rigueur du raisonnement, la solidité des références scripturaires. La base de tout l’édifice est l’opposition de « la transcendance divine » et de la « malignité humaine ». Le Dieu de Calvin est vraiment le Tout-puissant, l’inconnaissable (Calvin reste à ce niveau occamien), dont on ne peut discuter les volontés. Pour Luther, la volonté humaine ne pouvait que faire le mal, pour Calvin, elle ne veut que le mal et sa responsabilité est entière. La raison humaine elle aussi, est « pervertie », elle est incapable de « tenir le droit chemin pour chercher la Vérité ». La Grâce est un don gratuit.

« Dieu nous parle par l’Ecriture ». Comme pour tous les Réformés, Calvin pose la primauté de l’Ecriture qui contient tout ce que Dieu veut nous faire connaître. Mais il accorde une importance particulière à l’Ancien Testament et rejette toutes les traditions humaines.

« Dieu nous justifie par sa grâce ». Pour Calvin comme pour Luther, la foi est un pur don de Dieu, elle est fondée sur le sacrifice parfait du Christ, dont la Résurrection est témoignage de vérité. Le salut reste gratuit, car notre nature demeure irrémédiablement encline au péché, même après l’infusion de la grâce. Dieu prédestine au salut sans que nous puissions avoir aucune certitude, ni aucune curiosité.

« Dieu nous aide par son Eglise ». La véritable Eglise, connue seulement de Dieu, est celle des rachetés, mais l’Eglise terrestre a été instituée pour consoler les fidèles. Prières, culte, sacrements sont autant de moyens de rendre grâce, d’adorer la toute-puissance divine, de manifester notre confiant abandon, de mieux vivre de la vie de la foi.

S’il n’y a pas de sacerdoce au sens catholique du terme, il y a des ministères, dons de l’Esprit-Saint. Calvin en distingue quatre : ministère de la Parole et des sacrements (pasteurs, élus par leurs semblables, approuvés par le Magistrat et la communauté), ministère doctrinal (docteurs formés à cet effet, qui précisent l’interprétation de l’Ecriture), ministère de la charité (diacres qui doivent « recevoir, dispenser et conserver le bien des pauvres, soigner et panser les malades, administrer la pitance des pauvres »), ministère de la correction (anciens formant avec les pasteurs le Consistoire, qui veille sur la vie des fidèles, les admoneste et les punit).

« Les sacrements » sont institués par Dieu pour donner au fidèle la force de persévérer dans la foi et la confiance dans leur élection, déjà manifestée par le don de celle-ci. Ils sont autre chose qu’une simple commémoration (Calvin est ici plus proche de Luther), mais ils n’agissent que si la foi est présente au coeur du fidèle (à l’inverse de la doctrine catholique, pour laquelle ils opèrent par leur propre force, « ex opere operato »). Calvin ne retient que deux sacrements, le baptême, qui « nous a été donné de Dieu, premièrement pour servir à notre foi envers lui, secondement pour servir à notre confession envers les hommes », et la Cène, qui nous est donnée comme aliment spirituel, de même que le Père nous donne les biens matériels nécessaires au corps.

La position de Calvin sur le problème central de l’Eucharistie, qui avait profondément opposé les disciples de Luther et de ceux de Zwingli, est originale. Comme Zwingli, il répugne à l’ubiquité matérielle du corps du Christ : assis à la droite du Père, il ne peut être présent localement dans le pain et le vin. Mais à l’instar de Luther, il accepte comme vérité la formule évangélique : « ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Dans la cène, « nous sommes faits participants de la propre substance du corps et du sang de Jésus-Christ », mais cette participation est purement spirituelle, les espèces du pain et du vin ayant pour rôle de « signer et confirmer cette promesse par laquelle Jésus-Christ nous dit que sa chair est vraiment viande et son sang breuvage desquels nous sommes repus à la vie éternelle ». Cette communion, par le mystère de l’Esprit-Saint, permet au fidèle de recevoir réellement non pas le corps au sens matériel, mais la nature humaine du Christ, avec sa force et ses dons surnaturels qui se substituent à notre débilité.

Présence spirituelle, dont on se souviendra que pour les hommes du XVI ème siècle, elle est infiniment plus « réelle » que la matérialité des accidents. Calvin dépasse ainsi la dispute entre Rome, les luthériens et les sacramentaires, qui s’attachaient aux éléments matériels du sacrement, pour ne considérer que de la communion établie entre le Christ et le fidèle par la réception de la Cène. Il recommande de recevoir souvent cette nourriture de l’âme, sans se soucier d’une indignité qui est la condition même de l’homme, avec confiance et désir de vivre mieux. Seule l’Eglise peut décider d’interdire l’accès du sacrement aux fidèles.

La doctrine de Calvin sera suivie par quelque mouvement d’obédience catholique, en l’occurrence le Jansénisme. Bien que faisant partie de la réforme catholique (française), le Jansénisme enseigne que l’homme est totalement déchu par suite du péché originel, il tend vers le Mal de façon naturelle. Les jansénistes exigent de leurs pénitents, une contribution parfaite pour leur donner absolution. On retrouve ici, l’idéal d’intransigeance de Calvin, dans la pratique de la foi.