2. 6. La Réforme, fille de l’imprimé

Avant l’imprimerie, la Réforme n’eut été qu’un schisme. L’imprimerie a fait d’elle une révolution. Que ce soit fatal ou providentiel, Gutenberg est le précurseur de Luther. L’imprimerie a favorisé l’expansion et l’ancrage du message des Réformateurs au sein de la population. Selon, Henri Jean Martin l’imprimerie, comme tous les médias, a favorisé par son dynamisme interne, l’essor de la Réforme, qui amenait les lettrés à commenter, devant des cercles d’illettrés, « l’Ecrit », source de vérité et suscita encore, en sa phase conquérante, l’affiche, la caricature et le pamphlet - ces armes primitives de la publicité moderne. L’affiche et le placard imprimés ont servi à donner les informations concernant l’actualité. C’est bien souvent grâce à eux que le public est informé de l’action des Réformateurs, des controverses qu’ils soutiennent, des progrès de l’hérésie, des mesures prises pour la combattre109.

Luther a compris très tôt l’importance de ce nouvel instrument de communication pour faire connaître ses idées. Pour Frédéric Barbier, ce sont les Réformateurs luthériens qui, à partir de 1517, sont le plus attachés à la propagation de l’imprimé – parce qu’il assure le succès de la Réforme.

Enraciné dans les hérésies médiévales et dans l’humanisme chrétien, le mouvement réformateur s’étend rapidement en Europe. L’imprimerie favorise la diffusion des principaux écrits de ses animateurs ; la Réforme, née de l’espace germanophone, ne s’arrête pas aux frontières linguistiques. Au début de la seconde moitié du XVI ème siècle, l’unité de la chrétienté occidentale est durablement brisée : la paix d’Augsbourg (1555) marque l’acceptation de la division confessionnelle de l’Empire germanique. L’Anglicanisme triomphe outre-Manche à partir de 1558, et le presbytérianisme en Ecosse en 1560. En France, la présence d’une minorité active de protestants conduit aux « guerres de religions » (1562-1598). Ce pluralisme conflictuel des religions constitue un élément déterminant de la modernité occidentale.

L’imprimerie, a été un préalable à l’érudition et à la science moderne. On peut citer : les domaines de la publication des documents, la standardisation des textes, la réorganisation des textes et des ouvrages de référence, le changement dans le processus de collecte et de diffusion des informations, la révolution dans la conservation des données, la persistance des stéréotypes et des divisions sociolinguistiques,...

Avec la publication de la Bible en langue vulgaire, chaque individu peut s’occuper de son salut en lisant les écritures. Désormais le curé ne joue plus le rôle central pour ce qui concerne le salut individuel. Toute personne peut, s’il le désire, lire et approfondir sa connaissance de la Bible. Celle-ci n’est plus, grâce à l’imprimerie, la propriété de l’Eglise. Ceux qui souhaitent peuvent se la procurer. L’explication de la Bible par quelqu’un d’autre, fut-il prêtre, n’est plus indispensable. D’où le développement des églises domestiques, les membres d’une même famille se retrouvent pour lire, partager, méditer la Bible et prier ensemble. On assiste pour ainsi dire à l’affaiblissement de l’autorité de l’Eglise instituée, qui n’arrive plus à contrôler, canaliser, encadrer et jouer le rôle de « garante » universelle de la foi. Chaque individu se fait son opinion.

La « Sola fide », proclamée par Luther, répond mieux à l’individualisme qui caractérise l’homme dans sa recherche de salut. Elle répond également à l’exigence même de l’imprimé qui, selon Mc Luhan, a créé l’individualisme. Avec l’imprimerie et la Réforme, l’homme expérimente la « religion individualiste ». Le salut devient une affaire strictement privée. On retrouve ici les prémisses d’un laïcat engagé qui aboutit à la Révolution française à faire de la religion une affaire privée, avec la proclamation de la loi de 1905.

En mettant la Bible à la disposition de tous indistinctement, la Réforme instaure une distance entre l’Eglise et les fidèles ou encore entre l’Eglise et les chercheurs de spiritualité. En effet, de nombreux croyants reconnaissent dans les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament une parole qui fait autorité pour comprendre qui est Dieu, quel est le sens de la vie humaine, quelle est la place de l’homme et de la femme dans le monde, quelle est la finalité de l’histoire. Avec l’imprimerie et la Réforme, la trilogie Dieu - Eglise – Homme devient, Dieu- Bible – Homme.

On peut dire que l’imprimerie et la Réforme sont à la base du principe de « la liberté de conscience » votée en France en 1801 et tardivement reconnue par l’Eglise catholique en 1965. Avec la Bible, la vérité est à la portée de tous.

Pour clore ce point, disons que la Réforme et la Renaissance sont tout entières filles de l’imprimé. Grâce à l’imprimerie, Luther fut à même de marquer la mentalité européenne d’une empreinte précise, uniforme et indélébile. Pour la première fois dans l’histoire des hommes, un vaste public de lecteurs a pu juger de la validité d’idées révolutionnaires grâce à un mode de communication s’adressant à la masse qui utilisait les langues vernaculaires110.

Selon Mc Luhan, c’est l’imprimé, forme intense d’expression publique, et son uniformité précise et répétée, qui donnent tant au livre qu’à la presse leur caractère spécial de confessionnal public.Comme le fait remarquer Elisabeth Eisenstein, « l’imprimerie a révolutionné au XVI ème siècle le travail scientifique et le rapport à la religion »111.

Si la Réforme a profité de l’imprimerie pour s’étendre et s’incruster dans l’opinion, la Contre-Réforme, elle non plus ne s’est pas fait sans elle.

Notes
109.

L. Febvre et H- J Martin, Op. Cit., p. 404.

110.

Debray, R., Cours de médiologie générale, édit., Gallimard, Paris, 1991, p. 369.

111.

E. Eisenstein, Op. Cit., p. 4.