2. 7. La Contre-Réforme catholique

L’Eglise catholique romaine ne prit que lentement conscience de l’ampleur du mouvement de contestation qui l’atteignait. Elle crut d’abord que Luther, comme Savonarole, Huss ou Wycliff, n’aurait qu’une postérité limitée. Elle put espérer que la répression d’Etat ou les tentatives de rapprochement réussiraient à circonscrire l’hérésie et à l’absorber112.

Les premières réactions ont lieu en ordre dispersé, aussi bien sous leur aspect répressif que dans leur aspect constructif. Tandis que Rome condamnait Luther, après l’avoir cité à comparaître, les universités étaient entraînées dans le conflit. Les facultés de théologie, gardiennes de l’orthodoxie, examinaient soigneusement les thèses réformées. Certaines, pénétrées par les influences humanistes, hésitaient à condamner. Mais la plus célèbre, malgré sa décadence, la Sorbonne, prit la tête des attaquants, confondant dans les mêmes décrets les écrits de Luther, de Lefebvre d’Etaples, d’Erasme, plus tard de Marguerite d’Angoulême. Un peu partout, les évêques citaient les « mal sentants » de la foi devant leurs tribunaux. Mais ils furent bientôt débordés, sauf en Espagne où « l’Inquisition »était parfaitement organisée.

Après la mort des grands prélats érasmiens, Fonseca (1534), évêque de Tolède, et Manrique, archevêque de Séville (1536), la répression, soutenue par le souverain, est violente. Elle frappe aussi bien les humanistes chrétiens que les rares luthériens de la péninsule. Dès 1540, le protestantisme est affaibli.

Ce succès inspira le cardinal Carafa113, conseiller de Paul III, de mettre en place des méthodes fortes de répression. En 1542, « l’Inquisition romaine »est établie. On la confie aux dominicains (qui avaient été les premiers adversaires de Luther), on l’impose aux Etats italiens et, avec plus de peine, à toute la chrétienté. La nouvelle institution fut particulièrement efficace en Italie114.

Comme en Espagne, elle poursuit tous ceux qui, venus de l’humanisme philologique et critique, étaient attirés par les idées de Luther ou de Zwingli : le vicaire général des augustins, Pierre Vermigli, un prédicateur capucin et tant d’autres. Ils quittèrent la péninsule pour errer à travers l’Europe, évoluant doctrinalement vers Calvin ou même vers l’antitrinitarisme plus ou moins mêlé de mysticisme.

Mais la répression de l’hérésie est aussi le fait des princes, qui y voient une menace pour l’unité nationale et pour leur pouvoir. François Ier, Charles Quint, Henri VIII, avant et même après le schisme, avec plus ou moins de continuité, mènent la lutte contre les « luthériens » et plus encore, contre les anabaptistes, coupables de tous les crimes.

L’Eglise catholique réagit aussi au développement de l’hérésie sur le plan religieux. D’abord par une oeuvre réformatrice, qui continue les efforts dispersés du début du siècle et qui tend à faire disparaître certains des abus les plus criants. Les prélats gagnés à l’érasmisme, en Espagne, en France, en Italie tentent des mesures disciplinaires et pastorales. L’humanisme chrétien s’installe même sur le trône pontifical avec l’élection en 1522 d’Adrien VI. Originaire des Pays-Bas, ami d’Erasme, ancien précepteur de Charles Quint, le nouveau pontife entreprend la réforme du clergé de la ville éternelle, mais se heurte à la xénophobie de la Curie. Paul III (1534-1549) créa une commission de réforme composée d’érasmiens et prit le décret de convocation du Concile.

A ces efforts timides de réforme s’ajoutent les tentatives de réconciliation, encouragées par l’empereur, désireux de rétablir la paix civile dans le Saint-Empire et prêt à faire un certain nombre de concessions aux luthériens. La plus importante rencontre entre théologiens catholiques et protestants se déroula en marge de la diète de Ratisbonne (février- juillet 1541). On s’accorda sur la double justification (au salut par la foi s’ajoute la validité des oeuvres inspirées par la grâce), sur la communion sous les deux espèces, sur le mariage éventuel des prêtres. Mais les protestants refusèrent la primauté romaine et la transsubstantiation, les catholiques maintinrent les sept sacrements de la tradition et les légats insistèrent pour que le compromis soit soumis au futur Concile. Calvin s’indigna des concessions de Melanchton et Luther fut satisfait de l’échec final.

A la Réforme catholique, il fallait une doctrine, des instruments, une direction. Ces éléments sont mis en place entre 1530 et 1565. A côté d’ordres nouveaux, comme les théatins, les barnabites, ou des congrégations anciennes ramenées à la stricte observance, comme les capucins (franciscains), l’instrument essentiel de la Contre-Réforme fut l’Ordre des jésuites, créé par Ignace de Loyola (1491-1556) et approuvé en 1540 par la bulle Regiminis militanti ecclesiae. Soldat courageux, éloigné du métier des armes par une grave blessure en 1521, Ignace de Loyola se tourne vers le mysticisme, il étudie à Alcala puis à Paris, au collège de Montaigu et au collège Sainte Barbe (il s’y trouvait en même temps que Calvin). Quelques compagnons approuvent ses projets et sa spiritualité, mise en forme vers 1526 dans les « Exercices spirituels ». En 1534, avec François Xavier, Diego Lainez, Pierre Lefebvre, il fait voeu de se consacrer au salut des âmes, de vivre régulièrement et de servir le Pape. N’ayant pu gagner Jérusalem, Ignace et ses compagnons se rendent à Rome, avec l’appui du cardinal Carafa, inspirateur de la réaction contre la Réforme. Malgré la méfiance des milieux romains à l’égard des laïcs qui l’accompagnent, les projets prennent corps. Ordonnés, protégés par les membres de la Curie, ils rédigent les constitutions approuvées en 1540.

La Compagnie de Jésus voit le jour pendant une période de profondes transformations en Europe : celle de la Renaissance, de la découverte de terres nouvelles et de la Réforme. Ces bouleversements ébranlent les conceptions traditionnelles de l’Eglise catholique romaine et exerce une grande influence sur la naissance de la nouvelle congrégation. Le protestantisme s’étend dans toute l’Europe : le luthéranisme gagne rapidement le nord et le centre de l’Allemagne et l’Europe du Nord, puis le calvinisme l’ouest et le sud de l’Allemagne, l’Angleterre et la France. Ce mouvement menace directement l’Eglise romaine, puisque presque la moitié de l’Europe abandonne le catholicisme. Pour sauvegarder l’autorité de la papauté, des militants provoquent, au sein de l’Eglise catholique une seconde Réforme qui prend le contre-pied de la Réforme protestante que l’on appellera Réforme catholique ou Contre-réforme.

Dans ce contexte, la Compagnie de Jésus devient la force principale de ce dernier mouvement115. La nouvelle congrégation présente des caractères originaux. Ses membres soigneusement sélectionnés, soigneusement formés à la théologie et la prédication, devaient accepter une soumission totale au supérieur de l’ordre, le général, élu à vie. Aux voeux monastiques traditionnels, ils ajoutent un voeu spécial d’obéissance au Pape. Une hiérarchie et une discipline militaire faisaient de la Compagnie un instrument parfait au service de l’Eglise et de son chef. Dès 1541, les premiers jésuites étaient présents aux premières lignes pour engager le combat avec les Réformés.

Dans leur offensive contre les mouvements réformés, ils ont eu à affronter le jansénisme tout au long du XVII ème siècle. Les deux organisations se sont vivement opposées ; les jésuites croient au libre- arbitre alors que les jansénistes sont fatalistes et pensent que tout est écrit à l’avance.

Pour définir la foi et rétablir l’ordre dans l’Eglise, Paul III convoque le concile de Trente en 1542. Ce concile s’ouvre le 13 décembre 1545 avec la participation de 24 prélats, dont 12 Italiens et 5 Espagnols. Transféré en 1547 à Bologne, suspendu en 1549, le Concile siège de nouveau pendant quelques mois en 1551-1552, puis du 15 janvier 1562 à décembre 1563. Le vote global des canons discutés eut lieu devant 255 Pères et les décrets furent approuvés par Pie IV le 24 janvier 1564.

Le travail du concile préparé par des commissions fut soigneusement contrôlé par les légats pontificaux et les consulteurs désignés par le Pape (en majorité des jésuites). Rome souhaitait avant tout renforcer son magistère, éviter tout retour à la doctrine de la supériorité conciliaire, définir sans équivoque la foi catholique. Les protestants furent invités, pour complaire au désir impérial, mais se virent simplement proposer l’acceptation sans discussion des canons approuvés. La papauté dut cependant admettre, contrairement à ses désirs, que le concile s’occupe également de la discipline et de la pastorale, parallèlement aux définitions dogmatiques.

Le concile de Trente a fixé le contenu de la foi catholique jusqu’à Vatican II. Comme l’affirment Jean Delumeau et Monique Cottret, le concile de Trente a créé une coupure dans l’histoire de la confession catholique et séparé deux époques dont la seconde ne s’est terminée qu’avec Vatican II116. Les Pères avaient suivi le plan de la confession d’Augsbourg pour la réfuter et réaffirmer, point par point la doctrine traditionnelle. L’homme, dans l’état de péché, voit sa nature corrompue par la faute d’Adam, mais s’il est « diminué ou incliné au mal », il conserve son libre arbitre et son aspiration au bien. Ainsi, même les païens, grâce aux lumières naturelles, peuvent accomplir des actes bons, affirmation antinomique de celles des réformés sur l’irrémédiable déchéance de l’homme seul. La foi est fondée sur l’Ecriture (et le concile maintient la composition canonique de la Bible et la valeur inspirée de la Vulgate) mais celle-ci est expliquée et complétée par la tradition de l’Eglise telle qu’elle s’exprime par les écrits des Pères, les canons des conciles oecuméniques, le consentement de l’Eglise établie et le magistère romain. Le décret sur la justification exigea trois versions, préparées en 44 congrégations particulières et 61 congrégations générales. Il s’agissait en effet du problème central ou comme le dit Jean Delumeau et Monique Cottret, du problème le plus débattu au XVI ème siècle suivi du péché originel.

Dieu ne nous justifie pas en nous imputant les mérites du Christ, comme l’affirmait Luther, mais il nous rend vraiment justes en nous transformant intérieurement par l’action de la grâce. Celle-ci est préparée par notre aspiration vers Dieu, elle est donnée suffisamment pour écarter le péché et pour nourrir les oeuvres qu’elle inspire et qui contribuent au salut. La liberté de l’homme est entière face à la grâce. Celle-ci est alimentée dans l’âme du fidèle par les sept sacrements, tous d’institution divine et qui agissent en soi. La messe est vraiment un sacrifice qui renouvelle celui de la Croix, en même temps qu’une action de grâces.

La doctrine scolastique de l’Eucharistie est réaffirmée avec force : présence réelle, « conversion de toute la substance du pain au corps du Christ, et de toute la substance du vin au sang, qui ne laisse subsister que les apparences du pain et du vin ». Corps du sauveur, le Saint-Sacrement doit recevoir les honneurs dus à Dieu. Enfin, l’ecclésiologie traditionnelle est maintenue : l’Eglise est l’instrument voulu par Dieu, elle est une, sainte, universelle et apostolique, et seule l’Eglise de Rome répond à ces caractères. Inspirée par l’Esprit-Saint, l’Eglise romaine n’a jamais erré dans la foi. Cette immense construction dogmatique se trouve résumée dans la profession de foi de Pie IV et dans le Catéchisme du concile de Trente, publié en 1566. Elle ne fait aucune concession aux idées défendues par les courants réformés. Elle fige les positions des deux camps pour trois siècles.

Le Concile rappelle l’institution divine de l’épiscopat : les évêques sont successeurs des Apôtres comme le Pape, de Pierre. Il définit les conditions d’accès (âge, prêtrise, institution canonique), les devoirs (non cumul, résidence, tenue de synodes réguliers, visite du diocèse tous les deux ans, prédication, examen sérieux des candidats au sacerdoce). On s’efforce aussi d’assurer à l’évêque une autorité suffisante pour remplir sa mission. Le concile limite les exemptions dont jouissaient les réguliers, abaisse les prétentions des chapitres, interdit certains appels à Rome comme abusifs. Les clercs pourvus d’un bénéfice à charge d’âmes se voient rappeler aussi leurs obligations : résidence, obligation de prêcher, de catéchiser, interdiction de faire payer les sacrements, nécessité d’une vie austère, symbolisée par le vêtement et la tonsure. Le recrutement sacerdotal est soumis à des conditions d’âge, de science, d’indépendance matérielle. Le concile se préoccupe de la formation en demandant à tout évêque de créer un séminaire diocésain.

L’autorité est restituée à l’épiscopat afin qu’il puisse reprendre en main un clergé souvent défaillant. D’où l’obligation faite à l’évêque de visiter chaque année les paroisses de son diocèse et d’y vérifier la résidence des curés. Interdiction est désormais faite à ceux-ci de s’absenter sans la permission de l’Ordinaire – une permission qui, sauf raison grave, ne pourra excéder deux mois par an. Le pasteur qui s’absente devra en outre se faire remplacer par un vicaire rémunéré par lui et approuvé par l’évêque. La hiérarchie frappera de suspens, voire de privation d’office et de bénéfice, tout clerc qui ne portera pas le costume clérical. Elle veillera à l’honnêteté de vie des hommes d’Eglise qui devront éviter les écarts, même légers, et « ne présenter , dans le vêtement, l’attitude, la démarche, le discours et en toute autre chose, rien qui ne soit grave, modeste et plein de religion »117.

Le prêtre ayant charge d’âmes, qualifié désormais du titre de curé à la fin du Moyen-Âge, est responsable des âmes qui lui sont confiées ; il doit pouvoir les guider sur le chemin de la foi, expliquer les obscurités de celle-ci, être un modèle vivant pour les fidèles.

Les prêtres doivent avoir la science c’est-à-dire, lire bien et distinctement et comprendre la grammaire. Ils doivent savoir le nombre de sacrements, leur forme, leur matière, leur mode d’administration. Ils doivent savoir discerner entre péché capital et péché véniel. Ils doivent pouvoir expliquer les rudiments de la foi, qui peuvent être réduits à cinq points : ce qu’il y a à croire, à demander, à faire, à fuir, à espérer. Selon Nicole Lemaître, « c’est la Contre-Réforme qui a organisé la formation systématique du clergé au moyen des séminaires ». 

Rappelons que depuis le III ème concile de Latran au moins (1179), il est en effet prévu que chaque cathédrale possédera un maître chargé d’enseigner gratuitement les clercs de l’église et les écoliers. Le nom même de clerc, celui qui sait, renvoie à une constante, la nécessité pour les communautés chrétiennes d’être guidées par des ministres éduqués.

Notes
112.

B. Bennassar et J. Jacquart, Op. Cit., p. 111.

113.

Futur Paul IV, il a fondé la congrégation des théatins en vue de réformer les mœurs ecclésiastiques en 1524.

114.

B. Bennassar et J. Jacquart, Idem, p. 111-112.

115.

L. Shenwen, Stratégies missionnaires des jésuites français. En Nouvelle- France et en Chine au XVII ème siècle, édit., l’Harmattan, Paris, 2001.

116.

J. Delumeau et M. Cottret, Le catholicisme. Entre Luther et Voltaire, (coll. L’histoire et ses problèmes), PUF, Paris, 1971, p. 67- 68.

117.

J. Delumeau et M. Cottret Op. Cit., p. 87.