Dans cette première partie, nous avons parlé du livre et de la lecture, en mettant l’accent sur la lecture silencieuse qui ouvre à la méditation et par dessus tout, à la contemplation. Le livre sert ainsi de médias dans le rapport avec Dieu, ainsi que dans le contact avec autrui. Il permet un enrichissement spirituel personnel et sert également de partage de connaissance avec d’autres personnes. Nous avons aussi voulu montrer comment l’Eglise s’est investie dans la fabrication et la diffusion des livres, en en étant le foyer et en offrant le cadre propice à son développement.
Nous avons montré la place des images (tympans, chapiteaux, vitraux) dans l’évangélisation en soulignant qu’elles restent la forme la plus développée de la « culture religieuse » médiévale, et de « l’histoire sainte » (alors que l’Islam s’en méfie). Les images rapprochent les fidèles de certaines réalités et ou situations touchant à la foi et contribuent à une « héroïsation » des saints et des martyrs. Elles jouent aussi un rôle non moins important dans la liturgie.
Nous avons ensuite abordé les questions relatives à la place de l’humanisme, de la Renaissance, de la Réforme et de la Contre–Réforme dans le progrès de l’imprimerie d’une part, et d’autre part le rôle de l’imprimerie dans la diffusion des idées nouvelles. Cette étude nous a permis de voir comment l’écart s’est peu à peu creusé entre le Catholicisme et le monde ambiant. Nous avons enfin parlé des rapports entre l’Eglise et l’imprimé.
En effet, l’Eglise romaine connut, à la fin du XVI ème siècle et au XVII ème, une profonde transformation qu’avaient préparées de longues recherches. Aussi n’est-il plus question, de nos jours, de faire commencer au concile de Trente l’histoire de ce renouvellement. Le rajeunissement de l’Eglise catholique et l’évolution de sa spiritualité se sont donc opérés en deux temps : celui de la Préréforme et celui qui s’ouvrit avec le concile de Trente ; celui des efforts dispersés et celui de la reprise en main autoritaire, laquelle n’aurait pu aboutir sans l’obscur et parfois décevant travail de préparation opéré avant les années 1540. Mais la réciproque n’est pas moins vraie. Dans une Eglise aussi centralisée que celle de Rome, la rénovation ne pouvait s’imposer à l’ensemble des fidèles par le seul jeu d’initiatives venues de la base et tant que la volonté de la hiérarchie – Papauté et corps épiscopal – faisait défaut129. Dès lors, lorsque Luther, Calvin et les pères du concile de Trente insistèrent pour que la Parole de Dieu fût enseignée aux fidèles, ils se situèrent dans le sillage des grands prédicateurs de la Préréforme : Jean Huss, Bernardin de Sienne, Savonarole, etc.
L’Italie de la Renaissance, si païenne à certains égards, connut cependant les premiers symptômes d’une mutation religieuse à un moment où Luther n’avait pas fait parler de lui et où, en tout cas, le concile et le Pape n’avaient pas encore repris l’Eglise en main.
La création de la première congrégation de clercs réguliers de l’histoire, les Théatins (1524), correspondait à un besoin du temps. Celle-ci fut bientôt suivie par celles des Barnabites, des Somasques et des Jésuites, toutes antérieures à la réunion du concile de Trente. Ces « prêtres réformés », vivant au milieu du peuple chrétien, voulaient donner l’exemple de la vertu sacerdotale, enseigner le catéchisme, s’occuper des orphelins, rendre au culte décence et solennité, conduire les fidèles vers les sacrements130. Dans la mesure où elle gardait ses structures traditionnelles l’Eglise romaine, prise dans son ensemble, ne pouvait donc se régénérer que si la tête se réformait. Il fallut le choc de la sécession protestante pour qu’on s’y décidât.
De fait, selon Régis Debray, la Réforme fut le soulèvement du signe contre l’image. Du livre saint contre la statue du saint. De la sainte lecture, familiale ou privée, contre la sainte communion. La Réforme a été à la base de la « démocratisation » de la lecture biblique. Lire la Bible devient une affaire de tous et cela grâce à l’imprimerie. On assiste ainsi à une multitude d’organisation autour d’elle, les liens ecclésiaux se délitent, mais le sentiment d’appartenir à une même nation demeure ; ce qui fait dire à Régis Debray que « desserrant les liens religieux, l’imprimé avait renoué le lien civique (…)131».
Mouvement de balancier qui a sa traduction sociale, l’imprimé précipitait l’ascension de la bourgeoisie de robe et le déclin de la bourgeoisie d’épée. Les dominances permutent. Les sacralités symboliques aussi. L’imprimerie accélère le transfert d’aura du Livre de Vérité aux livres des vérités, c’est-à-dire du monastère à l’université, du cloître à la ville, du prêtre au lettré. Les marches vers l’aura sociale s’inversent en conséquence. Sous la féodalité, l’Ecriture étant d’Eglise, chevaliers et manants vivaient en culture orale et gestuelle. Les manants s’embourgeoisent, se font légistes et clercs d’Etat, férus de droit romain. L’histoire sociale de l’imprimé, du XVI ème au XX ème siècle, peut se lire comme la longue lutte des dominés pour s’approprier, à la suite de ceux-là, péniblement, la culture du texte. Nous vivons la Contre-Réforme de l’image contre le signe, de la musique contre la lecture et de l’audiovisuel contre les tableaux noirs.
Dans la deuxième partie, notre réflexion portera dans un premier temps sur la manière dont l’imprimé a été utilisé aux XVII ème et XVIII ème siècles comme outil de combat dans les querelles ecclésiologico-politiques ; nous parlerons ensuite du développement de la presse dans l’Eglise, avant d’aborder les médias audiovisuels.
J. Delumeau et M. Cottret, Op. Cit., p. 63- 64.
J. Delumeau et M. Cottret, Idem., p. 66- 67.
R. Debray, Cours de médiologie générale, édit., Gallimard, Paris, 1991, p. 364.