Chapitre 1. L’Eglise catholique et la presse

Parmi tous les médias, c’est avec la presse que l’Eglise catholique a eu les rapports les plus remarquables, et les conserve encore dans plusieurs pays. Ces rapports composent une histoire longue et diversifiée. Mais avant d’aborder directement l’histoire de la rencontre de l’Eglise catholique avec le monde de la presse, prenons quelque recul avec des considérations plus générales.

En effet, les hommes ont toujours un besoin d’informations sur le monde qui les entoure. Aujourd’hui encore, des milliers d’années plus tard, la presse vise à répondre à ce même besoin. La fonction de la presse est d’annoncer les événements, d’en donner la description la plus exacte et la plus récente possible. Ces nouvelles permettent aux lecteurs d’orienter leurs actions, de prendre des décisions éclairées, mais aussi d’avoir le plaisir d’être étonné, de découvrir et de connaître de nouvelles choses.

La première publication qu’il est possible de considérer comme un « journal » date de l’Empire Romain. Il s’agit des acta diurna (actes du jour). Ils étaient affichés chaque jour sur les murs de Rome. C’étaient des avis renseignant les citoyens sur les nouvelles d’intérêt public. Ils étaient distribués dans les lieux publics et dans les boutiques de la ville en plus d’être envoyés partout dans l’Empire. On y publiait des faits divers, des récits d’événements sensationnels, des mariages, des décès, des nouvelles militaires, des chroniques théâtrales et sportives. Ces publications étaient rédigées par les diurnarii (qui peuvent être considérés comme les premiers journalistes). On peut en l’occurrence citer le cas de Caius Salluste, le protégé de Jules César, qui était le rédacteur en chef du Commentarius rerum novarum (chroniques des nouveautés), un hebdomadaire dont 300 esclaves scribes recopiaient 10 000 exemplaires par édition.

Héritiers de ces acta diurna, des écrits à la main vont ensuite se répandre en Europe à partir du XIII ème siècle, les avvisi en Italie, les zeytungen en Allemagne. Des services réguliers de correspondances manuscrites sont organisés dans les deux pays. Grand carrefour commercial, Venise constitue un centre important de diffusion pour ces écrits en Italie. Il convient de noter que ces publications contiennent surtout des informations commerciales.

Au fur et à mesure que les affaires prennent du volume et étendent le territoire de leurs transactions, la concurrence devient vive et l’information s’avère une arme économique et politique. Le meilleur commerçant, celui qui gagne, est celui qui sait le mieux profiter des circonstances ; celui qui le premier apprécie le cours des changes et le chemin le plus sûr pour les marchandises, d’un centre urbain à un autre. Hommes d’affaires qui se veulent aussi hommes d’esprit, les marchands multiplient les correspondances et les rencontres, nourrissent les idées de leur besoin d’échanges, et s’insinuent sur le terrain même du monopole de l’Eglise sur la pensée144. Grâce à eux, le manuscrit sort des châteaux et des cloîtres, et file parfois dans la rue. L’information qu’ils diffusent est source de curiosité.

Ainsi, pour permettre la circulation des manuscrits, des courriers, les souverains, les monastères, les villes, les universités, les marchands organisèrent, dès le Moyen-Âge, des réseaux de distribution. La poste y contribuera plus tard et facilitera la circulation des idées.

Les premiers bulletins d’information (premiers imprimés périodiques)sont publiés au milieu du XV ème siècle. Il s’agissait des récits d’actualité imprimés à l’occasion de quelques grands événements. Leur art consistait à recueillir l’information, par quelque moyen que ce fût145.

De minces brochures, appelées occasionnels (pas de périodicité), apparaissent alors un peu partout en Europe occidentale. Ils traitent d’événements particuliers et sont illustrés de gravures sur bois. Ils sont vendus à la criée dans les villes et par des colporteurs dans les villages et à la campagne. Les nouvelles y évoquent les affaires de la cour, les campagnes militaires, les cataclysmes, les monstres, les miracles, les diables et les sorciers. C’est donc le début de la recherche du sensationnel par des titres accrocheurs qui cherchent à mettre en valeur le merveilleux comme l’effroyable.

D’autre part, les canards, récits illustrés de gravure sur bois grossières, souvent stéréotypés, consacrés à des événements merveilleux, monstrueux, accidentels ou criminels, sont tout autant destinés à informer, qu’à proposer au peuple des exemples de conduite à tenir ou à éviter. Apparus vers 1529, les canards, feuilles imprimées qui racontent, par le texte et l’image, un fait extraordinaire ; vendus par colportage, règnent sur la clientèle populaire pour atteindre son apogée au XIX ème siècle. Ils exerceront jusqu’au cœur du XIX ème siècle une influence décisive sur les mœurs des classes paysannes et ouvrières146. Au fur et à mesure, les canards deviennent de plus en plus nombreux. La bourgeoisie finit par abandonner ce genre d’information au peuple, au début du XVII ème siècle, pour se tourner vers une information périodisée et rationalisée.

Nés de la Réforme, les libelles connaissent une existence moins heureuse et infiniment plus courte. Ils nourrissent, sous la Contre-réforme, les polémiques religieuses et politiques les plus ardentes. Les poursuites contre les éditeurs et les diffuseurs de ces feuilles se multiplient tout au long du XVI ème siècle européen, sous l’action conjointe de la censure ecclésiastique et des pouvoirs publics147.

L’ancêtre des périodiques est le calendrier des bergers qui était publié une fois par an de 1491 à 1700 environ. On y retrouvait la liste des fêtes, les phases de la lune, des prières, des recettes, des anecdotes ainsi que des prophéties. C’est donc le début des almanachs. Quoique populaires, ces publications annuelles et les occasionnels ne répondent pas tout à fait aux besoins du public. Le monde évolue rapidement, beaucoup d’événements importants surviennent, et au début du XVI ème siècle, les gens sont avides de connaissances et d’informations. C’est donc pendant ce siècle qu’apparaissent, un peu partout dans le monde, des périodiques (surtout mensuels). Et c’est au XVII ème siècle, en 1622, que Nathaniel Butler fonde à Londres Le Weekly new, premier hebdomadaire.

La première « gazette » publiée en France n’est pas née au hasard. Elle arrive exactement à son heure, pour permettre au pouvoir royal de justifier sa politique. Au cours de l’été 1630, le cardinal Richelieu engage la France dans la guerre de Trente Ans qui sévit en Allemagne, en traitant avec le roi de Suède, le protestant Gustave-Adolphe, qui vient aider les princes protestants révoltés contre l’empereur catholique. En Novembre suivant, Louis XIII choisit d’appuyer son premier ministre et les partis des « Bons Français » contre la reine mère Marie de Médicis et le parti des « Dévots », qui désiraient voir la France aider l’empereur d’Allemagne contre ses sujets révoltés. Le premier semestre 1631 est tout entier occupé par la querelle des deux partis. Chacun exprime son avis devant l’opinion, à coup de déclarations royales, de lettres au roi, etc.

La gazette, n’en a pas moins été, pendant de longues années, ce que l’on appellerait aujourd’hui un « organe officieux du gouvernement »148. C’est dans ce contexte que vont naître deux feuilles concurrentes, la Gazette, de Théophraste Renaudot et les Nouvelles ordinaires de divers endroits des libraires Martin et Vendosme (janvier 1631).

Le 30 mai 1631, Théophraste Renaudot, ce brillant et très influent médecin français obtient à perpétuité et en exclusivité, le privilège royal de faire imprimer et de vendre les nouvelles et récits de tout ce qui s’est passé et se passe tant au dedans qu’au dehors du Royaume. Le même jour, il fait paraître le premier numéro d’un journal de quatre pages, La Gazette. Renaudot préfère systématiquement les faits aux commentaires. Chaque information est datée et on en précise l’origine ou la source. Dans le but de publier un journal aussi actuel que possible, il travaille à diminuer le temps de production. Son journal aura beaucoup de succès : le tirage atteint 1200 exemplaires en 1638.

Plus d’un siècle et demi plus tard le Journal de Paris voit le jour en 1777 ; c’est le premier quotidien français lancé par le pharmacien Cadet de Vaux. En 1787, environ cinquante périodiques seront créés à Paris et trente en province, parmi lesquels : Le Journal de Trévoux (1701-1767), Les Nouvelles ecclésiastiques (1728-1803), Le Journal historique et politique (1772-1792), Le Journal encyclopédique (1756-1773).

On peut ainsi distinguer deux modes de publications : d’un côté les périodiques savants où se lisent les positions des Lumières et de l’autre les gazettes méprisées par l’intelligentsia.

Notes
144.

J – J., Coltice, Comprendre la presse. Informer hier et demain, Imprimerie des Monts Lyonnais (iml), 1995, p. 27.

145.

F. Balle, Op. Cit., p. 76.

146.

F. Balle, Idem.

147.

Ibidem.

148.

F. Balle, Idem., p. 77.