La France est probablement l’un des pays où la presse catholique a connu le plus grand développement. Retraçons-en la longue histoire. Elle nous donne à penser.
Saint François de Sales est considéré, on l’a dit, comme patron des journalistes. Les feuilles et les placards qu’il répandait lorsqu’il prêchait, en 1594, auprès des protestants du Chablais, peuvent être vus comme une forme pionnière du journalisme. Ces feuilles disons-le, bien qu’elles n’étaient pas soumises à une certaine périodicité, donnaient des idées et des orientations qui suscitaient des discussions. De ce fait, elles véhiculaient de l’information.
On pourrait classer ce pré-journalisme en deux catégories : d’un côté les documents polémiques à propos de faits du jour et de nouvelles doctrines ; ces derniers ce sont multipliés au cours de l’invasion protestante. De l’autre les récits de grandes fêtes, de cérémonies, d’événements intéressant l’Histoire de l’Eglise, les relations de missionnaires. Quelques-unes de ces relations sont très anciennes, comme la lettre de Saint François Xavier à Ignace de Loyola, imprimée en 1545. On notera aussi les premières relations qui sont venues du Canada, celle du Père Biard en 1616, puis les relations périodiques des jésuites à partir de 1633149. Ce n’est pas encore tout à fait du journalisme, mais c’est déjà de l’information périodique.
La première tentative, de publier un journal proprement dit, consacré aux choses religieuses remonte à 1680, cinquante ans après la fondation de la première « gazette » par Théophraste Renaudot. L’Abbé de la Rocque, alors directeur du Journal des savants, voulut fonder un Journal ecclésiastique. La publication en fut interdite par les autorités civiles qui estimèrent que les sciences religieuses avaient suffisamment leur place dans le Journal des savants. En effet, le Journal des Savants, comme la Gazette de France, reflétait pleinement l’esprit catholique de ses rédacteurs et de la population.
L’abbé de la Rocque revint à la charge en 1690, avec les Mémoires de l’Eglise, contenant ce qui se passe chaque jour de plus important dans toutes les parties du monde. Il faut dire que ces Mémoires ne sont qu’un résumé des faits survenus en 1685 et 1686, et ne paraissent pas avoir eu de second volume. C’est avec la première année du XVIII ème siècle, en 1701, que paraît la fameuse publication appelée à devenir célèbre sous le titre de Journal de Trévoux, titre qu’elle ne portait d’ailleurs point. Car elle était seulement imprimée à Trévoux et rédigée à Paris. Son véritable titre était Mémoire pour l’histoire des sciences et des arts. D’abord elle paraissait tous les deux mois et devint mensuelle dès 1702. Elle était rédigée par les Pères de la Compagnie de Jésus. Le Journal de Trévoux continue à être publié jusqu’en 1782.
D’autre part, les Nouvelles ecclésiastiques, journal de la faction janséniste, qui paraît tout d’abord en feuilles manuscrites, sera imprimée à partir de 1728. Il est illustré de portraits des amis de Port-Royal et de scènes de leur résistance. Il circulait clandestinement, ce qui explique sa rareté. Nous y reviendrons.
A partir de 1734, un Jésuite, le père Patouillet, publia régulièrement un Supplément aux nouvelles ecclésiastiques, qui apportait pour chaque numéro, une réfutation. Ce Supplément se présentait comme une véritable feuille complémentaire du journal qu’il attaquait, sans aucun autre titre. Il exista jusqu’en 1748, tandis que les Nouvelles ecclésiastiques continuèrent d’être publiées jusqu’en 1803.
A partir de 1747 jusqu’en 1761, les pères Hayet et Soret, s’occupent d’une publication périodique, La religion vengée, ou Réfutation des Auteurs impies.
Pour combattre les encyclopédistes, et sous les auspices de la reine Marie Leczinska, l’abbé Claude Joannet publia en 1754 des Lettre sur les Ouvrages et les Œuvres de piété, qui devinrent en 1758 le Journal chrétien et ce, jusqu’en 1764.
Après le Journal de Trévoux, la publication la plus importante de l’époque est le Journal ecclésiastique, ou Bibliothèque des Sciences ecclésiastiques, qui paraît à partit de 1760 sous la direction de l’abbé Dinouart. Ce journal traite d’Ecriture Sainte, de Théologie, on y trouve des plans de sermons et des nouvelles littéraires. L’abbé Dinouart le dirigea jusqu’à sa mort en 1786, puis il fut repris par l’abbé de Montmignon, et par l’abbé Barruel en 1788. Avec ce dernier, le Journal ecclésiastique se présente comme le témoin des premières luttes de la Révolution contre l’Eglise. Barruel dirigea ce journal jusqu’en 1792.
Il faut dire qu’au début, la presse catholique était une presse d’«orientation » et d’« encadrement » et en même temps un « organe de liaison ». A l’exception du Journal de Trévoux, les titres affichent clairement leur appartenance religieuse. Dès le départ, le journal catholique porte en lui les germes du combat contre l’absolutisme et l’intolérance, contre les ennemis de la religion, etc. Le fait d’afficher son appartenance, le situe par rapport aux autres organes de presse et révèle sa visée qui est strictement évangélisatrice et défensive.
Pendant la Révolution, la presse jouit de la liberté, d’où une foule de publications, animées surtout par des passions politiques, mais il leur arrive aussi de défendre la Religion et la Monarchie. Durant cette période, les Nouvelles ecclésiastiques sortent de la clandestinité, de mensuel, elles deviennes hebdomadaires et soutiennent la constitution civile du clergé (adoptée par l’Assemblée constituante le 12 juillet 1790). Or, cette position n’était pas partagée par tous les jansénistes ; ainsi donc, ceux qui étaient opposés, publièrent des Contre-Nouvelles, comme avait fait précédemment le père Patouillet, sous le titre : Nouvelles ecclésiastiques ou Mémoires pour servir à l’Histoire de la Constitution prétendue civile du clergé. Elles furent publiées du 15 Juillet 1791 en Juillet 1792, date de la mort de Jabineau, leur principal rédacteur.
Les véritables Nouvelles ecclésiastiques furent elles-mêmes obligées de s’élever contre la persécution révolutionnaire, et durent se réfugier, après décembre 1793, en Hollande, où elles reprirent leur publication jusqu’en 1803.
Après la révolution en 1795, l’abbé Grégoire et quatre autres évêques membres de l’Eglise constitutionnelle, publièrent les Annales de la Religion ou Mémoires pour servir à l’Histoire du XVIII ème siècle, par une société d’amis de la Religion et de la Patrie. Parmi ses rédacteurs, on trouve des jansénistes. Soulignons que pendant cette période, la liberté de culte était rétablie en France, et donc l’Eglise constitutionnelle n’avait plus rien d’officiel.
Le journalisme catholique refait surface avec la publication du Journal de la Religion et du Culte catholique par l’abbé Ricard, de Septembre 1795 à janvier 1796. En 1796, paraît Les Annales Religieuses politiques et Littéraires dont la rédaction était confiée à l’abbé Sicard, fondateur de l’Institut des sourds-muets. La revue paraît tous les quinze jours, puis la rédaction passa finalement aux mains de l’abbé de Boulogne, le futur évêque de Troyes.
En 1800, cette revue ressuscita sous le titre d’Annales Philosophiques, Morales et Littéraires, mais elle sera suspendue un an après, par le Gouvernement, estimant qu’elle contrarie ses négociations relatives au Concordat.
En Juin 1803, l’abbé de Boulogne reprend la publication de la revue sous le titre d’Annales Littéraires et Morales, cette revue sera plusieurs fois interrompue et changera de titre pour s’appeler Annales critiques de Littérature et de Morale, avant d’être définitivement suspendue début 1806.
En 1806, le même abbé de Boulogne, avec la collaboration de Michel-Pierre-Joseph Picot, lance ses Mélanges de philosophie, d’Histoire, de Morale et de Littérature ; cette fois le journal dure cinq ans et sera supprimé par Napoléon en juin 1811.
Bref, pendant la révolution, la presse catholique prend une tournure politique. Au sein même de l’Eglise, il existe deux tendances, d’un côté ceux qui soutiennent la révolution et de l’autre ceux qui la combattent. Il suffit pour cela de se référer aux deux aspects du journal janséniste. Après la Révolution, on note le retour des titres à caractère religieux, puis un glissement vers la philosophie, la morale et la littérature.
Sous la Restauration (1814-1830), de nombreux journaux virent le jour pour défendre la Monarchie et la Foi. La restauration fut dans l’ensemble, plus libérale. Nous ne retiendrons ici que les journaux fondés surtout pour des buts religieux.
En effet, Michel Picot, avec l’éditeur Le Clère, profitent de la liberté pour fonder un nouveau journal. Napoléon qui faisait peser sur le journalisme un joug de fer, abdique le 11 avril 1814 ; Louis XVII débarque en France le 24 Avril ; le 30 Avril paraît le premier numéro de l’Ami de la Religion et du Roi, journal, à la fois ecclésiastique, politique et littéraire. Il est publié trois fois par semaine, sur le format in-8°. Ce journal sera supprimé au bout de trois mois pour réapparaître, et connaîtra une longue existence. C’est grâce à lui que sera constituée l’histoire religieuse d’une partie de ce siècle.
En 1830, il porte le titre d’Ami de la Religion, la politique recule au profit de la religion. Après la mort de Picot, en 1840, le Baron Henrion lui succède comme directeur, jusqu’en 1848. A cette date, sur initiative de Mgr Dupanloup, l’abbé Cogniat est nommé à la tête du journal, un an plus tard celui-ci devient quotidien et publié sous le format in-folio avec comme directeur l’abbé Sisson, puis il finit par disparaître. Avec l’Univers, auquel il s’opposait dans sa dernière période, et plus tard La Croix, l’Ami de la Religion représente l’effort principal de la Presse catholique en France150.
Un autre journal qui a duré longtemps, c’est : Le Journal des Villes et des Campagnes. D’inspiration catholique, il est fondé en 1815 et paraît trois fois par semaine jusqu’à la fin du Second Empire. Plusieurs autres journaux furent publiés, on peut citer : La Chronique religieuse ( journal des anciens Constitutionnels à partir de janvier 1819), Tablettes du Clergé ( de 1822 à 1828), Le Mémorial Catholique (supprimé en 1830), Le Spectateur religieux et politique ( 1818-1819 et 1827), La Sentinelle de la Religion ( 1826), La France Catholique (1825-1826), Le Médiateur (1926-1827), L’Athlète du Christianisme (1827-1828), L’Apostolique (1829-1830). En 1822, paraît Les Annales de la Propagation de la Foi et Le Catholique (1826-1829), ouvrage périodique dans lequel on traite de l’universalité des connaissances humaines sous le point de vue de la doctrine catholique. Enfin, Les Annales de Philosophie Chrétienne, fondées en 1830 par Augustin Bonnetty. Durant cette période, l’Eglise catholique respire, comme en témoigne le nombre de titres des journaux. La presse catholique commence à étendre ses racines.
Sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), il faut dire que la révolution de 1830, anticléricale autant qu’antimonarchiste, fut pour les catholiques un véritable réveil. Par fidélité à la royauté et par souci de défendre la doctrine de l’Eglise, bon nombre d’entre eux comptaient sur une nouvelle restauration de la branche légitime des Bourbons.
Pendant ce temps, il y a eu des tentatives comme la publication de L’Avenir, rédigé par Lamennais, Lacordaire, Montalembert et De Coux. C’est le premier journal quotidien qui se met tout entier au service de la pensée religieuse, sans y attacher aucune nuance politique. Dans un contexte d’agitation et de trouble des idées, il rencontrera très vite l’opposition du pouvoir en place qui suspend sa parution un an plus tard. De fait ce journal n’a vécu que du 16 Octobre 1830 au 15 Novembre 1831. Lamennais ne sera pas approuvé et s’éloignera du catholicisme.
La disparition de ce journal occasionna d’autres publications notamment L’Union Bretonne et L’Union Catholique qui paraissaient à Nantes et entretinrent l’espoir. A Paris, on mentionne la création de la Tribune Catholique, par Emmanuel-Joseph Bailly, dont le fils, le père Vincent de Paul Bailly, sera le fondateur de La Croix. La Tribune Catholique paraissait tous les deux jours. Il disparut avec la publication de L’Univers Religieux, Politique, Philosophique et Littéraire par l’abbé Migne, le 3 novembre 1833, avant que ce dernier ne s’occupe de l’édition des Patrologies.
En 1842, Louis Veuillot devient rédacteur en chef de L’Univers, il eut à ses côtés des collaborateurs comme Melchior du Lac, Eugène Veuillot, Edouard Ourliac, Aubineau, etc. Avant lui, ce journal qui tirait à 1 800 exemplaires, passe à 3 000 en 1843, et à 6 000 en 1845 ; il eut 14 000 abonnés en 1870. En 1843, Le Journal des Villes et des Campagnes tirait à 6.540 exemplaires, dont 6.390 pour la province. L’Ami de la Religion n’atteignait que 1.151 abonnés.
A cette période, on notera la création du Journal des Instituteurs Primaires par Rosely de Lorgues en 1833, le Journal des personnes pieuses, en 1835, L’Ange gardien (1838), etc. Certaines publications étaient uniquement destinées au clergé, c’est le cas de : L’Union ecclésiastique (1833), Le Moniteur de la Religion (1835), La Revue des Journaux ecclésiastiques, Le nouveau Journal des Paroisses et du Clergé, le Journal des Presbytères. L’abbé Migne fonda encore plusieurs autres journaux dont, La Vérité, La Voix de la Vérité, Le Journal des faits.
Sous la monarchie, la presse catholique continue d’étendre son influence et de se multiplier. Les titres se diversifient et un accent tout particulier est mis sur la circulation de l’information au sein de l’Eglise.
Sous la Seconde République, disons qu’à la révolution de 1848, le catholicisme gagne du terrain ; ainsi donc, pour marquer l’adhésion des catholiques à la démocratie, L’Ere Nouvelle fut fondée sous l’initiative de l’abbé de Maret et d’Ozanam le 15 Avril 1848, qui confièrent la direction à Lacordaire. Celui–ci fut succédé par l’abbé de Maret. Ce journal atteint jusqu’à 10. 000 abonnés avant de disparaître en 1849. L’année suivante, sur initiative de Mgr Sibour, archevêque de Paris, l’on assiste à la naissance d’un nouveau journal, Le Moniteur Catholique dontla direction fut confiée à l’abbé Darboy.
C’est en 1851 que la Société de Saint-Vincent de Paul, en même temps qu’elle édite un Bulletin, commence la publication des Petites lectures, qui seront distribuées dans des écoles chrétiennes et les patronages pendant trois quarts de siècle. La loi Falloux ayant reconnu en 1850 la liberté de l’enseignement secondaire, l’abbé Emmanuel d’Alzon fonda en 1851 La Revue de l’Enseignement Chrétien, destinée à servir de trait d’union entre collèges libres et à préparer les méthodes convenables.
Au demeurant, cette période marque un tournant dans la conception du journalisme catholique. C’est l’heure de la conscientisation. L’Eglise, au regard des titres susmentionnés, veut jouer son rôle d’accompagnatrice et d’éducatrice des consciences dans la nouvelle République. Elle ne veut plus rester en marge, ni être marginalisée. C’est une prise de conscience de son appartenance à une société ou une nation. On peut, à partir de cette époque et même bien avant, essayer de comprendre les prises de position des journaux catholiques et surtout de la hiérarchie catholique sur des questions de société.
Sous le Second Empire (1852- 1870), notammentsous le règne de Napoléon III, jusqu’en 1867, la presse se trouve soumise à un régime sévère : on ne peut fonder un journal politique sans autorisation, et les journaux existants vivent de façon permanente dans la menace d’être supprimés. L’Univers pour ne parler que de lui, s’est d’abord rallié à Napoléon III, dont il combattra plus tard la politique romaine ; il sera supprimé en 1860, pour reparaître en 1867 profitant de l’assouplissement du régime. Finalement, Taconet le propriétaire de L’Univers finit par le remplacer en achetant un journal de l’abbé Migne, La Voix de la Vérité, qui obtint l’autorisation d’être publié sous le titre Le Monde, à condition que Louis Veuillot, le rédacteur en chef de L’Univers ne fasse pas partie du comité de rédaction. Le Monde commence de paraître le 1er février 1860 et continue même après la réapparition de L’Univers jusque vers 1900, avec comme rédacteur en chef, Eugène Coquille.
Durant cette époque, les revues non politiques, moins durement traitées par le régime, naissent en grand nombre. L’année 1853, voit naître après quelques essais, la première semaine religieuse de France intitulée, La Semaine Religieuse de Paris et de la Banlieue. En 1855, naît Les Etudes, Revue des Pères de la Compagnie de Jésus. En 1856 ce fut le tour du Rosier de Marie qui vécut jusqu’en 1900. De nombreuses Revues de piété virent le jour en cette période ; c’est le cas du Journal des enfants de Marie, de la Couronne de Marie, du siècle de Marie, de la Vierge, Journal en l’honneur de l’Immaculée Conception (1863), des Annales du Saint-Sacrement, du très Saint Sacrement, des Annales de Saint Joseph, du Propagateur de la dévotion à Saint Joseph, de l’écho de Notre-Dame des Victoires, du Messager du Sacré Cœur de Jésus, etc.
En 1866 paraît Le Bulletin de l’œuvre du Denier de Saint-Père à Lyon, il sera suivi des Annales du Denier de Saint-Père, à partir de 1869. La Revue des Sciences ecclésiastique est publiée à partir de 1860 par l’abbé D. Bouix. D’autres Revues appartenant au clergé, furent publiées ; c’est le cas du Moniteur du Clergé et des Paroisses (1865), du presbytère (1860), de la Paroisse (1861), des Conférences ecclésiastiques (1864), du Journal de la Prédication populaire et contemporaine (1857), de l’Eglise, de L’Unité Catholique, de la Science et la Foi, de la Gazette du Clergé.
Parmi les revues littéraires ou religieux, on mentionnera Le Croisé (1859), la Revue du Mouvement catholique (1862), la Revue du Monde catholique (1861), la Revue des questions philosophiques (1866), Le Polybiblion (1868), qui atteignit une réputation mondiale pour ses recensions de livres, et le Bulletin de la Société Bibliographique (1870), une des grandes entreprises d’éditions et de lectures. Concernant la lecture populaire et familiale, on peut signaler : La Semaine des Familles, L’Ouvrier, Les veillées des Chaumières.
Malgré la sévérité du régime, c’est sous le second Empire, que la presse catholique s’organise et s’engage véritablement dans l’évangélisation, comme en témoignent les titres que nous venons de citer.
Durant la période de la chute du Second Empire et du ralliement, soulignons que le 4 septembre 1870 amène un profond changement dans les positions de la presse française en général et de la presse catholique en particulier. Ce jour là, les républicains se sont installés au pouvoir, alors que les monarchistes espèrent y revenir. Les catholiques sont du côté du roi et soutiennent son retour. C’est ainsi que les journaux comme L’Univers, Le Monde, La Gazette de France, L’Union, tous travaillent dans ce sens. Ils souhaitent l’installation du comte de Chambord qui a un programme chrétien, programme rappelons-le, écrit par Louis Veuillot, rédacteur en chef de L’Univers.Mais une presse à tendances conservatrices préfère soutenir la branche d’Orléans, représentée par le comte de Paris, petit–fils du roi Louis- Philippe. Tout en souhaitant une fusion qui ferait du comte de Paris l’héritier du comte de Chambord, ils préconisent une monarchie constitutionnelle plus près des idées modernes et à tendances moins contre-révolutionnaires. Certains journaux en l’occurrence, Le Journal de Paris, puis, à partir de 1873, Le Soleil, se rangeront derrière lui.
Il y avait aussi des catholiques partisans d’un rétablissement des Bonaparte. On retrouve cette tendance dans les journaux comme : Croisés, Le Pays, L’autorité.
L’Autorité, fondé par Paul de Cassagnac, sera pendant près de trente ans un des journaux les plus lus par les catholiques. Les chances de rétablissement des Bonaparte étant très minces, Paul de Cassagnac, professe une opposition radicale au régime, prêt à accepter n’importe quoi et n’importe qui pourvu qu’on en finisse avec la République151. Cassagnac se fait le défenseur de la religion persécutée, en indiquant comme unique remède possible, le renversement du régime. L’Autorité, dirigée après la mort de Paul Cassagne par ses fils Paul et Guy, disparut en 1914.
En attendant le retour toujours espéré du roi par les catholiques, plusieurs organes de presse virent le jour pour défendre les intérêts religieux ; c’est le cas du Français, qui continuera sa publication jusqu’au-delà de 1885. Ce journal garde dans la presse catholique une attitude modérée, qui essaie de laisser la porte ouverte aux négociations possibles avec le régime. Cette attitude sera peu comprise, ce qui lui fera perdre une partie de son lectorat. Il faut attendre les années 1870-1880 pour que Le Figaro, sous la direction d’Hippolyte de Villemessant, prenne une attitude nette de défense des intérêts catholiques. C’est dans ce contexte que Mgr Dupanloup fonde en mai 1876, La Défense, Sociale et religieuse dont la direction est confiée au baron d’Yvoire.
La Défense était le premier journal fondé depuis la République avec le désir de séparer nettement les questions religieuses de la politique et des revendications dynastiques. Il laissait de côté l’opposition au régime et entendait réunir sur le terrain de la défense religieuse et sociale tous ceux qui voulaient sauvegarder les principes fondamentaux de la vie en société. En 1878, le baron d’Yvoire quitta la direction du journal, il fut remplacé par Joseph Denais (député du XVII ème arrondissement de Paris).
Après la disparition de La France Nouvelle - un petit journal à un sou, édité par Palmé et qui disparu en 1883 - le père Vincent-de-Paul Bailly décida de fonder le quotidien à un sou. Ce fut l’origine de La Croix. Avec Le pèlerin fondé en 1873 et agrandi en 1877, La Croix fut le noyau de la Maison de la Bonne Presse où naquirent tant de publications : Le Cosmos revue scientifique fondée en 1852 et adoptée par la Bonne Presse en 1885, la Croix du dimanche, le Laboureur, les Contemporains, le Noël, le Fascinateur, les Questions actuelles, le Mois littéraires et pittoresque, La Documentation catholique, etc.
A ses débuts, La Croix reste en principe, attachée à la monarchie, mais sans donner à son rétablissement une importance primordiale. En fait, La Croix mène déjà la lutte sur le seul terrain religieux, et les monarchistes ne manquent pas de lui en faire grief. En 1887, paraît L’Observateur Français, sur un ton de réconciliation avec le régime. Parmi les titres de cette époque, on cite : l’Ami du clergé (1879), la Revue bénédictine (1886), la France illustrée (1883), le Contemporain, etc.
La date du 12 novembre 1890, marque une étape importante dans les relations de l’Eglise et de l’Etat, le cardinal Lavigerie alors à Alger prononce une brève allocution qui affirme solennellement la volonté des catholiques de vivre en paix avec le régime républicain.En France, l’annonce du cardinal Lavigerie se fit suivre par la publication de La Concorde le 7 décembre 1890. Celle-ci avait une double devise : « Démocratie et Religion, Science et Religion ». Ce journal était entièrement tenu par des jeunes et ne dura que deux ans. Il sera remplacé par L’Avenir National en 1892. Le 16 février 1892, le pape Léon XIII approuve l’orientation inspirée par le cardinal Lavigerie et publie l’encyclique Rerum Novarum, où il s’adresse aux Français.
Parmi les journaux existants, on mentionne notamment L’Observateur, La Croix, Le Monde, L’univers, La France Nouvelle. Tous ces journauxsuivirent la nouvelle direction.
En province, le mouvement d’opinion qui fit suite à l’allocution du cardinal Lavigerie et à l’encyclique du pape Léon XIII, s’exprima à travers des journaux comme : Le Bien public de Dijon, L’Express de Lyon, Le Messager du midi. Beaucoup d’autres journaux furent fondés, parmi lesquels : La Liberté des Hautes-Pyrénées, La Liberté Catholique de Toulouse. En l’espace de vingt ans, la grande majorité des journaux catholiques de province abandonnèrent la ligne monarchiste pour suivre les directions pontificales.
Parmi les journaux de cette époque, on citera Le peuple Français, créé en 1893 par l’abbé Garnier et qui en 1910, fusionna avec Libre Parole, créée par Drumont le 20 mai 1892.
Sous la pression des faits, après l’encyclique, la note sociale s’alliera à la note démocratique, ainsi on aura des titres comme : La Démocratie Catholique, fondée à Lille en 1894 par l’abbé Six, La Sociologie catholique, fondée à Montpellier par l’abbé Sahut, La Justice Sociale, créée à Bordeaux le 15 juillet 1893 par l’abbé Naudet, etc. A côté de ces publications, on trouve également : les Annales, et la Vie Nouvelle, Le Mouvement Social, Le Sillon, L’éveil Démocratique, Le Petit Démocrate de Limoges, La Démocratie du Sud-Ouest de Lyon et La Chronique Sociale. Certains mouvements d’idées provoquèrent des réalisations féminines ; c’est le cas du Féminisme chrétien (1896), dirigé par Mlle Marie Maugeret, du Pain de Mme Paul Vigneron, etc.
Il y a également une presse syndicale chrétienne,inspirée de Rerum Novarum, dont les plus anciens organes sont l’Employé (12.000 exemplaires), le Nord Social, et le Syndicalisme, organe de la C.F.T.C.
Fondée en 1893, par Paul Harel, la Quinzaine fut d’abord une revue catholique et littéraire. Elle avait comme programme « le développement intellectuel, l’organisation de la démocratie, l’avènement de la justice sociale ». Reprise en novembre 1897 par Georges Fonsegrive, elle accentua la note sociale et philosophique. Elle disparut en 1907, en laissant ses abonnés au Correspondant, et celui-ci laissant les siens aux Etudes en 1933.
Plusieurs revues virent le jour : La Revue des Deux Mondes, L’Occident, La revue du Temps Présent, L’Amitié de France, L’Appel, La Revue de la jeunesse, Romans-Revues qui deviendra Revues des Lectures, La Revue Mame, La Revue Française.
Sur le terrain des sciences religieuses : La Revue Biblique (1892), La Revue Thomiste (1893), La Revue du Clergé français (1894), le Bulletin ecclésiastique (de Toulouse, 1899), les Etudes franciscaines (1899), la Revue Mabillon (1905), La Revue des sciences théologiques et philosophiques (1907), la Revue de l’Histoire de l’Eglise de France (1910).
Certaines revues avaient pour vocation de défendre la foi, c’est le cas de la Revue pratique d’Apologétique (1905), La réponse (1908), etc.
Bref, durant la période de la chute du Second empire et du ralliement, l’Eglise catholique s’est engagée dans l’action sociale, la démocratie, le développement des revues spécialisées, etc.
Après la guerre, parmi les hebdomadaires politiques rédigés par les catholiques, on trouve Le Petit démocrate, La Jeune République, L’Eveil des Peuples de Marc Sangnier, etc.
La presse catholique connaît un renouveau dans le domaine de la littérature après-guerre, grâce notamment aux Lettres dirigées par Gaétan Bernoville. D’autre part, Les Cahiers catholiques, fondés en 1919 par Jacques Debout ont été également l’instrument d’un renouveau dans la poésie catholique, dans les arts sacrés et dans le théâtre chrétien.
Les Dominicains fondèrent La Vie Spirituelle, revue d’ascétique et de mystique qui réussit à atteindre un public relativement étendu, puis La Vie Intellectuelle, qui s’affirma sur le plan de la littérature et des idées.
La création de La Vie Catholique en 1924, inaugure un nouveau genre de journalisme. Cet hebdomadaire à grand tirage se veut un miroir de la « vie catholique » dans tous les domaines, vie religieuse, littéraire, artistique, scientifique, sociale. Riche d’informations et d’idées, ouvrant ses colonnes à toutes les expressions de la pensée catholique sans distinction, La Vie Catholique est au moment de son apparition, un motif de fierté pour les catholiques. L’hebdomadaire Sept, qui est une création des Dominicains, a un programme encore plus large d’information catholique et s’étend sur tous les domaines de l’activité humaine.
En 1930, Choisir est fondé par le chanoine Raymond, pour représenter la pensée catholique dans les milieux du cinéma et de la radio. Cet hebdomadaire à grande diffusion donne des analyses et des notes morales pour tous les films projetés sur les écrans, et ces notes sont reproduites dans de nombreux journaux de provinces et de pays de langues françaises. Il donne tous les programmes de la radiophonie avec des sélections de diffusions catholiques, de meilleures diffusions et également des notes aux pièces de théâtre jouées à la radio. Choisir est sur le terrain du cinéma et de la radio, un journal d’idées et d’action, qui donne des orientations. A partir de 1935, il est dirigé par l’abbé Caffarel, sous les auspices de l’Action catholique.
En effet, la presse catholique152 telle qu’on vient de le voir, a plusieurs visages. On distingue : des titres qui expriment un attachement à une figure du christianisme : Marie, Saint-Sacrement, le Sacré Cœur, La Croix, etc., ceux qui renvoient à l’Eglise : Les Nouvelles ecclésiastiques, la Semaine religieuse, Paroisse, Denier de Culte, Clergé, etc., des titres qui sont catholiques sans le dire : l’Univers, La semaine des familles, Le Pays, l’Autorité, Le journal des Villes et des Campagnes, etc., une presse politique, majoritairement conservatrice : l’Ami de la religion et du Roi, etc., des publications qui visent des modes de vie : La Vie catholique, Le Pèlerin, etc., des publications de sciences profanes (philosophie, morale, littérature) : Annales philosophiques, Morales et Littéraires, etc., et des publications de sciences religieuses ou de propagation de la foi : La Mission, Annales de la Propagation de la foi, etc.
Au demeurant, la presse catholique française, a été jusqu’en 1890, une presse de combat. L’appel lancé par le cardinal Lavigerie aux catholiques de vivre en paix avec le Régime républicain et la lettre encyclique de Léon XIII, ont constitué un tournant dans la manière de concevoir la presse au sein de l’Eglise. D’une presse engagée à défendre la foi, l’Eglise, parfois le roi, on passe à une « presse conciliante », une « presse catholique patriotique », pour finalement se concentrer sur des sujets touchant à l’organisation, à la consolidation et au rayonnement du catholicisme. On passe pour ainsi dire d’un journalisme de combat, à caractère polémique, à des journaux spécifiquement orientés vers l’évangélisation, le partage du savoir, forums de discussions, instruments au service de la vision ecclésiale et du monde. Ce qui explique certains mariages avec la presse laïque : fusion du groupe des Publications de la Vie Catholique et du groupe Le Monde, devenus La Vie-Le Monde en 2003 ; filialisation en 2004 de Milan Presse (qui publie ce magazine) /Edition Milan dans le groupe Bayard.
De nos jours, presque toutes les grandes activités catholiques se traduisent en des publications multiples. Les congrégations ont leurs revues ; il existe toute une presse universitaire catholique, bulletins publiés par les Instituts, organes de jeunesse, bulletins de collèges ; la presse missionnaire est nombreuse, et il y a une presse syndicaliste. Toutes les grandes associations publient des revues et des bulletins. Les disciplines scientifiques et les spécialités diverses ont également leurs publications : histoire, lettres, liturgie, arts. Il faudrait aussi compter les nombreux bulletins de paroisses.
La multiplication de ces publications est le reflet d’une activité considérable et correspond fréquemment à des besoins réels : besoins de culture religieuse, besoins de spiritualité, besoins de nouvelles de l’Eglise et du monde, etc. L’utilité de cette presse intérieure dans le catholicisme n’est donc pas à démontrer. Selon Jean Morienval, le peuple français, traditionnellement catholique, serait moins éloigné et moins indifférent à sa foi si d’excellentes publications, rédigées par de véritables journalistes, travaillaient à entretenir, réchauffer et raviver ses traditions chrétiennes153. Nous verrons dans les pages qui suivent que les choses ne sont pas aussi simples qu’il le pense surtout à l’heure actuelle.
J. Morienval, Sur l’histoire de la presse catholique en France. Rapport pour l’exposition rétrospective de la presse catholique française au Vatican en 1936, édit., Alsatia, Paris, sd, p. 1.
J. Monrieval, Op. Cit., p. 13
J. Monrieval, Idem, p. 30.
Pour plus d’information sur la presse catholique, nous renvoyons nos lecteurs à la chronologie qui se trouve en annexe ; celle-ci va jusqu’en 1957.
J. Morienval, Idem., p. 44.