Chapitre 1. Avant Vatican II : trois papes s’intéressent au Cinéma

1.1. Vigilanti Cura de Pie XI : la nécessaire vigilance devant la force des images

Parmi toutes les prises de positions officielles de l’Eglise catholique d’avant Vatican II concernant les médias, nous voulons mettre en exergue celles qui nous semblent les plus élaborées et les plus originales concernant le cinéma. De 1936 à 1959, trois papes successifs ont consacré un substantiel enseignement aux différentes facettes de l’univers cinématographique et de sa culture : Pie XI, Pie XII et Jean XXIII.

Pie XI, dans l’encyclique Vigilanti Cura, publiée le 29 juin 1936 à Rome, fait une analyse de l’impact du cinéma sur les individus et la société. Cette encyclique invite à réfléchir sur l’image, sa puissance et le caractère collectif du cinéma. Elle s’adresse à l’épiscopat des Etats–Unis et elle est consacrée exclusivement au cinéma. Il s’agit de donner des directives concernant le bon usage de ce dernier. Pie XI reconnaît l’importance grandissante du cinéma pour notre temps, son large champ d’influence soit en faveur de la vertu, soit au profit du vice (§ 1). C’est ainsi qu’il invite l’Eglise à faire confiance à cet art nouveau, comme elle l’a fait au cours des siècles précédents pour la poésie, la peinture et la musique qui, directement ou non, ont pu être une expression de la pensée religieuse. La force de l’image par le cinéma fait communiquer avec l’univers dans le temps et l’espace, réalisant ainsi le rêve de tout être humain. Pie XI affirme que tout n’est pas vanité dans les spectacles ; derrière les physionomies qui s’expriment, c’est la vie, l’histoire, c’est l’âme humaine qui se dévoile. « C’est l’œil qui voit mais c’est l’intelligence qui tire la leçon du spectacle ».

Dans les années 1930, le cinéma devient une pratique familiale. Les normes d’organisation des séances se stabilisent239. Les salles de cinéma familiales et de patronages connurent alors une expansion très rapide240. Cependant, selon Boullet, tous les textes épiscopaux de cette époque, n’ont pas en tout cas un regard sympathique et accueillant vis-à-vis du septième art. Ce sont souvent des considérations moralisantes mettant en garde contre le matérialisme des productions cinématographiques, la captation sensuelle, la façon sournoise de distiller dans l’esprit du spectateur des doctrines immorales et dangereuses qui sont mis en exergue.

Pour limiter les abus, Pie XI félicite l’épiscopat américain, pour avoir mis sur pied « la légion de la décence » (la Legion of decency), destinée à lutter contre les films qui blessent les moeurs chrétiennes et les règles de l’honnêteté. En fait, la légion de la décence était considérée comme« une arme sainte dont l’objectif consistait à rendre leur valeur à tous les principes et à l’idéal qui inspire l’honnêteté chrétienne et, d’ailleurs, l’honnêteté purement humaine ». Dans cette croisade, la Légion de la décence avait pour mission d’assurer « sous la direction des évêques des Etats- Unis (…) l’assainissement des plaisirs du peuple ».

Selon Pie XI, le cinéma bien qu’il vise « les délassements du corps et de l’âme » doit se faire dans le respect de la dignité de l’homme et de ses mœurs; car « les scènes scandaleuses fournissent une occasion de pécher dans la mesure où elles chantent les louanges des passions et des vices. Elles entraînent la jeunesse en dehors du droit chemin. Elles projettent une fausse lumière sur la vie. Elles énervent et ridiculisent les conseils évangéliques de perfection. Elles suppriment l’amour chaste, la sainteté du mariage, l’intimité familiale. Elles sont de nature, enfin, à susciter des préjugés et de faux jugements entre les hommes, entre les classes sociales, entre les nations et les races ».

Le bon film « délasse et divertit ; il encourage et stimule au bien ; il donne les meilleurs conseils ; il fait connaître les gloires et les actions de toutes les nations ; il propose la vérité et la vertu sous un jour attrayant ; il fait naître et favorise le désir d’une meilleure connaissance mutuelle entre les divers pays et les races diverses ; il soutient la cause de la justice, il entraîne à la vertu ; enfin il collabore de tout son pouvoir à l’élaboration d’un nouveau et meilleur statut de l’humanité ».

Comme l’indique son titre, le document insiste sur la nécessaire vigilance, afin que le cinéma ne se transforme pas en école du vice, mais qu’il collabore à l’éducation, à la promotion de l’homme et au relèvement de la dignité des mœurs. 

Le cinéma est une forme de délassement et d’éducation. Pour résoudre le problème du cinéma, il est bon d’arriver à produire des films inspirés des principes chrétiens. Ces films auront mission d’exprimer l’idéal chrétien et de contribuer à la véritable éducation des masses. Vigilanti Cura, déclare que « les cinémas sont de véritables écoles, où se donnent des leçons susceptibles d’entraîner la plupart des hommes soit au bien, soit au mal ». Soucieuse de sauvegarder les bonnes mœurs, cette encyclique institue officiellement dans chaque pays un classement moral des films.

Il faut dire que l’Eglise catholique tient ici à imposer ses vues ; il n’y a donc pas de place pour l’espace public, conçu comme un lieu de rencontre de toutes les idéologies. Elle se pose ainsi comme instance de jugement et d’appréciation de tout ce qui touche à la vie de l’homme et à l’organisation de la cité. Elle a une double tendance : condamner et organiser. Elle condamne tout ce qui enfreint la morale catholique et fait des propositions, mieux elle dit comment les choses doivent être et donne des directives. Avec Vigilanti Cura, les bases d’un long débat sur la communication sociale sont jetées. L’Eglise catholique ouvre une brèche dans le monde de la communication.

De ce qui précède, il convient de signaler également que le film est le reflet de la société. Il véhicule l’information, il contribue à éclairer certains comportements et développe le sens du jugement. Qu’on le veuille ou non, le public qui assiste à une séance de cinéma, fait sa propre autocritique. Toutefois, le soutien de l’Eglise est fondamental, car le jugement de l’homme a besoin d’être éclairé et ce, en rapport avec les préceptes chrétiens. Cela entre dans le cadre de sa mission dans le monde. L’Eglise catholique, consciente de son rôle de « mère » et d’«enseignante » (Mater et Magistra) ne veut rien négliger de tout ce qui touche à la morale et considère qu’il est de son devoir de guider les hommes. L’Etat en la matière n’a qu’un rôle limité.

« Magistra, bien plus que mater » jusqu’à Jean XXIII, l’Eglise catholique se met à occuper le terrain dans le domaine du cinéma comme dans celui des autres médias. Elle ordonne et oriente. Loin du discours conciliant et diplomatique inauguré par Vatican II, elle cherche à imposer ses vues. Elle n’est pas à l’écoute du monde, le dialogue avec la culture n’est pas à l’ordre du jour. A partir de Vatican II, l’Eglise catholique observe, écoute, dialogue, intervient et propose. Elle prend conscience du fait qu’elle vit dans le monde (Cf. le document conciliaire, « l’Eglise dans le monde de ce temps »). Dès lors, elle cherche à comprendre avant de pouvoir dialoguer. L’on sait par ailleurs qu’elle prend le temps nécessaire avant d’agir.

Frédéric Barbier et Catherine Bertho affirment que le contenu d’un film doit répondre aux attentes du grand public, tel que les producteurs se le représentent, mais il doit aussi, dans une certaine mesure, satisfaire les désirs du public cultivé, et surtout ne pas provoquer la colère des ligues familiales et religieuses, voire répondre à leurs exigences. En effet, selon l’Eglise, l’homme est un être à la fois pécheur et sauvé ; capable de faire le bien tout autant que le mal. Ainsi donc, pour faire le bien et éviter le mal, l’homme a besoin de la grâce de Dieu. Il doit être aidé et non laissé à lui-même. Voilà pourquoi l’Eglise catholique suit de très près ce qui se passe dans le monde du cinéma.

Après 1945, des dizaines de textes pontificaux et épiscopaux portèrent principalement sur le cinéma, mais aussi sur la radio et la télévision. Le ton vis-à-vis de ces techniques modernes annonce progressivement l’attitude résolument optimiste et confiante du concile Vatican II. On parle davantage de la responsabilité et de la liberté des acteurs – producteurs et récepteurs - de la communication. Cependant, ci et là, des mises en garde devant les dangers et le manque de moralité de certains producteurs ont encore tout leur poids.

Autour de Pie XII qui a compris que le cinéma est devenu « la plus grande école populaire », de nombreuses autorités religieuses se lancent dans cette nouvelle aventure.

Notes
239.

F. Barbier et C. Bertho Lavenir, Histoire des médias. De Diderot à Internet, édit., Armand Colin, 2003, p. 206.

240.

M. Boullet, Le choc des médias, (L’héritage du Concile), édit., Declée, Paris, 1985, p. 14.