1.3. Pie XII et l’encyclique Miranda prorsus 246 (8 sept. 1957)

Cette lettre s’inscrit dans la continuité de l’encyclique Vigilanti Cura de Pie XI et sa publication coïncide avec le vingt-cinquième anniversaire du premier message radiophonique de ce dernier. On y trouve des directives sur le cinéma, la radio et la télévision.

Pie XII reconnaît que les médias ont une influence sur la manière de penser et d’agir des individus dans la société. C’est dans ce sens qu’il estime nécessaire pour l’Eglise de « protéger de tout péril ses fils engagés sur la voie du progrès ». Une autre raison qui pousse l’Eglise catholique à s’intéresser aux médias, c’est qu’elle a elle-même un message à transmettre aux hommes, le message du salut éternel. C’est pour le salut éternel des âmes qu’elle traite des questions liées au cinéma, à la radio et à la télévision.

Pie XII lance l’idée d’une commission permanente de la Curie romaine qui aurait pour tâche d’étudier les problèmes liés au cinéma, à la radio et à la télévision en rapport avec la foi et la morale et qui donnerait des directives nécessaires en la manière. L’on remarquera pourtant que ce souhait qui avait déjà été formulé par Pie XI, se ne réalisera que sous le pontificat de Jean XXIII.

Cette encyclique comprend deux parties. Dans la première partie Pie XII donne sa vision de la diffusion selon la doctrine chrétienne. Il s’agit en fait de parler du cinéma, de la radio et de la télévision dans le contexte de leur usage. Dans la deuxième partie, il aborde chaque média en particulier pour en dégager la spécificité.

Selon Pie XII, le cinéma, la radio et la télévision sont trois moyens de diffusion qui constituent chacun un fait culturel à part, avec ses propres problèmes artistiques, techniques et économiques.

D’autre part, l’accès aux techniques ne doit pas servir à la diffusion du mal moral. L’autorité civile est tenue de veiller sur ces nouvelles techniques ; mais cette attention ne peut se limiter à la défense des intérêts politiques, « elle doit aussi sauvegarder la morale publique basée sur la loi naturelle ». L’Eglise et l’Etat doivent afficher un intérêt positif et solidaire à l’égard des techniques de diffusion, pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle d’instruments de formation pour la personnalité de qui en use. Ces techniques abandonnées à elles-mêmes, favoriseraient l’abaissement du niveau culturel et moral des masses.

Les techniques audiovisuelles permettent de communiquer un message sur une vaste échelle au moyen de l’image et du son. Une telle forme de diffusion, qui sert également les valeurs spirituelles, est parfaitement conforme à la nature de l’homme qui arrive à la connaissance intellectuelle par la connaissance sensible.

Les trois principales techniques audiovisuelles de diffusion à savoir le cinéma, la radio et la télévision, ne sont pas simplement des moyens de récréation et de détente, ils transmettent des valeurs surtout culturelles et morales qui peuvent grandement contribuer au bien de la société moderne. Plus que le livre, ils offrent la possibilité de collaboration et d’échange.

Ce faisant, ces techniques audiovisuelles doivent être au service de la vérité et du bien. Elles doivent servir la vérité en renforçant davantage les liens entre les peuples, la compréhension mutuelle, la solidarité dans les épreuves, la collaboration entre pouvoirs publics et les citoyens247. Servir la vérité suppose de la part de tous non seulement de se tenir éloignés de l’erreur, du mensonge et de la tromperie, mais aussi d’éviter toute attitude tendancieuse et partiale qui pourrait favoriser dans le public des conceptions erronées de la vie et du comportement humain. Au devoir de servir la vérité doit s’unir l’effort pour contribuer au perfectionnement moral de l’homme. Les techniques audiovisuelles peuvent fournir une telle contribution dans trois secteurs importants : information, enseignement, spectacle.

S’agissant de l’information, le texte souligne que toute information si objective soit-elle, a un aspect moral : « l’aspect moral de toute nouvelle jetée dans le public ne doit jamais être négligé, car le rapport le plus objectif implique des jugements de valeur et suggère des décisions. L’information digne de ce nom ne doit accabler personne, mais chercher à comprendre et à faire comprendre les échecs, même les fautes commises ».

Pour ce qui est de l’enseignement, le film didactique, la radio et plus encore la télévision scolaire, offre de nouveaux secours, non seulement pour les jeunes mais aussi pour les adultes. Pie XII souhaite que les moyens audiovisuels soient utilisés pour compléter la formation culturelle et professionnelle, et surtout la formation chrétienne.

Enfin, le spectacle est généralement considéré comme une source de plaisir et en même temps il fournit des éléments d’information et d’instruction. Le spectacle comporte une présentation figurative et sonore et une trame qui s’adresse non seulement à l’intelligence mais à tout l’homme, subjuguant ses facultés émotives et l’invitant à participer personnellement à l’action présentée. Le cinéma, la radio et la télévision offrent chacun de nouvelles possibilités d’expression artistique et à cause de cela également un genre spécifique de spectacle, qui n’est plus destiné à un groupe choisi de spectateurs mais à des milliers d’hommes, différents par l’âge, le milieu et la culture.

Pour que le spectacle puisse remplir sa fonction, « il faut un effort éducatif qui prépare le spectateur à comprendre le langage propre à chacun dans ces techniques et à se former une conscience exacte qui permette de juger avec maturité les divers éléments offerts par l’écran et par le haut parleur, afin de n’avoir pas - comme il arrive souvent – à subir passivement leur influence ». Toutefois, l’éducation à elle seule ne suffit pas. Il faut que les spectacles soient adaptés au degré de développement intellectuel, émotif et moral des divers âges.

En effet, les progrès réalisés dans le domaine du cinéma, de la radio et de la télévision n’offrent pas que des avantages ; ils sont malheureusement aussi des dangers redoutables. « Ces moyens techniques – qui sont à portée de la main de chacun - exercent sur l’homme un pouvoir extraordinaire, conduisant aussi bien dans le royaume de la lumière, de la noblesse, de la beauté, que dans celui des ténèbres et de la dépravation, à la merci d’instincts effrénés, selon que le spectacle propose aux sens des objets honnêtes ou malsains ».

Les Offices nationaux permanents chargés du cinéma auront à dresser régulièrement les listes de films permis. Ils pourront se baser sur un certain nombre de sujets, notamment les sujets religieux, la présentation du mal et le respect dû à l’homme, à la famille et à sa sainteté, à l’Eglise et à la société civile. En effet, l’un des buts principaux de la classification morale est « d’éclairer l’opinion publique et de lui apprendre à respecter et à apprécier les valeurs morales sans lesquelles on ne conçoit ni vraie culture ni véritable civilisation ».

Le critique cinématographique catholique mettra l’accent sur un point de vue moral et formulera ses jugements en évitant de glisser dans un déplorable relativisme moral et de négliger la hiérarchie des valeurs.

La radio, souligne Pie XII, a le privilège d’être comme affranchie des conditions d’espace et de temps qui empêchent ou retardent tous les autres moyens de communication entre les hommes. Elle « permet de diriger à distance, vers des buts préétablis, des engins sans pilote ». Cependant, le plus noble service auquel elle a été appelée est celui d’ « éclairer et d’éduquer l’homme en dirigeant son esprit et son cœur vers des sphères toujours plus élevées de l’esprit ».

La radio permet d’entendre d’autres hommes et de suivre des événements lointains tout en demeurant chez soi, et de participer à distance aux manifestations les plus variées de la vie sociale et culturelle. Elle « permet d’ouvrir une fenêtre sur le vaste monde d’où arrivent jour et nuit des échos de la vie qui palpite dans les diverses cultures, langues et nations, sous la forme d’innombrables programmes riches de nouvelles, d’interviews, de conférences, de transmissions d’actualité et d’art, de chant et de musique ». Enfin, la radio permet de faire entendre le message de l’évangile au même instant à des milliers d’hommes.

Malgré la vertu éducative des bonnes émissions, la radio comporte en même temps des responsabilités, parce qu’elle peut être employée pour le bien et pour le mal.

Le devoir de l’auditeur est dans ce cadre, de faire un choix de programmes à suivre et de faire connaître aux responsables des programmes ses légitimes désirs et ses justes obligations. Ce devoir résulte de la nature même de la radio, qui peut facilement créer une relation à sens unique de qui transmet à qui écoute. « Les auditeurs doivent collaborer à la formation d’une opinion publique éclairée capable d’exprimer de façon convenable, approbations, encouragements et objections, et contribuer à ce que la radio, conformément à sa mission éducative, se mette « au service de la vérité, de la moralité, de la justice, de l’amour ». Enfin, les auditeurs ont le devoir d’appuyer les bonnes émissions.

La télévision a beaucoup de points communs avec le cinéma, en tant qu’elle offre à la vue un spectacle de vie et de mouvement ; il n’est pas rare en effet qu’elle recoure à l’usage du film. Sous d’autres aspects, elle participe de la nature et des fonctions de la radio, car elle s’adresse à l’homme à l’intérieur de sa maison plus que dans les salles publiques.

La télévision, outre les aspects communs aux deux précédentes techniques de diffusion, possède aussi ses caractéristiques propres. Elle « permet en effet de participer par l’ouïe et par la vue, à l’instant même où ils se passent, aux événements lointains, d’une façon suggestive, qui s’apparente à un contact personnel, et le sentiment de proximité s’accroît grandement à cause de l’intimité de la vie familiale ». Avec le grand avantage de maintenir plus facilement grands et petits à l’intérieur du foyer domestique, la télévision peut contribuer à renforcer les liens d’amour, de fidélité et de pureté.

La bonne volonté et la conscience professionnelle de celui qui transmet ne suffisent pas pour assurer le plein profit de la « merveilleuse technique » du petit écran, ni pour éloigner tout péril. La vigilance du récepteur est irremplaçable. La modération dans l’usage de la télévision, l’admission prudente des enfants selon leur âge, la formation de leur jugement sur les spectacles vus, et enfin leur éloignement des programmes qui ne conviennent pas, incombe comme un grave devoir de conscience aux parents et aux éducateurs.

Pour Pie XII, il est nécessaire et urgent de former chez les fidèles une connaissance exacte des devoirs chrétiens au sujet de l’usage de la télévision, afin que celle-ci ne serve jamais à la diffusion de l’erreur et du mal, mais devienne « un instrument d’information, de formation, de transformation ».

Pour finir, Pie XII demande aux prêtres de s’imprégner de la science, de l’art et des techniques modernes, pour autant qu’ils concernent la fin, la vie religieuse et la morale de l’homme. Ils doivent connaître les problèmes posés par le cinéma, la radio et la télévision et s’en servir quand la nature de leur ministère et la nécessité d’atteindre un plus grand nombre d’âmes le demande. L’intérêt accordé aux médias se concrétise avec Jean XXIII par la mise en place des institutions stables.

Notes
246.

Cette encyclique éclaire certaines prises de positions du concile Vatican II et des textes qui ont suivi.

247.

Ce discours sera repris également par Aetatis Novae