2.1.2. La doctrine de l’Eglise

Parmi « les tâches de l’Eglise », le document affirme « qu’il est du devoir de l’Eglise, d’une part, d’employer aussi les instruments de communication sociale pour annoncer son message de salut et, d’autre part, d’enseigner aux hommes le bon usage de ces moyens. Il est vrai qu’il ne revient pas à l’Eglise d’enseigner aux hommes les techniques journalistiques ou technologiques, mais qu’il lui revient d’éclairer par la lumière de l’Evangile, les principes et les hommes qui travaillent dans les médias ». Ce paragraphe souligne d’une part, qu’il appartient à l’Eglise non seulement d’utiliser mais aussi de posséder ses propres moyens pour la formation chrétienne, pour les actions pastorales. En d’autres termes, utiliser les médias est un droit et un devoir pour le catholicisme.

Le moins que l’on puisse dire est que ce fondement théologique est précaire. On a en effet l’impression que le document s’attache essentiellement à justifier le droit et le devoir de l’Eglise catholique d’utiliser ces moyens de communication pour diffuser son propre message. On note ici, la nécessité de former l’esprit critique. Les utilisateurs doivent être prévenus de la valeur des médias ainsi que de leurs limites afin de mieux s’en servir. D’autre part, l’Eglise ne se limite pas seulement à se servir des médias mais elle veut aussi être la « conscience » du monde en ce domaine précisément. Elle se donne la mission d’éclairer les usagers des médias, par la lumière de l’Evangile, afin que les moyens de communication sociale soient au service de l’homme et non le contraire. On a pour ainsi dire les prémisses de toute la question morale. C’est par cette porte que l’Eglise catholique cherchera désormais à peser sur la scène internationale en faisant valoir sa vision des médias.

Le paragraphe 5 aborde la question de « droit à l’information »pour toute société, fondée sur la vérité, la justice et la charité ; une information complète, honnête et convenable c’est-à-dire qui respecte les lois morales, les droits et la dignité de l’homme. « L’information, c’est-à-dire la recherche et la divulgation des nouvelles, s’avère en raison du progrès de la société humaine actuelle et des liens étroits qui unissent ses membres, très utile et, la plupart du temps, nécessaire. La communication publique et rapide des faits et des événements permet, en effet, à tous les hommes d’en avoir continuellement une connaissance complète, et donc de contribuer efficacement au bien commun, de sorte que tous puissent plus facilement travailler au progrès de l’ensemble de la société. Il y a donc dans la société humaine un droit à l’information sur ce qui intéresse les hommes, individuellement ou collectivement, selon la situation de chacun. Cependant, le bon usage de ce droit requiert que ce qui fait l’objet de la communication soit toujours vrai, intègre, conforme à la justice et à la charité, et que le mode de cette même communication soit honnête et convenable ».

Ce paragraphe est fondamental parce que les textes précédents (« Déclarations universelle des Droits de l’homme », et l’Onu, peu avant) mettent l’accent sur la « liberté de pensée et d’expression », et non sur le « droit à l’information » ; ils se situent pour ainsi dire du côté de l’Emetteur, en lui reconnaissant un rôle très actif dans la communication, ce qui est vrai. Ce faisant ils se focalisent sur le « droit de l’information ». Vatican II par contre, en voulant valoriser l’individu, agent et partenaire de la communication, parle du droit à l’information, qui est en fait le droit de celui qui reçoit l’information. Le droit à l’information est présenté comme un droit social au service du bien commun, en partant de l’utilité et de la nécessité de l’information dans la société moderne. Reste que l’Eglise a encore à s’appliquer cette disposition du décret en articulant secret et information ; ce qui est un défi à relever pour la communication en son sein.

Avec Vatican II, l’information n’est plus seulement un droit pour l’Emetteur ; c’est un droit commun que partagent l’Emetteur et le récepteur. Cependant, aborder la question des médias seulement du point de vu du récepteur, reste insuffisant. Le droit à l’information est inconcevable sans le droit de l’information. Les deux vont ensemble. La morale chrétienne ne peut négliger l’éthique de la communication ou la déontologie des médias. Cet aspect n’est ni relevé ni évoqué par le document conciliaire. Ce défi sera celui de Communio et Progressio.

Sur le droit à l’information, Pacem in terris introduit une réflexion tout à fait originale et pionnière, comme en témoigne cet extrait : « tout être humain a droit au respect de sa personne, à sa bonne réputation, à la liberté dans la recherche de la vérité, dans l'expression et la diffusion de la pensée, dans la création artistique, les exigences de l'ordre moral et du bien commun étant sauvegardées ; il a droit également à une information objective252.

Le paragraphe 5 parle du droit à l’information tandis que le 12 se penche sur les « devoirs des pouvoirs publics ». Ces deux paragraphes manifestent un progrès considérable, qui peut être vu comme un revirement dans l’attitude de l’Eglise sur deux points particuliers : la justification du droit à l’information et le rôle de l’Etat face à la liberté de la presse.

S’agissant des pouvoirs publics, ceux-ci sont positivement reconnus. Ils ont pour tâche de « défendre et protéger (particulièrement en ce qui concerne la presse) la vraie et juste liberté de l’information dont la société moderne a absolument besoin pour son progrès ». L’Etat doit aussi « favoriser les valeurs religieuses, culturelles, artistiques et soutenir les initiatives qui ne pourraient être réalisées sans son concours ».

La question du rapport entre « l’art et la morale » n’est pas non plus oubliée. Le document conciliaire souligne la primauté de l’ordre moral par rapport à l’art. L’ordre moral transcende et harmonise l’art.

Le texte parle aussi de « l’opinion publique, des usagers, des jeunes, des parents, des producteurs »(cf. paragraphes 6 à 11).Les paragraphes 8 et 9 abordent la question de l’opinion publique et des devoirs des usagers des moyens de communication sociale. Pour ce qui est des usagers, c’est-à-dire : lecteurs, spectateurs et auditeurs« ils doivent suivre des émissions qui présentent une réelle « valeur morale, culturelle et artistique », ils éviteront tout ce qui peut porter atteinte à leurs engagements religieux ». Les jeunes s’entraîneront à la modération et la discipline dans l’usage des médias. Les parents veilleront à ce que les « spectacles, les imprimés, etc., contraires à la foi ou à la morale, ne pénètrent pas dans leur foyer et que leurs enfants en soient préservés ailleurs » (§10). Ce discours reprend pratiquement ce qui a été dit au sujet du cinéma et notamment du film idéal.

La mission de l’Eglise étant de faire contribuer l’homme à la vie même de Dieu dans la profession de la vraie foi et dans des mœurs régies par la loi morale et les béatitudes évangéliques elle lance une invitation à tous les membres de la société pour assumer leur responsabilité d’usagers, de parents et de producteurs, afin que de saines « opinions publiques », fondées sur la justice et la vérité, exercent une influence sur la vie privée et publique des citoyens. Bref, Inter mirifica donne des considérations générales ou des principes généraux ainsi que des règles sur les moyens de communication sociale en mettant en relief le rôle de l’Eglise en tant qu’instance morale devant veiller au bon usage des médias. Ce document donne pour ainsi dire, le cadre dans lequel s’exerceront des réflexions ultérieures. Il pose les bases qui seront développées et affinées. Bien qu’il n’y ait pas de réflexion théologique sur les médias, ce document est historiquement majeur car il aborde les questions de société, notamment les médias, avec une ouverture qui a manqué au concile de Trente, à la Contre- Réforme et à Vatican I.

Notes
252.

Jean XXIII, lettre apostolique « Pacem in terris », 11 avril 1963, n° 12.