Concilier théologie et médias ou encore communication, n’est pas chose aisée pour les théologiens, d’autant que ces derniers ne sont pas enclins à manier les médias. Ils sont en général tournés vers le discours de l’Eglise qu’ils cherchent à comprendre en vue de l’expliciter et de l’éclairer. Or l’on sait que ce discours est souvent porteur d’une vision réductrice de la communication308. D’où la difficulté à se faire une idée assez large de la communication et des médias et de constituer un discours qui soit à la hauteur des enjeux de ce nouveau phénomène de société. La communication, dit Henri Bourgeois, est un phénomène global ou pour reprendre l’expression de Michel Serres, elle est un fait social total. Elle passe par le rapport direct, quotidien, spontané. Mais aussi par la médiation de technologies complexes, de structures économiques lourdes, de stratégies politiques élaborées. Elle n’est pas séparable des langages, des symboles, des esthétiques qui tissent la culture d’une société. Elle noue des routines quotidiennes et des pratiques professionnelles, des programmes et des publics, des stars et des anonymes, des appropriations et des résistances309.
Le modèle linéaire, instrumentaliste, qui a longtemps inspiré les linguistes, continue malheureusement de faire fortune dans l’Eglise. Selon Henri Bourgeois, les médias ne sont pas des outils, au sens habituel du terme, mais des opérateurs culturels. Ils articulent des techniques, du langage et du social. A considérer les médias comme de purs instruments, et providentiels de surcroît, on se fabrique une théologie de la croisade (les médias sont le champ de la bataille du péché et de la grâce), une théologie de l’interprétation (les médias sont la scène où Dieu nous fait signe aujourd’hui), une théologie de la distribution (la Bonne Nouvelle doit être diffusée à tous, et les médias en sont le moyen privilégié). L’intelligence des faits de communication exige une approche transdisciplinaire.
La théologie de la communication n’a pas pour mission de traduire les énoncés traditionnels–sur la Révélation, la Trinité, l’Incarnation, la Création, le Salut, etc. –en termes de communication. Elle est appelée à forger sa voie, dans la panoplie des sciences et à assurer son autonomie par rapport aux catégories traditionnelles de l’Eglise. L’on se tromperait, affirme Henri Bourgeois, si l’on ne plaçait la théologie de la communication que sur un axe religieux et ecclésial. Recourber la théologie de la communication sur le spécifiquement ecclésial l’empêcherait d’aider à dégager les enjeux du christianisme dans la société pluraliste d’aujourd’hui310.
Il dégage trois points touchant à la théologie de la communication :
1) Les actes que nous posons en tant que chrétiens et qui nous mettent en relation avec les autres (nous écoutons, témoignons, rencontrons, partageons, célébrons…). Ces actes désignés sous le terme d’« actes-relations » par Henri Bourgeois, sont susceptibles d’être éclairés à la lumière des savoirs contemporains de la communication.
En effet, le fait chrétien implique des relations entre Dieu et les humains, des relations entre chrétiens, et des relations entre les chrétiens et les autres.
2) La communication est un aspect essentiel de la vie de l’homme en tant que membre d’une communauté, « une catégorie anthropologique centrale ». Ce qui donne une perspective particulière pour une réflexion théologique.
3) Il est possible de relier les pratiques communicationnelles au mystère qu’atteste la foi religieuse, en usant du discernement.
Somme toute, une telle théologie peut bien s’appliquer en ecclésiologie, surtout quand elle est envisagée comme réflexion sur la vie en commun des chrétiens, sur les formes de coopération et d’échange entre baptisés, sur les rôles et les fonctions à l’œuvre parmi eux…Les analyses et les modèles de communication sont bienvenus lorsqu’il s’agit de travailler sur la prédication, la catéchèse, l’autorité, le ministère, etc. Selon Henri Bourgeois, la théologie de la mission et/ou de l’évangélisation apparaît bien comme le champ le plus fructueusement investi par la pensée communicationnelle, et il suggère trois orientations.
Premièrement, la question de langage. C’est une obligation pour la théologie de se mettre en phase avec le langage de la communication par un effort d’appropriation. C’est une vraie révolution sans laquelle elle risquerait de ne pas atteindre le vrai questionnement et les vraies réponses que l’on attend d’elle.
Deuxièmement, il appartient à la théologie de se laisser marquer, imprégner par la culture médiatique. Ce qui l’oblige à recadrer, à reformuler, voire même à déplacer et à modifier, ses conceptualisations. Troisièmement, elle doit être en mesure de porter un regard critiquer sur la culture de la communication et des médias et ceci au nom de la Parole de Dieu et de l’expérience chrétienne. Encore faut-il qu’elle soit utile et comprise, que la critique ne soit pas systématiquement unilatérale, qu’elle fasse droit à l’apport positif de la communication et qu’elle se fonde sur une compréhension des médias, de leurs processus et de leurs valeurs.
L’Eglise doit éviter la fascination messianique pour la culture médiatique. Cette culture constitue une œuvre humaine qui a ses revers de la médaille. Le fait de reconnaître et d’intégrer les médias dans l’évangélisation, ne doit pas faire oublier qu’elle communique avec la société de multiples façons. On peut mettre en avant les relations quotidiennes, informelles ou organisées, individuelles ou sociales. Le témoignage direct et immédiat, le compagnonnage au fil du temps, la célébration et la prière sont autant de manières pour les chrétiens d’être au contact de leur environnement et fidèles à leur mission.
En culture médiatique, l’évangélisation exige aussi de l’Eglise une certaine transparence qui va de pair avec sa propre cohérence interne. L’image que l’Eglise donne d’elle-même fait également partie de son message. Les rapports que les chrétiens ont entre eux au sein de l’Eglise, la manière dont ils vivent la charité au quotidien sont un grand témoignage pour le monde et en même temps une manière d’évangéliser le monde. Cette idée on la retrouve dans la Bible : « c’est par l’amour que vous aurez les uns pour les autres que le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples ». L’Eglise intègre cette vision dans sa vie en insistant sur la charité ou encore sur la charité pastorale. Encore faut-il noter que cela reste un défi permanent pour elle. En effet, l’Eglise qui annonce l’Evangile est en même temps un « instrument » au service de la vérité à laquelle elle peut faire écran en cas des dissensions, de manque de coordination, de non respect de la doctrine ou encore de manque de charité. Comme le rappelle Mac Luhan, le média, l’instrument est également le message. C’est dire qu’on ne peut pas concevoir le message en dehors de l’instrument qui le véhicule. L’instrument donne sens au message et en révèle la teneur. Dans ce sens le témoignage de vie de l’Eglise est un élément essentiel de son annonce de l’Evangile.
On peut retrouver les éléments qui sont développés dans ce point dans le livre Intelligence et passion de la foi, publié en hommage à Henri Bourgeois aux pages 273 -307.
H. Bourgeois, Op. Cit., p. 274.
H. Bourgeois, Idem, p. 275.
H. Bourgeois, Idem, p. 278-279.