Les milieux religieux sont accusés de mal communiquer, par peur de déranger des conformismes, d’être mal compris et mal traités311. Si les institutions religieuses s’équipent de mieux en mieux en moyens matériels d’information ( bulletins internes, presse de mouvements, radios, dossiers sur les événements) et se dotent d’un personnel de « communiquants » de bonne volonté, ce n’est pas dans les Eglises qu’on trouve les attachés de presse nombreux, professionnellement formés ( même si actuellement la situation a beaucoup évolué), capables d’anticiper la demande des journalistes, de prendre des initiatives, de les alerter sur ce qui va se passer, voire de les inviter, parfois sans motif précis, dans les périodes calmes, pour le seul plaisir d’échanger. Bien qu’actuellement, chaque diocèse soit doté d’un attaché de presse ou d’un responsable de communication, les structures communicationnelles ont encore du chemin à faire au sein de l’Eglise.
De nos jours, communication et Eglise forment un couple inséparable. Pour l’Eglise, il s’agit de sa « présence au monde » ou de son insertion dans la société, dans le registre des courants d’idées et des valeurs évoluant au gré des enthousiasmes et des peurs qui traversent l’opinion. Les médias sont un code, un lieu de transition et d’échange ; à la fois un moyen de communication et un espace de formalisation de l’émission et de la réception. Le monde médiatique est la nouvelle « place publique », le lieu de la parole, du langage, sous toutes ses formes. La présence de l’Eglise dans cet univers, en risquant une parole, n’est pas le fruit d’une mode, une matière à option, elle est inhérente à sa mission.
L’Eglise en débat, l’Eglise espace de débats, c’est l’un des enjeux de l’évangélisation aujourd’hui et demain. Non pas pour se servir des médias à des fins de prosélytisme ou de manipulation, mais pour aborder en toute loyauté les questions de notre temps et éclairer les choix qui décident de nos avenirs. Pour l’Eglise, communiquer ce qu’elle croit dans sa foi et son espérance, c’est privilégier l’amour de l’autre comme clef de sa doctrine et de sa morale.
Dans cette troisième Partie, notre préoccupation a été de montrer l’intérêt de l’Eglise pour les médias à travers quelques documents romains à ce sujet. Il s’est agi en fait d’analyser les sujets et les problématiques développés, pour enfin dégager la vision ecclésiale des médias. Il ressort de l’étude de ces documents cinq principaux centres d’intérêt : l’apport des médias au progrès humain, leur impact moral, notamment dans sa dimension sociale, une vision chrétienne de la communication, la conception de l’homme, la manière de transmettre le message. En d’autres termes, il s’agit des effets des médias, la place de l’homme sur qui s’exerce l’influence des médias, l’Eglise en tant qu’institution organisant la communication et qui a un message à communiquer. Ce message n’étant autre chose que la Révélation, la vérité, celle-ci pose problème au niveau de l’interprétation. Enfin, la question de la morale, basée sur le respect de l’homme et de ses valeurs.
En fait, l’Eglise se situe généralement dans la problématique des effets, c’est–à–dire dans un fonctionnalisme dont nous connaissons les limites. Au reste, si l’information n’est plus diabolisée, c’est encore une conception utilitariste et moralisatrice de celle-ci qui domine. Focalisée sur le processus d’influence c’est-à-dire sur la capacité d’un message à modifier le comportement d’autrui dans le sens d’une conformité, l’approche fonctionnaliste est incapable de rendre compte de la portée du travail des médias dans la généralité du social. Les médias ne sont pas toujours aussi puissants qu’on le pense. Le processus d’influence est un processus complexe qui intègre un certain nombre d’éléments : le choix d’émissions, la capacité de réaction des récepteurs, etc.
Le problème qui retient désormais l’attention est celui des conditions de la réception des messages. Au lieu de considérer comme auparavant que les effets des médias sont mécaniques (modèle stimulus–réponse), qu’un surcroît d’exposition entraîne un renforcement des effets (le modèle de « l’aiguille hypodermique ») et que les récepteurs constituent des réceptacles passifs et conditionnés, la recherche s’applique à mieux comprendre la nature des relais de toute sorte qui s’interposent entre les médias et leur public. Du coup, les rapports entre messages et récepteurs commencent à être analysées dans une perspective relationnelle. Il s’agit en somme de prendre davantage en considération les phénomènes d’« interprétation active » des messages par les auditoires, qui se traduisent par exemple par des distorsions, des altérations ou des malentendus. Une telle orientation s’impose de plus en plus dans la psychologie sociale de l’influence.
Nous pouvons distinguer quatre approches de la communication dans l’Eglise :
1. Les médias : « nouvelle place publique ». Jadis, la place publique était essentiellement la place du village, la sortie de l’église, le marché, le bistro…et l’événement évoqué au coin de la rue reprenait ou alimentait quelques rares chroniques ou gazettes. Aujourd’hui, sans nier l’existence et l’importance de ces relations interpersonnelles dans l’information et la communication, une chose est certaine, cette place publique est devenue planétaire et elle s’étend aux quatre coins de l’hexagone et du monde grâce aux médias.
L’espace ecclésial, n’est pas nécessairement un espace au sens habermassien, ni kantien. L’Eglise n’est pas un espace où l’on débat de tout, où l’on parle de tout. L’adage qui dit « toute vérité n’est pas bonne à dire s’applique mieux à l’Eglise ». Celle-ci ne conçoit pas la liberté d’expression de la même manière que le feraient les sociétés démocratiques.
2. La place de l’homme dans la communication. L’homme au centre de toute communication, telle est le point focal de tout développement au sujet des médias. Cependant l’homme bien qu’il reçoive des messages, des informations, n’est pas un simple réceptacle. Il a la capacité et la possibilité de réagir, de choisir ses émissions, etc. Voilà pourquoi l’éducation à l’usage des médias est très importante.
3. Le troisième point concerne la vérité. Car fondée sur la révélation, cette vérité existe, mais les textes qui en portent témoignage sont, eux historiques, d’où tout le problème de l’interprétation et de la tradition. La vérité fonde l’universalisme, et l’évangélisation, mais elle se heurte au « dilemme du missionnaire », à la question de l’historicité de tout texte (place de l’exégèse). D’autre part, dans un contexte où le relativisme prend de plus en plus de place, la « vérité biblique » a parfois du mal à passer. Elle est considérée comme une potion amère, un « diktat », et donc une contre vérité parce qu’elle ne répond pas nécessairement aux lois du syllogisme.
4. Un quatrième point est celui de la « morale », qui tient une place considérable comme « grille de lecture » de l’évolution des médias. L’Eglise se place naturellement sur le terrain de la morale, parce qu’elle défend la vie de l’homme. De part sa mission, son premier rôle ne peut être que moral. Ne dit-on pas que son autorité est d’abord morale ! Dès lors la morale devient comme une porte d’entrée dans tous les domaines. Ainsi à l’heure qu’il est, on retrouve l’Eglise sur tous les fronts, allant jusqu’à faire dire à certains qu’elle fait de la politique.
Pour méritoires qu’ils soient, tous les investissements entrepris n’ont pas permis de lever les malentendus dans la communication, d’améliorer la communication interne et externe, de rehausser une image parfois altérée de l’Eglise, bref, de favoriser une transmission moins réductrice de son enseignement et de convaincre davantage l’homme d’aujourd’hui de la pertinence de son message et de sa mission. L’Eglise a en fait une tâche urgente : passer d’une « pastorale » de l’information à une stratégie de communication.
H. Tincq et G. Defois, Op. Cit., p. 81.