Quatrième partie. Les pratiques de la communication dans l’Eglise de France. Enjeux et perspectives

L’évangélisation en France : regard sur l’histoire

L’Eglise de France est une portion de l’Eglise universelle ; celle-ci est une communion d’Eglises particulières ou diocèses (dirigés par des évêques) qui sont sous l’autorité du pape. Eglise universelle et Eglises particulières, constituent les deux faces d’une seule et même réalité fondamentale, à partir de laquelle ont été élaborées, à travers les siècles, un certain nombre de dispositions pratiques pour assurer l’évangélisation. Dès lors, connaître et comprendre le catholicisme d’aujourd’hui suppose de savoir d’où, historiquement, il vient ; dans quelles conditions il s’est façonné, développé, formulé, quelles influences culturelles et politiques il a reçues ; par quelles crises, épreuves ou réussites il a été marqué. A travers une histoire aussi longue, nous nous ferons une idée de ce qu’a été l’évangélisation dans les siècles passés. Ainsi, on verra « s’affirmer des permanences ou des évolutions, ou au contraire, comme des vagues successives apparaître et disparaître des phénomènes transitoires »312.

Le christianisme se répand en Gaule à partir des II ème et III ème siècles. Les évêques s’organisent en provinces, aux IV ème et V ème siècles, et se réunissent en conciles. Le premier épisode connu de cette histoire date de 177 et se passe à Lyon : c’est l’épisode des « Martyrs de Lyon » avec la mort de l’évêque Pothin qui avait été emprisonné et du martyr de Blandine et ses compagnons à l’amphithéâtre des Trois Gaules. Malgré ces persécutions Pothin a un successeur : Irénée, disciple de Polycarpe à Smyrne, lui-même disciple de l’apôtre Jean313 et le christianisme continue de se développer vers le centre du pays et en direction du Rhin. A la fin du III ème siècle on compte vingt-cinq cités épiscopales.

Durant les IV ème et V ème siècles, grâce à l’« édit de Milan », oeuvre des empereurs Constantin et Licinius - qui donnent à l’Eglise le droit de cité en lui accordant la liberté de culte et la restitution de ses biens confisqués – l’on assiste à l’organisation de l’Eglise en Gaule. Les diocèses vont être regroupés en provinces et des cités comme Bourges, Rouen, Sens, Reims, Lyon, Besançon, Tours, deviennent des métropoles ecclésiastiques abritant les sièges des archevêques, présidents des assemblées provinciales. En même temps, en réaction à la « mondanité » de l’Eglise, commence à se développer le monachisme, inauguré en Gaule, par Martin de Tours vers la fin du IV ème siècle.

La fin de l’Empire romain d’Occident, entraîne avec elle l’effondrement des cadres politiques et administratifs, la disparition des écoles, l’ignorance du clergé, l’évanouissement de la culture. Cela s’accentue avec les invasions barbares et entre la fin du VI ème siècle jusqu’au début du VIII ème les Eglises locales se replient sur elles-mêmes : on assiste à la fin du catéchuménat, on ne prêche plus ou presque plus, on n’instruit plus guère314. C’est le temps de l’Eglise mérovingienne et de la constitution de l’unité territoriale du royaume franc ; c’est aussi le temps de la naissance de l’Eglise de France.

Puis les Carolingiens (VIII ème - X ème siècles) succèdent aux Mérovingiens ; ils font alliance avec la papauté et réforment l’Eglise de France désormais tournée vers Rome. La dislocation de l’Empire au IX ème siècle laisse place au pouvoir pontifical qui revendique un droit de juridiction universelle, avant que l’Eglise de France n’entre, au X ème siècle, dans une période de troubles au cours de laquelle ses structures se mêlent à celles de la féodalité. Les Carolingiens, aussi bien Pépin que Charlemagne et Louis le Pieux, font de l’Eglise non seulement un pouvoir spirituel, politique, économique et culturel très réel, mais il lui procurent, en outre, une solidité d’organisation « qui la met à même, au cours des temps difficiles que furent la fin du IX ème siècle, le X ème et le début du XI ème siècles, de préserver l’essentiel de notre civilisation ».

On voit donc que dès les origines, l’Eglise franque est étroitement liée au monarque qui revendique son devoir de promouvoir la foi chrétienne, en veillant "à améliorer toujours l'état de ses églises". L’époque carolingienne finit sous les coups répétés des envahisseurs normands, des désordres intérieurs, des guerres entre les fils de Louis le Pieux, des invasions hongroises qui arrivent de l’Est. La fin du IX ème, le X ème et le début du XI ème siècle sont encore des siècles d’ignorance profonde où l’enseignement religieux demeure très limité. L’évangélisation se fait plutôt par imprégnation.

Avec le Moyen-Âge classique (XI ème-XIII ème siècles) les conditions culturelles s’améliorent. Les clercs sont instruits et ils dispensent un enseignement religieux sommaire à la masse rurale illettrée. A partir du XII ème siècle se crée une bourgeoisie urbaine qui accède progressivement à la culture ; d’abord à la comptabilité. Comme les princes et la haute aristocratie, cette bourgeoisie urbaine possède des livres et entend recevoir un enseignement religieux plus élaboré.

C’est à ce moment là que se développent les ordres mendiants (franciscains et dominicains) qui se mettent à prêcher dans les églises, les carrefours, les places publiques, etc. Le langage religieux de l’Eglise brave la polémique ; il s’agit de réfuter les hérésies.

Au début du XIII ème siècle, les controverses se multiplient entre cathares et catholiques. Grâce à des maîtres remarquables les universités éduquent les esprits à la scolastique et à l’art de la dialectique. Désormais l’Eglise manie à la fois le langage du cœur et celui de la raison s’appuyant sur la pensée philosophique de Platon avec Saint Augustin d’une part et sur la dialectique aristotélicienne d’autre part.

Aux XIV ème et XV ème siècles, l’Eglise est secouée par le Grand Schisme d’Occident (1378-1417), due à une crise pontificale : papauté bicéphale, voire tricéphale à une période. L’événement fondateur de la grande crise au sein de l’Eglise fut l’accession au titre de pape d’Urbain VI (1378-1389), successeur à Rome de Grégoire XI (qui avait résidé un temps à Avignon). Le collège des cardinaux, dominé par une majorité française, lui reprocha d’avoir ramené la papauté d’Avignon à Rome. Soutenus par le royaume de Naples, ils provoquèrent l’élection de l’antipape Clément VII (1378-1394) qui s’installa en Avignon.

Le concile de Pise, voulant régler cette crise, n’y parvint pas et ne fit que l’aggraver par l’irrégulière élection d’un antipape supplémentaire Alexandre V (1409-1410). C’est l’œcuménique concile de Constance, présidé par le cardinal Jean Allarmet de Brogny qui résolut enfin en 1415 le problème de cette monstrueuse bicéphalie (et, à un moment, tricéphalie) à la tête de l’Église. Jean XXII, antipape à Pise, fut déposé et le pape légitime Grégoire fut poussé à abdiquer (uniquement pour faire « table rase » de l’ensemble de la crise, ce que Grégoire XII accepta par esprit de paix). Martin V, élu le 11 novembre 1417 par un conclave composé de cardinaux et de représentants de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Espagne, de la France et de l’Italie, et avec l’appui du concile de Constance, s’installa à Rome en 1418, mettant ainsi fin au Grand Schisme.

Un siècle plus tard, l’on assiste à la diffusion des 95 thèses de Luther, début historique de la Réforme, en 1517. Ce passage d’un univers médiéval dans tout son éclat à celui de la Renaissance et de la Réforme se fait au cours d’une période tumultueuse, souvent tragique, dont émergeront un nouvel homme et un nouveau mode : ceux des temps modernes. Pour Luther et Calvin la lecture de l’Ecriture seule et le culte en langue vulgaire sont la base du langage de l’Eglise. Parmi les catholiques, certains sont désorientés par ce propos nouveau et violent des réformateurs. Les polémiques, les controverses publiques se multiplient et débouchent sur les guerres de religion dans beaucoup de pays d’Europe, en France notamment.

Pour faire face aux graves problèmes posés par la Réforme protestante, l’Eglise se réunit en concile à Trente (1545-1563). Il faudra un siècle à la France pour mettre en œuvre les décrets de ce concile. Des séminaires sont progressivement ouverts, le clergé est formé à la prédication, il dispose d’un instrument le catéchisme de Trente, le catéchisme romain de Pie V, de 1566. C’est ainsi qu’à la fin du XVII ème siècle, le pays atteint un sommet de la pratique religieuse et de la dévotion. Vers 1750 des signes de déclin sont observés mais il n’en reste pas moins vrai qu’à la veille de la Révolution le catholicisme reste toujours bien vivant, que le clergé est bien formé et prêche régulièrement et que le peuple est relativement instruit.

Avec la Révolution, l’Eglise de France perd sa situation privilégiée. Elle est réformée d’autorité puis persécutée. Cependant le concordat (1802) lui donne un statut officiel.

A la veille de la Révolution, la France comptait environ 60 000 curés et vicaires, auxquels s’ajoutaient une trentaine de milliers de chanoines ou de bénéficiaires sans charge d’âmes, et 82 000 réguliers dont près de 70 % de femmes. Ils ne sont plus que 30 000 en exercice à l’avènement de Louis XVIII, et l’on est passé d’un prêtre pour 500 habitants à un prêtre pour 1000. La timide reprise des ordinations après 1801 n’a pas compensé les décès au sein d’un clergé vieillissant. Sur 36 000 paroisses en 1787, 7 000 ont disparu, et 15 % des restantes n’ont pas de desservant. Dans une dizaine de diocèses, le déficit est supérieur à 40 %. C’est l’architecture même du catholicisme français, ce réseau de paroisses qui structurait la vie quotidienne depuis plusieurs siècles, qui est ébranlée en profondeur. Désorganisation, déclin numérique et vieillissement général illustrent les retombées immédiates de la fracture révolutionnaire315.

Jusqu’à la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, l’Eglise de France vit sous le régime concordataire instauré par la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802). C’est un texte de compromis entre Bonaparte et Pie VII tous deux soucieux d’apurer le contentieux entre l’Eglise et la France. Le Concordat rétablit la liberté et la publicité du culte, sous réserve du respect de l’ordre public, il consacre l’autorité spirituelle du pape sur l’Eglise de France et ouvre la voie à la restauration des paroisses. Mais l’Eglise de France a dû renoncer à récupérer ses biens vendus pendant la Révolution. En effet le XIX ème siècle connut un essor considérable des congrégations religieuses qui furent considérées comme une menace à l’esprit républicain.

Lorsque Waldeck-Rousseau prend la tête du gouvernement « de défense républicaine » en 1899, les relations entre l’Etat et l’Eglise sont tendues. Il réussit à faire voter la loi relative au contrat d’association par le Sénat le 22 juin 1901. La même loi est votée par la Chambre des députés le 28 juin, et promulguée le 1er juillet. Exaspéré par les interventions des congrégations religieuses dans les affaires politiques, il a voulu les soumettre au droit commun mais le parlement a fait voter un texte plus sévère que celui prévu par le président du conseil. Il s'oppose au sénat à l'application rigoureuse faite par son successeur à la loi de 1901, déplorant qu'on ait transformé une « loi de contrôle en loi d'exclusion ». Il combat enfin la séparation de l'Église et de l'État qu'il juge dangereuse. C’est dans ce contexte qu’on assiste à la fermeture d’écoles congréganistes (environ 2000).

L’Eglise catholique qui était, avant la Révolution, religion d’Etat n’est plus que « la religion de la majorité des Français ». C’est l’entrée dans la « laïcité » ; la religion est reléguée au rang des opinions privées. Aucune structure unitaire ne la rassemble. Il y a des évêques mais point d’épiscopat. Les tentatives de concile national furent repoussées tant par le Saint-siège que par le gouvernement. La séparation de l’Eglise et de l’Etat achève la mise en œuvre du programme révolutionnaire (1905). Le culte catholique n’est plus régi par le concordat. Tous les édifices affectés au culte et les autres locaux deviennent propriétés des communes.

Entre 1906 et 1907 il y a eu cependant une réunion des évêques de France pour réfléchir à cette loi de Séparation. Peu à peu les catholiques admettent la laïcité mais demandent qu’elle soit positive, non agressive316. A cet effet, Emile Poulat fait remarquer que la laïcité ne peut réduire la religion à une affaire purement et simplement « privée ». Il pose deux principes : liberté de conscience, liberté de culte. La première est personnelle, la seconde est collective. L’une relève du for interne, l’autre d’une activité sociale. Mais toutes deux s’inscrivent dans le champ des libertés publiques garanties par les autorités publiques317.

Si la veille de la Révolution a été une période d’équilibre religieux, sur le plan de l’évangélisation, l’Eglise avait retrouvé un équilibre de langage qui allait durer, avec des hauts et des bas, jusqu’à la fin du XIX ème siècle et au début du XX ème. Entre les deux guerres, le développement de l’action catholique a amené une certaine adaptation du langage au milieu social. En effet, les deux guerres mondiales, qui ont ravagé l’Europe et, en particulier la France, ont bouleversé les données d’une société conservatrice qui se nourrissait de l’utopie bourgeoise du progrès sans fin, grâce au triomphe de la science. Outre les ruines matérielles et morales qu’elles ont accumulées du fait, précisément des progrès scientifiques et technologiques, elles ont fait surgir de nouvelles idéologies autrement redoutables que le positivisme du XIX ème siècle puisqu’elles iront jusqu’à remettre en question l’héritage judéo-chrétien. Face à ces bouleversements, face aux nouvelles pauvretés et aux désespoirs inédits qu’ils ont fait naître, l’Eglise catholique, par ses prêtres mais, de plus en plus, par son laïcat engagé, s’efforcera de colmater les brèches et de proposer des réponses et des solutions.

La Seconde Guerre mondiale (1940-1945), la plus meurtrière, la plus inhumaine de l’histoire, fut un événement qui préluda à une véritable révolution culturelle dont le déploiement ne pouvait pas ne pas ébranler, sinon les structures, du moins les certitudes d’une Eglise qui, soudain, s’apercevait que la « chrétienté » - c’est-à-dire un monde où l’unanimité religieuse était de règle – s’était définitivement dissoute. D’où, des « révisions déchirantes », dont le concile Vatican II (1962-1965) sera comme la matrice318. Il authentifie l’évolution de l’Eglise de France en confirmant la plupart de ses positions théologiques et pastorales. Sur le plan structurel la hiérarchie épiscopale s’organise en « conférence des évêques de France ». Mais sur le plan pastoral, force est de constater que le mouvement très ancien de détachement de la religion s’est accru considérablement et qu’il constitue le problème principal auquel elle est confrontée.

Bref, selon Pierre Pierrard, de 1900 à 2000, l’Eglise de France et la société française ont plus changé que durant les trois siècles précédents. La société qui, en 1900, bien qu’en voie d’industrialisation, était encore largement rurale, a été bouleversée, au cours du XX ème siècle, par une accélération sans précédent de l’histoire, notamment par une technologie neuve et en perpétuel devenir qui rend caduques toutes les formes antérieures de communication et de pensée collective. En 1900, l’Eglise de France avait officiellement le nombre : les baptisés, les catéchisés, les ordonnés ; face au laïcisme et au positivisme affichés, elle croyait pouvoir montrer un visage revêche mais assuré, se porter garante d’une doctrine globalisante qui en interdisait l’accès à toutes les influences extérieures, considérées comme intrinsèquement mauvaises319. En l’an 2000, à la fin d’un siècle qui fut à la fois le plus étonnamment inventif et le plus cruel de l’histoire, l’Eglise n’ose plus comptabiliser ses forces : les masses semblent s’éloigner d’elle, ses séminaires et des noviciats sont maigrement peuplés, ses prêtres, ses religieux, ses religieuses ont majoritairement franchi les barrières classiques de la vieillesse… L’hostilité qui animait ses adversaires au début du siècle a fait place à une indifférence à la fois polie et insondable320.

On constate de nos jours, l’affaiblissement de la transmission familiale du patrimoine chrétien. On ne peut plus dire les grands-parents étaient catholiques, les parents le sont, les enfants le seront. A partir d’une même éducation, le choix des enfants peut être différent, par rapport à la foi, à l’appartenance ecclésiale ou à la demande de sacrements. Ceci contribue à la baisse du nombre des baptêmes (432.701 en 1993, on passe à 385.460 baptisés en 2002), des mariages (132.128 en 1993 à 110. 409 en 2002 sur 288. 000 mariages civils), des militants, des pratiquants. Le nombre de prêtres est passé en France de 30.909 en 1992 à 25.542 en 2002. Et cette baisse ne rend pas compte du vieillissement de ce corps sacerdotal. Si le nombre d’ordinations est resté stable pendant ces dix années (120 en moyenne par an), le nombre des séminaristes est passé de 1.172 en 1994 à 773 en 2003.

Dès lors, comment rejoindre les hommes et les femmes qui sont en quête de spiritualité ? Comment envisager une nouvelle évangélisation ? Le rapport de Mgr Claude Dagens publié en 1996 sous le titre Proposer la foi dans la société actuelle. Lettre aux catholiques de France, tente de répondre à cette question en exposant une nouvelle manière de concevoir l’évangélisation au sein de l’Eglise catholique de France.

Notes
312.

Théo. L’encyclopédie catholique pour tous, p. 207.

313.

Xavier De Montclos, Brève histoirede l’Eglise de France, (coll. Histoire), édit., du Cerf, Paris, 2002, p. 12.

314.

Chelini, J., Le caractère spécifique du langage religieux et les difficultés de son expression à travers l’histoire, dans Les Eglises et les Médias. Actes du VII ème Colloque international (du 15 et 16 avril 1993), Faculté de droit, Aix-en-Provence, p. 15.

315.

D. Pelletier, Les catholiques en France depuis 1805, (coll. Repères), édit., La Découverte, Paris, 1997, p. 3-4.

316.

Xavier De Montclos, Op. Cit., p. 141.

317.

E. Poulat, Où va le christianisme ? (coll. Encyclopédie des phénomènes spirituels), édit., Plon, France, 1996, p. 72.

318.

P. Pierrard, Un siècle de l’Eglise de France. 1900/2000, édit., Desclée de Brouwer, Paris, 2000, p. 125.

319.

P. Pierrard, Op. Cit., p. 229.

320.

Ibibem.