Comment évangéliser aujourd’hui ? Comment communiquer la foi ou encore l’Evangile dans le contexte actuel de la société française, marquée par l’individualisme et la laïcité ? Ces questions traversent toute la Lettre des évêques aux catholiques de France.
Cette lettre marque un changement de cap dans le vocabulaire pastoral de l’Eglise. Désormais l’« évangélisation » se comprend comme une « proposition » de la foi ou de la Bonne Nouvelle. Ce nouveau vocabulaire, disons-le tout de suite, s’adapte mieux au contexte de laïcité et d’ouverture, ainsi qu’au respect de chaque personne pris individuellement. Il est aussi l’expression de la reconnaissance du fait que l’Eglise de France a perdu la place dominante qu’elle occupait dans le pays. Elle partage désormais l’espace religieux avec d’autres religions notamment l’Islam, le Bouddhisme, etc. Selon les évêques de France, « l’annonce de l’Evangile est devenue aujourd’hui inséparable du dialogue interreligieux »321.
Dans cette lettre, il s’agit pour l’Eglise de regarder l’avenir sans renier son passé : « nous sommes, en tant que catholiques de France, les héritiers d’une longue histoire, que l’on peut toujours interpréter, mais qu’il n’est pas possible de nier »322.
Il s’agit dans un premier temps de regarder en face la situation réelle de la foi vécue. En d’autres termes, la démarche consiste à faire apparaître comment les catholiques vivent leur foi dans cette nouvelle situation, en relevant les défis auxquels ils sont confrontés. Parmi les indices de la crise qui mine l’Eglise l’on retiendra, la baisse de la pratique religieuse, la perte d’une certaine mémoire chrétienne, et les difficultés de la relève. Pour les évêques de France, « la crise que traverse l’Eglise aujourd’hui est due, dans une large mesure, à la répercussion, dans l’Eglise elle-même et dans la vie de ses membres, d’un ensemble de mutations sociales et culturelles rapides, profondes et qui ont une dimension mondiale »323.
D’autre part, les évêques soulignent le refus de se « résigner à une totale privatisation de la foi, comme si l’expérience chrétienne devait rester enfouie dans le secret des cœurs, sans prise sur le réel du monde et de la société ». Tout compte fait, « si l’Eglise catholique ne recouvre pas toute la société, si elle a renoncé à toute position dominante, elle demeure missionnaire : c’est-à-dire tournée vers tous et ouverte à tous… ».
Enfin, les évêques notent avec satisfaction l’évolution positive dans la conception que les catholiques se font de la foi. Elle passe d’une conception trop étroitement moraliste à une compréhension plus ample de la vie chrétienne considérée comme « vie dans l’esprit ».
En deuxième lieu, il s’agit de souligner les points forts et les point sensibles de l’expérience chrétienne, tels qu’ils émergent de cet effort de compréhension. Il est notamment question de dégager les lignes d’orientation pour l’approfondissement et la proposition de la foi. On y parle de Dieu et de l’homme, du mal et de la place de la morale dans la vie du chrétien.
En troisième lieu, il s’agit enfin de formuler des projets pour que l’Evangile soit effectivement vécu et proposé dans et par l’Eglise ; d’où le titre : « Former une Eglise qui propose la foi ». Cette partie est plus directement pastorale. Les évêques cherchent à comprendre pourquoi et comment l’Eglise est appelée à pratiquer une pastorale de la proposition de la foi, tout en acceptant d’être évangélisée elle-même.
La lettre des évêques distingue trois approches différentes de l’évangélisation : l’approche théologique où sont envisagés successivement les fondements christologiques de l’acte d’évangéliser, les étapes et les méthodes de travail d’évangélisation, son contenu et ses destinataires. L’approche pastorale par laquelle sont examinés les secteurs humains et sociaux (banlieues des grandes villes, zones de pauvreté, catégories socioprofessionnelles, etc.) où l’Evangile demande à être vécu et annoncé à frais nouveaux. Enfin, l’approche historique et sociologique, par laquelle on cherche à distinguer les divers modèles d’évangélisation qui se sont succédés en France depuis plusieurs décennies, depuis ceux qui évoquaient des projets de conquête jusqu’à ceux qui recommandent une simple présence qui peut aller jusqu’à l’enfouissement.
Tout en reconnaissant l’importance et l’utilité de chacune de ces approches, le document met en exergue « l’expérience de l’Eglise qui évangélise c’est-à-dire des actes et des pratiques qui deviennent des actes effectifs de proposition de la foi et qui peuvent être reconnus comme tels par tous les acteurs de la pastorale et de la mission chrétienne ».
En effet, selon ce document, les hommes et les femmes qui viennent à l’Eglise ne sont pas à considérer comme des clients de l’Eglise, prêts à consommer passivement ce qu’elle leur propose. « Ce sont d’abord des hommes et des femmes qui, par leur attente et leur démarche, attestent la liberté de Dieu et le travail de l’Esprit-Saint qui peut éveiller en tout être humain le désir d’aller au-delà de ce qu’il est immédiatement ». A leur manière, ces personnes rappellent à l’Eglise que le terrain primordial de l’évangélisation est celui de l’existence humaine et qu’il n’y a pas d’évangélisation authentique sans cette confrontation effective entre l’Evangile du Christ, la Révélation de Dieu et les attitudes profondes dont tout être humain est porteur324.
Au-delà des démarches et des conversions personnelles, « l’Eglise est reconnue comme un milieu de vie, où les choix des individus sont soutenus par la communauté des croyants, souvent aussi comme un lieu d’espérance au milieu des précarités de la société ».
La proposition de la foi comporte une dimension prophétique : car « l’Eglise ne peut appeler les hommes et les femmes à vivre selon l’Evangile, à chercher la justice du Royaume de Dieu, sans désigner et sans combattre les comportements, les mentalités, les structures et les engrenages économiques et sociaux qui s’opposent à cette vie selon l’Evangile et à cette justice du Royaume de Dieu ». « Nous sommes ainsi conduits, disent les évêques, au nom de notre foi, à participer aux débats et aux choix qui concernent les finalités de notre société, surtout quand il s’agit de reconnaître la dignité inaliénable de chaque personne humaine, en toutes circonstances, et de dénoncer cette logique perverse qui fait trop souvent passer les impératifs des techniques ou de la rentabilité financière avant les personnes ».
Parmi les terrains à explorer pour l’évangélisation, la lettre cite : l’intégration dans les banlieues, l’illettrisme, la solidarité avec les migrants, la présence des personnes âgées ou handicapées. « L’Eglise est toujours une Eglise du temps présent. Elle ne regarde pas son héritage comme le trésor d’un passé révolu, mais comme une puissante inspiration pour avancer dans le pèlerinage de la foi sur des chemins toujours nouveaux ».
A cette époque, le nouveau président des évêques de France Mgr Louis-Marie Billé, avait prononcé un discours, dans lequel il a souligné l’importance de la communication, « sujet qui traverse d’une certaine manière tous les autres dans ce document. Selon, lui, s’ils (les évêques) parlent de la communication, c’est pour que les hommes se relient entre eux, qu’ils « dialoguent » sur leurs raisons de vivre comme y invite le document Proposer la foi. S’ils parlent de communication, c’est pour que la parole soit donnée à ceux qui ne l’ont pas325.
Bref, dans leur analyse de la société et pour les besoins de la pastorale, les évêques ont parlé de la communication sans explicitement parler des médias. Cependant, ils ont énoncé des principes qui seront exploités par les médias catholiques. On pense notamment à l’accent mis sur le dialogue, la place de l’Eglise-communauté dans l’accompagnement des fidèles, son combat pour le respect de la dignité de l’homme, la prise en compte des attentes et des besoins de ce dernier dans le processus d’évangélisation, etc. Tous ces éléments seront développés dans cette partie consacrée aux pratiques des médias dans l’Eglise catholique de France.
Proposer la foi dans la société actuelle. Lettre aux catholiques de France, dans La Documentation catholique n° 21, du 1er décembre 1996, p. 1021.
Proposer la foi dans la société française actuelle. Lettre aux catholiques de France, dans La Documentation catholique, n° 21, du 1er décembre 1996, p. 1020.
Proposer la foi dans la société actuelle. Lettre aux catholiques de France, dans La Documentation catholique, n°21(1996), p. 1019.
Idem, p. 1034.
Discours de clôture de Mgr Louis-Marie Billé, Président de la Conférence des évêques de France, dans La Documentation catholique, n°21 (1996), p. 1049.