5. Une mutation dans la conception de l’Eglise ?

Pour comprendre le phénomène de la communication et de l’évangélisation par les médias au sein de l’Eglise, il serait intéressant de dire un mot sur le paysage religieux du monde moderne. Celui-ci, dira-t-on, est dominé par le déclin de la religion. Pour en parler, Danièle Hervieu-Léger, dégage quelques formes, notamment : la perte du pouvoir temporel de l’Eglise, séparée des Etats, le confinement de groupes volontaires, l’incapacité des institutions religieuses à faire appliquer par les institutions civiles les règles relatives au sacrilège, et plus généralement leur impuissance à contrôler la vie des individus, l’étrangeté des intellectuels à l’Eglise etc. La religion devient elle même un sujet de recherche scientifique et historique376.

Toujours selon notre auteur, la destruction des formes de solidarité du passé et l’effritement social des idéaux religieux sont deux processus totalement intérieurs l’un à l’autre : la religion décline parce que le changement social entame la capacité collective de créer des idéaux ; la crise des idéaux défait les liens sociaux. Cependant, ce qui sort de ce double mouvement, ce n’est pas la fin de la religion, mais la métamorphose de la religion. Celle-ci en effet, remplit des fonctions qui ne sont pas du domaine de la connaissance. Elle répond à certaines questions que les hommes continuent de se poser sur ce qu’ils sont et sur leur place dans l’univers. Elle éclaire certains enjeux moraux de la vie individuelle et collective. Elle répond au besoin des rites qui sont inhérents à toute vie sociale.

Mais, si la religion cesse, dans la société moderne, d’être le langage total de l’expérience humaine, elle continue d’être un élément nécessaire de la société future. Durkheim parle à ce niveau de la « religion de l’homme », porteuse des valeurs humanistes les plus hautes et fondée sur les dévouements, les sacrifices, une capacité renouvelée, pour les individus, de dépasser leurs égoïsmes et leurs instincts.

Ce contexte éclaire les défis de la nouvelle évangélisation. Pour faire entendre l’Evangile à travers les médias, « la réalité d’aujourd’hui exige que l’on sache maîtriser le langage, la nature et les caractéristiques des médias »377.

Aujourd’hui, on parle de plus en plus de « retour du religieux », de « renouveau du sacré »378. On remarque cependant un afflux des nouveaux adhérents dans les nouvelles communautés d’inspiration charismatique, une présence massive dans des lieux de pèlerinage (Lourdes, retraite spirituelle, etc.), un nombre important de téléspectateurs qui suivent la messe à la télévision (cf. l’émission Le Jour du seigneur). On remarque également parmi les auditeurs de la radio Notre-Dame 20 % de chercheurs de spiritualité ou de membres d’autres religions.

Face à la crise de la pratique de la foi, à la diminution du nombre des prêtres, et devant les défis de la nouvelle société où l’homme est fortement influencé par la communication et l’information, la plupart des gens choisissent de s’exposer aux médias en se soustrayant des structures de l’Eglise. Pour ce qui est de la participation aux messes, on peut supposer qu’ils sont très pris par leurs occupations journalières et ils réservent le dimanche pour rester chez eux. Mais cette raison ne tient pas, parce que la célébration eucharistique ne prend en général qu’une heure et qu’ils ont suffisamment de temps pour se reposer. On peut aussi supposer que les célébrations eucharistiques n’étant plus fréquentes, beaucoup de chrétiens en sont arrivés à perdre les habitudes. Ce qui est certain c’est que le nombre des pratiquants diminue de plus en plus. Mais la plupart des chrétiens garde le lien avec l’Eglise grâce aux médias. La pratique de la religion dans la nouvelle culture dominée par les médias révèle une nouvelle manière de concevoir la relation avec l’Eglise.

On suppose que les hommes ayant déserté les églises, trouvent dans la radio Notre-Dame et dans d’autres médias de l’Eglise, des substituts à leur besoin de croire. La religion que ces médias leur proposent, est une religion adaptée et ouverte, qui laisse la place à la liberté individuelle. Michel de Certeau la présente comme « un braconnage » des pratiques culturelles étendues aux pratiques cultuelles.

Aujourd’hui grâce aux médias, toute personne qui le désire peut vivre à sa manière une relation avec l’Eglise. La difficulté vient de ce que l’univers religieux créé par la communication est complexe et participe du caractère éclaté, mouvant, dispersé, de l’imaginaire moderne dans lequel il s’inscrit. Ce qui conduit l’homme à un conglomérat mal joint de croyances bricolées, qu’il tire de toute part pour satisfaire ses besoins de connaissances en matière de foi. Les connaissances restent pour ainsi dire subjectives et dépendent des situations concrètes auxquelles il est affronté. L’impact d’une telle croyance sur la société est, à tout le moins, problématique.

Mais cette religion bricolée n’a pas que des inconvénients. La radio donne à l’homme la possibilité de choisir ses émissions, de réagir et donc de garder sa liberté. Cette religion essaie de compenser ce qui manque à la religion structurelle. La religion se justifie désormais, par son rapport aux valeurs, parmi lesquelles on mentionnera : l’humanisme, la solidarité, l’éducation, le dialogue,…

Cependant cette religion en favorisant la recherche individuelle du salut, néglige l’aspect communautaire. En effet, on a du mal à se représenter un chrétien ou un croyant tout court, en dehors de toute communauté. On devient chrétien par le baptême c’est-à-dire en entrant dans une famille ou communauté qu’on appelle église ou paroisse. Dès lors on y lie sa survie religieuse, tout en restant libre. De ce fait, la religion que propose la radio, n’est qu’une étape vers l’intégration communautaire.

D’autre part, la pratique radiophonique de la foi peut se rapprocher de ce qui se passe dans le bouddhisme. « Religion à la carte », le bouddhisme fait partie de la réarticulation actuelle de la spiritualité. Un phénomène que les spécialistes voient à l’oeuvre également dans les grandes religions monothéistes379. On peut observer deux grands mouvements à l’œuvre dans la modernité religieuse : un courant de décomposition, lié à l’individualisation et à la mondialisation, se traduisant par une « subjectivisation » et un bricolage des croyances et des pratiques qui minent la cohérence et l’autorité des grandes religions. Le deuxième mouvement, bien plus restreint, concerne des individus qui tentent de réagir contre cette individualisation en agrégeant leur parcours spirituel solitaire à une lignée croyante, à une tradition ancienne. Or le bouddhisme active ces deux mouvements : par sa souplesse, sa fluidité et son caractère non dogmatique, il se prête bien au bricolage et à la religion en kit. En même temps, il offre des gages d’« authenticité » et d’ancienneté, ainsi que des maîtres spirituels expérimentés, qui rassurent un certain nombre d’individus peu tentés par une quête spirituelle solitaire. Bref, le défi essentiel pour le catholicisme en France reste sa confrontation avec la société contemporaine, ses cultures et sa modernité.

Notes
376.

D.Hervieu-Léger, La religion pour mémoire, (coll. Sciences humaines et religions), édit., du Cerf, Paris, 1993, p. 38.

377.

Jean- Paul II, Evangéliser par les moyens de communication sociale. Extrait de l’exhortation post synodale « L’Eglise en Amérique », publiée au Mexico, le 22 janvier 1999, n° 72.

378.

On constate en France que la plupart des gens qui ne vont pas à l’Eglise, participent à des retraites communautaires organisées par certaines communautés (La Flatière, Chateauneuf de Galaure, Marie Reine immaculée, etc. Mais cette tendance se confirme surtout du côté des Eglises évangélistes aux USA comme au Brésil et dans certaines parties du monde.

379.

Lire Florence Beaugé, « Vers une religion sans Dieu », dans Le Monde diplomatique, septembre 1997.