2. 1. 1. Négocier l’événement

Les cérémonies télévisées font intervenir trois sortes de partenaires. Les premiers décident qu’un événement aura lieu et le déclarent historique. Les seconds transposent l’événement sur les ondes et lui confèrent une nouvelle forme de publicité. Les troisièmes, sur place ou chez eux, manifestent par leurs réactions qu’ils l’ont ou non adopté. En d’autres termes, les cérémonies télévisées nécessitent la présence des organisateurs, des médias et du public.

Tout au long du déroulement de l’événement, il s’établit une négociation entre les trois partenaires. Celle-ci se fait dans le respect de certaines règles. Les organisateurs cherchent à avoir une transmission qui puisse reprendre l’essentiel de la cérémonie ou mieux « tracer » l’événement en respectant la logique de sa trame, le public attend « vivre » l’événement à sa manière à la télévision et enfin, les médias qui, tout en étant l’œil et l’interprète du public, en respectant les règles de la profession, ne veulent pas trahir les objectifs fixés par les organisateurs. Ainsi, lorsque la télévision accepte de diffuser l’événement, et qu’elle le fait dans le respect des objectifs fixés par les organisateurs, elle est loyale. Dès lors qu’elle accepte de prendre en charge un événement donné, elle vient à la rescousse de la version de l’événement que voudrait promouvoir ses organisateurs. L’inféodation fait ici place à la loyauté. En effet, la performance de la télévision altère profondément la nature de l’événement cérémoniel qu’elle transmet pour que l’on puisse à son propos parler de fidélité397.

Vis-à-vis d’un événement cérémoniel, la loyauté prend trois formes. Elle consiste avant tout à respecter la définition de celui-ci. Il s’agit de fournir les repères permettant à un événement d’être identifié comme cérémoniel, de transmettre ses caractéristiques distinctives ; de souligner ce que Searle appelle ses règles constitutives. Au-delà de cette loyauté la télévision tend à justifier la visée singulière de chaque événement. Enfin, la télévision protège l’événement… Elle lui sert de caisse de résonance. Elle veille à ce que son unité soit préservée de toute interférence. Les équipes de télévision ne se contentent pas de transmettre une cérémonie, elles lui confèrent sa forme finale. La télévision joue donc un rôle important dans la mise en scène et la transmission de l’événement.

La télévision événementielle, se caractérise d’une part par la dramaturgie cérémonielle et également par les gestes du public. Les réalisateurs illustrent les réponses du public en braquant leurs projecteurs sur les spectateurs présents. Il s’agit pour eux de transmettre des comportements jugés exemplaires. Il s’agit aussi de souligner la nature communautaire de l’expérience, l’unanimité de l’adhésion aux valeurs et aux symboles célébrés. Il s’agit enfin de montrer, non seulement l’intensité des sentiments manifestés, mais la diversité dont elle émerge. Au reste, la dramaturgie se présente comme un dialogue impliquant deux espaces distincts : celui de la performance et celui de l’action. Les témoins d’une cérémonie la font accéder à l’existence en y engageant leur présence, en la prenant en charge. Ainsi se définit l’espace d’une double performance rituelle, c’est-à-dire la validation de cette performance par le public.

Une cérémonie est un contrat accepté mais, ce contrat est un contrat à trois. Dans le cas qui nous concerne, ce contrat se fait entre l’Eglise qui programme l’événement, le public qui accepte d’y souscrire et les médias qui jouent un rôle déterminant. Parlant du rôle de la télévision dans l’identification de l’événement, on peut également souligner que la voix du narrateur a une place de choix dans ce processus. Le ton respectueux des présentateurs, leurs silences, leurs voix étranglées d’émotion sont aussi prévisibles que la présence des foules en liesse. Le respect qu’ils manifestent et le volume assourdi de leurs commentaires désignent la nature de l’événement.

En fait, les deux types de réponse – celle du narrateur et celle de la foule – sont utilisés au niveau de la bande-son comme des éléments interchangeables. On notera cependant, que la rumeur de la foule peut s’enfler jusqu’à submerger les murmures des commentateurs. Pour guider le public vers les significations dont l’événement est porteur, la télévision dote tout d’abord celui-ci d’un fil conducteur. Elle lui impose la cohérence d’un récit. C’est grâce à elle, que l’événement peut être représenté comme un récit à lire, à décrypter ou à analyser par les spectateurs. Avec elle, l’événement acquiert une existence autonome.

Notes
397.

D. Dayan et E. Katz, Idem., p. 80.