2. 1. 2. Transposer l’événement : la performance de la télévision

La télévision contribue au cérémonial en traçant les frontières de l’événement  et en dissociant ce qui restera de l’événement par rapport à un résidu voué à l’oubli. Ce faisant elle recrée l’événement. Une telle recréation donne prise sur le sens de l’événement. La cérémonie étant au cœur de celui-ci, sa transmission en direct varie fort peu d’une chaîne à l’autre. Ce qui différencie les chaînes entre elles, c’est la périphérie, c’est-à-dire des éléments qui ne jouent pas un grand rôle dans la trame du récit, mais qui peuvent l’éclairer. Chaque chaîne fait librement appel à des aspects qui lui paraissent susceptibles d’éclairer davantage les spectateurs. C’est ainsi qu’à partir du noyau que constitue le direct, l’événement peut s’étendre alors dans toutes les directions.

La télévision crée de nouveaux modes de participation. Mais quels que soient ses efforts, elle ne peut ni nous mener à l’événement, ni l’amener dans notre salon. Cet échec s’accompagne d’une offre de compensation. Il s’agit de dédommager des spectateurs qui n’auraient reçu qu’une expérience de seconde main en faisant ouvertement appel aux ressources du spectacle. Il s’agit d’offrir au spectateur un nouveau type d’expérience cérémonielle, expérience qui n’est accessible que chez soi ; de remplacer le « faites comme si vous y étiez » par la revendication du « n’y être pas ». La télévision accompagne le spectateur à travers les phases du rituel. De ce fait, elle joue un rôle traditionnellement dévolu aux officiants et aux prêtres. Elle fait entrer les fidèles dans l’univers liturgique. Dotant l’événement d’un contexte entièrement recréé, elle soumet ses spectateurs à une longue initiation. Avec la retransmission en direct, la réalité quotidienne est en effet mise entre parenthèses. Une autre réalité la remplace, irréfutable et éphémère.

Bouleversant les rythmes sociaux, la télévision procède à l’abolition provisoire des équivalences entre le travail et la vie sociale ; entre le loisir et la vie privée. C’est désormais par le loisir que l’on accède à la dimension publique de la vie sociale, et c’est en persistant à travailler qu’on réussit à s’isoler398… En d’autres termes, elle joue le pont entre deux mondes. D’autre part, l’initiation à l’événement passe par la voix des commentateurs ou du narrateur. La voix du narrateur se révèle donc un ingrédient festif. Elle affecte leur vocabulaire ; on pense ici à la concision dans les termes employés par le journaliste, qui suit un plan, une table des matières et se base sur un répertoire culturel. Cet apprentissage est offert aux spectateurs au cours d’une initiation qui comprend l’énoncé d’un programme, la description d’un itinéraire, la présentation des participants. Au moment où il s’engage enfin, l’événement reproduit une séquence connue. Il se déroule comme un jeu dont on sait les règles et dont on anticipe les mouvements.

On reconnaît souvent une cérémonie télévisée à sa réalisation proche du genre cinématographique, à son étalage de rhétorique visuelle : effets spéciaux, compositions frappantes, montages et juxtapositions. Souvent, l’événement sert de prétexte à des exercices de virtuosité.

Notes
398.

D. Dayan et E. Katz, Idem., p. 101.