2. 1. 3. Répondre à l’événement : l’expérience du public

Le public, sollicité par l’événement, est appelé à répondre. Dès lors, il est intéressant de savoir qui sont les spectateurs des cérémonies télévisées ? En quoi l’événement transforme-t-il leur rapport à la télévision et à leur propre domicile ? Quels sont les rôles qui leur sont suggérés ? Acceptent-ils de jouer ces rôles ?

La retransmission d’une cérémonie diffère profondément de la manière dont la télévision s’organise au quotidien, avec ses programmes, ses invités, ses journaux, etc. La télévision ordinaire culmine en début de soirée. Elle place son spectateur devant un vaste éventail de possibilités. Celui-ci doit choisir entre des chaînes, entre des programmes, entre des produits… Il revendique un rôle de consommateur, le droit de se distraire, l’accès à des univers exotiques ou strictement codifiés399. La réception d’une cérémonie télévisée se démarque de notre rapport ordinaire à la télévision. Les spectateurs sont prêts. Ils savent à quoi s’attendre car l’événement est précédé d’un flot d’annonces et de répétitions. Avec les cérémonies télévisées, la télévision construit un nouveau type de spectateur, différent du spectateur-consommateur. Les spectacles ne l’intéressent plus. Les informations, non plus… Les spectateurs des cérémonies télévisées sont unis par l’émotion que suscite la retransmission de celles-ci ; la télévision devient ainsi un moyen de se retrouver avec les autres et donc de socialiser.

Tout en rapprochant les hommes entre eux, la télévision cérémonielle leur permet aussi de s’exprimer en donnant leur point de vue sur l’événement. Ce qui favorise l’échange en créant un climat de convivialité. Selon Daniel Dayan et Elihu Katz, l’événement cérémoniel, en transformant l’espace privé du foyer, fait de celui-ci le site d’une expérience sociale, puis collective. Expérience sociale puisque les portes s’ouvrent et que se constituent de petites communautés de célébration ; expérience collective puisque ces communautés ont parfaitement conscience de l’existence d’autres communautés semblables, et puisque l’événement atteint ses véritables dimensions à travers cette multitude de micro-célébrations.

Recevoir l’événement, c’est entrer en interaction avec le montré, mais encore plus, avec le « hors champ ». C’est se reconnaître « convive ». La télévision ne se donne pas à voir, elle se donne à voir avec. Il s’agit bien d’entrer dans une collectivité400. On n’ignore pas que certaines discussions peuvent dégénérer et créer un climat de tension. Le nouveau spectateur est privé de la plupart de ses possibilités de choix. Rien ne sert de passer d’une chaîne à l’autre puisque les différentes chaînes montrent toutes le même programme. Par contre on peut noter la présence des programmes spéciaux, autour de l’événement et qui sont diffusés dans des circonstances qui ne sont plus à strictement parler celles de la télévision quotidienne. Ces programmes se développent dans un contexte qui les rapproche de la cérémonie ou de la fête. Diffusées par toutes les chaînes nationales, ces émissions sont automatiquement assurées d’un pourcentage d’audience qui tient la part du lion.

Pour éclairer la situation du public, Dayan et Katz, s’appuient sur la théorie des actes de langage d’Austin, notamment sur les familles des performatifs qu’on peut classer au nombre de cinq : les veridictifs (liés à l’exercice d’un jugement), les exercitifs (liés à l’exercice du pouvoir), les promissifs (liés au fait de se commettre), les comportatifs (liés à l’adoption d’une attitude), les expositifs (liés à la clarification d’un argument). Dans les confrontations, le public est appelé à prendre position, à prendre parti pour une équipe, à voter pour un candidat. Il a un rôle veridictif. Dans les conquêtes, le spectateur est témoin des exploits des organisateurs ; ce qui fait de lui le témoin de l’événement, il peut en parler à d’autres. Les conquêtes demandent à leurs spectateurs de se porter garants. Ils proposent un rôle, qui pour Austin, relève du « promissif ». Le public joue aussi un rôle « comportatif », fait d’émotions, de gestes et de langage ; c’est ce qu’on retrouve dans les couronnements.

Les cérémonies télévisées mettent en œuvre toute une série de performances : c’est le cas des organisateurs qui ont un rôle « exercitif ». Ils décident qu’un événement public aura lieu. La télévision se joint à eux, mais dans un rôle « expositif » qui consiste à expliciter le sens de l’événement. La performance du public est de l’ordre du « promissif » dans le cas des conquêtes, « veridictif » dans le cas des confrontations et « comportatif », enfin dans celui des couronnements. Tout ceci, à condition que le public consente, par sa présence, à valider l’événement.

L’adoption des rôles festifs suggérés par le texte des cérémonies télévisées présuppose que leurs spectateurs reconnaissent la validité du message cérémoniel. Accepter ce message, c’est reconnaître qu’il constitue une invitation au possible ; c’est changer de rapport à la réalité. Autrement dit, il s’agit d’accepter qu’il est possible de résoudre les conflits entre les hommes, de réconcilier les hommes entre eux, de bâtir une société fraternelle. Tout ceci constitue une utopie incarnée par le protagoniste et qui trouve écho auprès des spectateurs.

Notes
399.

D. Dayan et E. Katz, Idem., p. 119.

400.

D. Dayan et E. Katz, Idem., p. 146.