2. 2. 2. Le rituel du voyage

Depuis son élection à la tête de l’Eglise catholique Jean-Paul II ne se contente pas de rester au Vatican, il prend régulièrement son bâton de pèlerin pour visiter les Eglises locales de la planète. Il n’est pourtant pas le premier pape à sortir pour évangéliser en dehors du Vatican, avant lui, Paul VI avait pris l’avion pour se rendre à New York, à Jérusalem, en Afrique, précisément en Ouganda, etc. Mais ce qui frappe chez Jean-Paul II c’est la multiplication et la fréquence de ses déplacements, qui entrent dans la trame d’un rituel bien orchestré. C’est en 1979, que se met en place ce que l’on pourrait qualifier de « rituel du voyage apostolique » du pape Jean-Paul II.

Pour commencer, il y a « le vol papal » qui décolle de Rome avec à son bord, le pape et les cardinaux qui l’accompagnent, ainsi que des journalistes spécialisés (« les vaticanistes »). A la descente d’avion, le premier baiser du pape sur le sol du pays d’accueil413 ; l’accueil officiel par les chefs d’Etats, les rois ou les représentants des gouvernements ; les accolades avec les dignitaires de la hiérarchie locales ; le discours de bienvenue ; la première rencontre avec la foule ; la traversée de la ville dans la papamobile ; l’arrivée à la cathédrale, ou dans un stade pour une messe en plein air ; le dîner à la nonciature apostolique - l’ambassade du Vatican dans le pays visité - ou à l’archevêché, etc., le lendemain matin, reprise des visites officielles, gestes et discours religieux, etc.

Le baiser sur le sol est un rituel original, inspiré par Jean-Paul II lui-même et qui ne sera pas repris par Benoît XVI. Cette touche personnelle qui a une valeur hautement symbolique a contribué, croyons-nous, à rapprocher davantage le pape des populations visitées. Ce qui explique en partie l’attachement de nombreuses populations à sa personne, car, en bon pasteur, il voulait être partout chez lui et traiter les nations et leurs cultures avec respect et considération. Le pape s’est donc comporté en véritable missionnaire. On pourrait dire qu’à chaque fois que la télévision montrait ce pape courbé pour embrasser le sol, sale parfois, elle diffusait un message d’humilité, de simplicité, de proximité avec tous les hommes. Par ce geste il exprimait déjà le sens de son voyage que l’on peut résumer ainsi : « je vous apporte un message de paix et de tolérance, d’humilité et d’amour, vous pouvez m’écouter ». Selon Jean-François Tétu, l’incroyable charisme de Jean-Paul II, tient très largement à la « mise en scène » de l’ « humilité » et de la « souffrance »(la « Passion »), celui de Jean XXIII tenait davantage à l’« écoute ».

Notes
413.

D’après Daniel Dayan, le geste d’embrasser le sol des pistes d’atterrissage par le pape, est une façon de sanctifier le territoire entier du pays visité. Zones urbaines, terrains vagues et autres théâtres de la souffrance humaine sont instantanément transformés en lieux de culte. On peut à ce sujet lire son article : « Présentation du pape voyageur. Télévision, expérience rituelle, dramaturgie politique », paru dans Terrain, n°15, Octobre 1990. Le baiser du pape sur le sol du pays d’accueil peut aussi être interprété comme un signe de respect à l’égard de la culture du pays d’accueil, et en même temps un appel à s’ouvrir à l’évangile. En s’agenouillant, il dit quelque part au peuple qui le reçoit, « je prie Dieu pour vous », ou encore « je vous embrasse tous » en embrassant la terre qui vous porte, ou encore « je m’associe à vous » pour qu’ensemble nous allions vers Dieu. Ainsi s’ouvre la visite qui est en général toute pastorale. Jean-François Tétu pense que le premier baiser de ce type fut pour la Palestine, Terre « sainte » et ce geste spontané, a tellement « bien marché » qu’il est devenu rituel et mystique.