Le 28 janvier 1979 Jean-Paul ll se rend à Puebla au Mexique où il reçoit un accueil chaleureux ; ce fut son premier voyage à l'étranger. Il se rend ainsi à la basilique Santa Maria de Guadalupe pour célébrer la messe et inaugurer la troisième conférence générale de l'épiscopat d'Amérique latine le 29 janvier 1979 à Oxaca toujours au Mexique. Depuis, Jean-Paul II prend fréquemment son bâton de pèlerin, et ses déplacements à travers le monde mobilisent à la fois les médias, le peuple catholique et l'opinion publique. Ce phénomène, est surtout dû à sa capacité personnelle de mobilisation des foules, son art de susciter l'adhésion, au-delà même des seuls catholiques, l'audience dont il dispose dans une population jeune touchée, de plein fouet, par le processus social et culturel de la sécularisation.
Les commentaires qui entourent chacun de ses voyages révèlent les évolutions et les tensions que traversent les Églises locales. Ils manifestent aussi, à leur manière, quelques-unes des interrogations présentes dans les sociétés des pays qu'il visite.
Au 15 juin 2004, Jean-Paul II avait effectué 103 voyages à l'étranger, et visité 131 pays (dont huit fois la Pologne et six fois la France). Les périples les plus longs, en Asie en 1986 et en Amérique latine en 1987, ont duré plus de 13 jours. En Italie, le pape a effectué plus de 140 visites.
A la suite de Vatican II, les visites apostoliques marquent, d’une certaine manière, l’ouverture de l’Eglise au reste du monde ; en même temps qu’elles cimentent l’unité et montrent son universalité. Conçus et orchestrés comme autant d’événements médiatiques, les déplacements de Jean-Paul II sont avant tout des opérations « grand public » destinées à renvoyer une certaine image de l’Eglise. Ce qui montre que l’ère de l’utilisation des médias comme moyen de gouvernement de l’Eglise a bien commencé419. Pour Hervieu Léger la diversité des Eglises locales, si elle n’est pas un fait nouveau, est devenue, par le jeu des médias, un fait public420. En offrant plus d’images, en étant plus présent, en affirmant l’originalité de l’Eglise et son omniprésence sur la scène médiatique, Jean-Paul II s’est fait connaître. Il a « personnalisé » et « humanisé » l’Eglise… Par ses multiples voyages apostoliques il a contribué à soulever la question de la dimension religieuse dans la vie de l’homme. Sa présence à travers le monde a été un « stimulant spirituel ».
L’internationalisation de la Curie romaine, le rapprochement avec d’autres Eglises (dialogue interreligieux), l’exploitation des mouvements de l’Eglise qui sont en plein dans les médias (Opus Dei, L’Emmanuel,…), sont autant d’atouts de ce pape. Avec plus d’une centaine de visites à l'étranger, Jean-Paul II en a fait sinon le cœur de son pontificat, tout au moins le fer de lance. « De la même manière qu'il a entrepris la visite systématique des paroisses romaines et de nombreux diocèses italiens, il s'est lancé dans une exploration ambitieuse de la planète. Le bilan est impressionnant ; aucun chef d'État ne l’a encore égalé. Le pape voyage pour annoncer l'Évangile, pour confirmer ses frères dans la foi, pour consolider l'Église, pour rencontrer les hommes. En même temps, il désenclave le Vatican et oblige les bureaux de la Curie romaine à penser ailleurs qu'à Rome. La plupart de ces voyages, par l'ampleur des rassemblements suscités, font découvrir la figure du pape à des foules parfois bien éloignées du Vatican.
Avec son charisme et son indéniable talent de prédicateur, Jean-Paul II a été la personnalité la plus applaudie et la plus médiatisée de ces vingt dernières années. Il est allé partout dans le monde et a rendu l’Eglise présente partout dans le monde (…) ». Avec lui, l’Eglise est proche, familière, « gaie », « jeune »421. Sortant du Vatican pour se rendre sur le terrain des Eglises locales, Jean-Paul II reconnaît, de façon tout à fait explicite, la diversité du monde catholique, la variété des situations communautaires locales, la disparité des configurations ecclésiastiques nationales422.
Avec lui, l’Eglise reprend sa place de leader au concert des nations. Elle devient la cible des caméras, le pape s’expose et se faisant, il expose l’Eglise, l’ouvre à la modernité.
Grâce à ses multiples voyages, l’Eglise a bénéficié d’une vaste publicité. Partout où il passait, il plaidait la cause de l’Eglise, qui doit jouir de la liberté pour accomplir sa mission. Le pape a su apaiser les tensions, là où il y en avait, entre certains chefs des Eglises locales et les représentants des Etats. Ses voyages ont contribué à faire prendre conscience aux Etats de leur devoir d’assurer la liberté de culte. Le rapprochement avec d’autres Eglises a sans doute donné au monde un témoignage de charité qui a forcé l’admiration à l’égard de sa personne et ce faisant, le respect à l’égard de l’Eglise qu’il dirige. En culture médiatique, affirme Henri Bourgeois, l’image que l’Eglise donne d’elle-même fait forcément partie de son message.
Jean-Paul II étudiait et sélectionnait les questions qui font problèmes et y apportait sa vision, qui est en fait celle de l’Eglise. Il comprenait les besoins et les attentes de l’homme et de l’Eglise de son temps et essayait d’y répondre, même si l’on sait que cela n’a pas toujours marché. On évoquera ici les difficultés de faire passer dans l’opinion publique la position de l’Eglise sur l’avortement ou sur l’usage des préservatifs. Jean-Paul II avait compris que pour donner à l’Eglise un visage à la fois local et universel, il est important que chaque peuple ait ses références en matière de sainteté. C’est ce qui explique en partie les nombreuses béatifications ainsi que les canonisations.
Dans les pages qui suivent, nous allons nous pencher sur l’interaction entre le pape, les médias et le public pour analyser l’impact de la médiatisation des voyages pontificaux sur l’évangélisation. Pour faire cette analyse, nous suivrons le schéma de Dayan et Katz.
C. Colonna, Urbi et Orbi. Enquête sur la géopolitique vaticane, édit., La Découverte, Paris, 1992, p. 31.
Hervieu Léger, D., Art. Cit., p. 38.
Hervieu Léger, D., « Le Pèlerinage de l’utopie », dans Voyage de Jean-Paul II en France, p. 36.
Hervieu Léger, D., Art.Cit., p. 38.