1. Voyages pontificaux ou la conquête de l’opinion publique

Parmi les scénarios télévisés tels que nous les avons exposés plus haut, nous pouvons classer les voyages pontificaux et les JMJ dans la catégorie des conquêtes. Il s’agit pour ces deux événements de conquérir l’opinion publique en mettant l’Eglise et la religion au centre des discussions, en orientant tous les projecteurs sur ces événements qui occupent pour un temps le centre de la vie sociale et communautaire. La conquête pour les deux cas, repose sur le charisme de Jean-Paul II, qui a su mettre à profit les possibilités des médias afin de refaire la santé de l’Eglise et de l’auréoler d’une nouvelle image ; celle d’une Eglise moderne et proche de l’homme. La mise en scène de la rencontre des catholiques et de son guide, est la pièce maîtresse de la mobilisation.

A Ars, à Paray-le-Monial et au Stade de Gerland les catholiques ont réservé un accueil chaleureux au pape ; c’est d’abord la rencontre des catholiques et de leur pape. Jean-Paul II vient confirmer les catholiques dans leur foi et leur redonner des motifs de continuer à croire et à pratiquer leur religion. On comprend ainsi que certains sujets à caractère polémique, notamment sur la sexualité soient évoqués par le pape au stade de Gerland dans l’intention de dissiper les malentendus et de réaffirmer devant les jeunes la position de l’Eglise.

Produire de l’identité catholique vécue, tel est, d’après Hervieu-Léger, la fonction des voyages pontificaux et le sens de la mobilisation émotionnelle des fidèles qui accompagne, partout dans le monde, la venue du pape. Dans le contexte d’une France de vieille mémoire chrétienne, atteinte en profondeur par le processus moderne de la laïcisation, il ne s’agit pas seulement d’activer la conscience collective de la communauté catholique, mais de la recréer pratiquement423. Il s’agit pour lui de resserrer les rangs catholiques afin de renforcer le barrage de l’Eglise à l’avancée de la modernité, mais aussi de rendre à l’Eglise un espace d’intervention symbolique et à son discours une crédibilité nouvelle, en tirant parti de la conjoncture de crise et d’incertitude qui provoque une interrogation de la modernité sur elle-même424.

La rencontre du pape ne se limite pas aux catholiques ; elle concerne également une population beaucoup plus large constituée des spectateurs. Dans la représentation télévisuelle de la rencontre, les médias transforment les pèlerins en acteurs d’un gigantesque jeu scénique figurant l’existence collective de ce « peuple catholique » que la présence du pape reconstitue. Cette reconstitution est une donnée constitutive de la stratégie de mobilisation elle-même. Aussi le spectacle qui entoure le déplacement du pape ne doit pas seulement être regardé comme un décor, dressé comme toile de fond à des prises de parole dont le contenu seul importerait en fin de compte. Ce qu’il faut retenir, c’est une mise en scène de l’utopie catholique, que les discours ont pour objet de présenter, d’expliquer et de justifier rationnellement425. « Avec Jean-Paul II, estime Gérard Defois, archevêque-évêque de Lille, le pape n’est plus un gestionnaire de l’institution comme l’avait figuré le hiératique Pie XII, il devient un leader d’opinion ».

Notes
423.

Hervieu Léger, Art. Cit., p. 48.

424.

Hervieu Léger, Idem., p. 54.

425.

Hervieu Léger, Art. Cit., p. 43.