Présentation du plan

L'ordre de présentation des données et des méthodes suit la progression du travail qui enchaîne trois niveaux successifs d'analyse : le méso, le micro et la macro. Il aurait pu paraître plus logique de placer la partie consacrée au niveau méso entre les deux autres, mais elle est conçue ici comme une étape de cadrage permettant de situer les aspects institutionnels, économiques et professionnels sans lesquels le sens des pratiques échappe largement. Ces premières analyses posent donc les bases de l'étude des pratiques, qui à son tour ouvre la voie à une totalisation formulée en termes d'effets sur le marché. Il est certain que les structurations du milieu professionnel s'intercalent entre les pratiques et leurs effets, et représentent une médiation importante. Pour autant, la mise en évidence de ces structurations, qui repose sur l'observation des trajectoires professionnelles des membres et de la configuration de leurs rapports, constitue en tant que telle une étude complète qui, on l'a dit, ne correspond pas à notre objet. Sans ignorer totalement ces médiations, nous n'en retiendrons que les traits les plus saillants, l'objectif restant d'analyser le mouvement par lequel il est possible de passer de l'étude des pratiques à celle de leur place et de leur influence sur les mécanismes de marché. La théorisation de ce mouvement arrivera donc assez tard, après la description détaillée du cadre des activités des intermédiaires : même si les premiers développements ouvrent sur un certain nombre de questionnements et peuvent donner l'impression d'égrener des problématiques sans leur donner suite, la véritable théorisation se fera dans le second temps de ce mémoire.

Le cadrage occupera la première partie qui compte trois temps : les activités, les métiers, la profession. Tout d'abord, il s'agira de présenter le contexte institutionnel de la transaction instauré par la loi Hoguet, ainsi que ses évolutions et les débats qu'il suscite (chapitre 1). Les activités de transaction et de gestion sont en effet réglementées. Ce cadre institutionnel a un certain nombre d'implications, dont l'une, essentielle, qui permet au propriétaire de vendre même s'il a confié un mandat à l'agent immobilier : la portée est considérable pour la pratique de l'intermédiation immobilière et oblige à prendre en compte non seulement les ventes conclues par les agents mais également toutes celles sur lesquelles ils interviennent. Cela relativise la pertinence d'approches en termes de parts de marché et contraint à envisager les autres prises que les intermédiaires peuvent avoir sur les affaires qu'ils traitent. Par ailleurs, l'activité de transaction n'est pas réservée aux agents immobiliers, mais est ouverte à d'autres métiers, de telle sorte qu'il est nécessaire de distinguer entre les premiers et l'ensemble des professionnels de la transaction. Dans un deuxième temps, l'objectif est donc de clarifier cette distinction en situant les agents immobiliers par rapport aux autres métiers de l'immobilier. Au-delà d'un travail taxinomique, cette clarification suppose de rapporter ces métiers et leurs évolutions aux transformations affectant le secteur et les marchés de l'immobilier, afin de rendre possible une approche plus fine des mutations qui traversent les métiers de la transaction immobilière. Ce chapitre mobilise non seulement des sources secondaires mais également une partie des données produites (en particulier la base de données issue des fichiers préfectoraux) de façon à brosser à grands traits le portrait des entreprises immobilières dans l'agglomération lyonnaise et à préciser les caractéristiques sociales des agents immobiliers. Le troisième temps de cette description porte sur les rhétoriques qui construisent la profession comme telle.

Si cette partie est nécessaire, elle ne détermine pas mécaniquement la façon dont les pratiques doivent être abordées. Dans la deuxième partie, nous commencerons donc par construire cette approche (chapitre 4), d'une part en inscrivant notre perspective dans le cadre théorique de la sociologie économique et d'autre part en menant une lecture critique des travaux consacrés aux agents immobiliers, essentiellement des travaux de microéconomie que nous désignerons par commodité sous l'appellation de "microéconomie du brokerage" (de "broker", courtier, terme usé pour nommer les agents immobiliers dans cette littérature). Sans anticiper sur ce travail de problématisation, on peut dire qu'il conduit à recentrer le regard sur la position de l'intermédiaire et non sur celle du vendeur ou de l'acheteur qui est implicitement celle des modèles existants, et en particulier des modèles de principal-agent. Dans cette optique, deux composantes du travail des agents seront abordées successivement, même si elles sont mêlées dans la réalité. Nous analyserons tout d'abord (chapitre 5) les techniques commerciales, ou techniques d'intermédiation, mises en œuvre, la façon dont elles différencient les agences et leur permettent de se constituer une clientèle. Les engagements plus poussés dans la relation commerciale (relations de service, de conseil et négociation) prennent place dans les limites tracées par ces techniques d'intermédiation. Elles seront analysées (chapitre 6) sous l'angle de l'ajustement, de l'adéquation entre une demande et une offre. Deux grandes lignes organisent cette partie : d'une part la question du lien entre la place du bien sur le marché et la relation commerciale qui explore cette intuition du sens commun selon laquelle faire le choix d'un produit de consommation revient aussi souvent à faire le choix d'un vendeur, ou d'un intermédiaire; d'autre part la structuration et la différenciation des modes d'action et de présence des agents sur le marché.

La remontée en généralité s'appuiera sur ces deux lignes d'analyse. Partant du principe que l'influence des agents immobiliers est moins visible que leur présence (notamment du fait du grand nombre d'affaires sur laquelle ils détiennent un mandat, ou proposent une estimation gratuite), la troisième partie se penchera sur les effets de leurs pratiques à travers la notion de valorisation qui articule les prises qu'ils ont sur le marché à la façon dont ils en produisent une représentation qui agit sur son fonctionnement (en rendant un espace attractif, en préparant la substituabilité entre plusieurs biens, etc.) Le propos ne s'appuie pas seulement sur la systématisation des analyses menées dans la deuxième partie mais mobilise les données sur le marché, en menant une comparaison entre les tendances qui se dégagent de données classiques sur les prix et les quantités et le reflet qu'en donnent les annonces immobilières. Dans un premier temps, la valorisation des biens sera étudiée (chapitre 7) : nous verrons dans quelle mesure le processus de fixation des prix des logements peut être relié au système de références qu'installent les agents sur le marché. Il s'agira ensuite de se pencher sur la valorisation des espaces (chapitre 8). En effet, si les phénomènes d'appréciation et de dépréciation des marchés locaux et de leurs subdivisions sont des indicateurs des transformations sociales qui s'y déroulent (ou des permanences), le rôle pris par les intermédiaires dans les fluctuations des valeurs immobilières pose la question de savoir s'ils sont le relais de ces transformations (voire, dans une certaine mesure, les initiateurs) ou s'ils ne font que les suivre.