Chapitre 1. Section 1 : Des activités réglementées

La législation et la réglementation existantes sont un bon point d'entrée dans l'analyse des agents immobiliers, non seulement comme moyen de délimiter leur activité mais aussi en tant qu'acte de naissance de la profession sous sa forme actuelle, forme précisée et retouchée par la jurisprudence et la réforme. En effet, si une profession (et plus encore, les pratiques qu'elle recouvre) est irréductible à la réglementation qui l'encadre, voire à toute prescription, elle peut y trouver une ressource identitaire et une légitimité. On sait à cet égard que la reconnaissance par l'Etat est en France le principal moyen de consacrer la professionnalisation des métiers et des occupations 47 . Une illustration en est donnée par les brèves citations d'entretiens placées en exergue de ce chapitre, qui montrent la vivacité des représentations faisant de la loi le garant de l'excellence professionnelle. Ces citations sont loin d'être isolées et se retrouvent fréquemment dans les discours des professionnels.

De fait, au cours du XXe siècle, les organisations professionnelles ont recherché à inscrire leurs pratiques dans la loi et sont à l'origine de la plupart des dispositions actuelles. Une première chambre syndicale des agents immobiliers est créée en France en 1921, mais les syndicats actuels sont fondés après la guerre, en 1945 pour la CNAB (confédération nationale des administrateurs de biens) et 1946 pour la FNAIM (fédération nationale de l'immobilier), réunion de chambres syndicales locales et encore organisée sous forme fédérative. Les créations sont un peu plus tardives pour le SNPI (Syndicat National des Professionnels de l'Immobilier, syndicat national) et l'UNIT (Union Nationale de l'Immobilier) respectivement en 1960 et 1973. Le dernier en date est le Conseil Supérieur de l'Administration de Biens (CSAB) fondé en 1996 après une scission à l'intérieur de la CNAB. Ces organisations seront les principales inspiratrices de la législation sur les professionnels de l'immobilier même si, dans l'immédiat après-guerre, seule la loi n°47-1635 du 30 août 1947 48 relative à l'assainissement des professions commerciales modifie la réglementation. Les étapes suivantes seront l'interdiction de toucher de l'argent du client tant que la transaction n'a pas effectivement eu lieu (O.58-1229 du 16/12/1958), à l'exception des opérations de séquestre (L.60-464 du 17/05/1960), puis la séparation d'avec les administrateurs de biens et l'instauration du mandat (D.65-226 du 25/03/1965). L'aboutissement de ce parcours est la loi 70-9 du 2 janvier 1970, dite loi Hoguet, "réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce". Entrée en vigueur en 1973, elle a été modifiée par ordonnance en 2004 (O.2004-634 du 01/07/2004, appliquée en 2006), à la suite notamment du livre blanc sur la modernisation des professions immobilières, réalisé en 2002 sous la direction de Bernard Vorms (directeur de l'ANIL) et sur lequel nous reviendrons plus loin. La loi Hoguet assure le socle de la réglementation.

Le paradoxe apparent est que la loi Hoguet se fixe pour objectifs la sécurité des transactions et la protection du consommateur (qu'il faudrait en toute rigueur appeler investisseur). Celle de l'agent, par exemple par un statut, est secondaire. La protection du consommateur, préoccupation qui marque un infléchissement du droit par rapport à la conception originelle du code civil dans laquelle deux volontés librement contractantes cèdent ou échangent des droits de propriété souverains 49 , a ainsi été un moyen de justifier l'élaboration de règles spécifiques pour les agents immobiliers. En l'absence de corps, d'ordre, de charte déontologique commune à l'ensemble des agents immobiliers, ou, plus largement, de rhétoriques du désintéressement et de l'utilité publique comparables à celles des professions libérales, les organisations syndicales peuvent voir dans cette orientation du droit un élément étayant des arguments de type "honesty is the best policy". Il n'en demeure pas moins que cette demi reconnaissance n'assure pas l'autonomie de la profession. On peut certes l'expliquer par la faiblesse de la structuration interne du champ professionnel, mais cela renvoie aussi aux spécificités du contexte français. Il est ainsi possible d'invoquer la traditionnelle dévalorisation des professions commerciales, le manque de familiarité avec une culture du marché et du contrat, ou encore, dans une perspective croziérienne, la tradition d'évitement des confrontations directes, qui conduit notamment à se méfier d'un intermédiaire ou d'un négociateur non investi de l'autorité d'un agent de l'Etat 50 . Toutes trois se recoupent et, même s'il faudrait les nuancer, leurs déclinaisons sont effectivement lisibles dans les dispositions de la loi Hoguet.

Notre propos ne consiste pas à en repérer toutes les manifestations mais plutôt à voir comment, dans ce contexte, se définit l'intermédiation dans la transaction immobilière (terme que par commodité nous considérerons comme synonyme de négociation immobilière). Par ailleurs, l'orientation du texte de 1970 et les remises en cause qu'il a suscitées renseignent sur la façon dont s'est construite une profession autour d'une activité. Nous présenterons donc le contenu de la loi et de ses évolutions en commençant par les limites qu'elle trace à l'activité d'agent immobilier, puis en abordant les obligations qu'elle fixe sur la conduite de l'intermédiation immobilière.

Notes
47.

Cf. Claude Dubar et Pierre Tripier, Sociologie des professions, op. cit.

48.

Son objet consiste à restreindre l'accès aux professions commerciales en cas de condamnations antérieures et à définir les peines en cas d'infraction.

49.

Cf. M. Xifaras, La propriété, étude de philosophie du droit, Paris, PUF, 2004

50.

Pour des développements sur chacun de ces facteurs, voir respectivement Dubar et Tripier, Sociologie des professions op. cit. Vorms, Livre Blanc sur la modernisation des professions immobilières, op. cit. Et Bourdin et St Raymond (dir) L'influence des agents immobiliers sur la décision d'achat d'un logement ancien, op. cit.