… Exercées par quels acteurs

La loi consacre l'existence de deux métiers différents en instaurant deux cartes professionnelles, transaction et gestion, que nous désignerons respectivement par carte T et G par commodité 59 . La carte T autorise la recherche de locataires pour un propriétaire bailleur, de telle sorte qu'elle apparaît comme une carte d'entremise ne se réduisant pas totalement à la transaction. Un marchand de listes titulaire de la carte T, peut ne vendre que des listes d'appartements à louer. Il est en revanche interdit d'être à la fois marchand de listes et mandataire dans une transaction. La carte G quant à elle n'est pas uniquement une carte de gestion puisqu'elle permet également la recherche de locataires pour le mandant. Par ailleurs, il est possible de posséder les deux cartes. Les cartes professionnelles ne se superposent donc pas tout à fait aux activités recensées plus haut. Une des propositions (non retenue) du "livre blanc" consistait à ne conserver qu'une seule carte professionnelle, nécessitant des montants de garantie différents selon que le titulaire exerce la transaction sans maniement de fonds, avec maniement de fonds et/ou la gestion.

L'existence de cartes professionnelles singularise l'agent immobilier et l'administrateur de biens par rapport à d'autres professions immobilières comme les marchands de biens ou les promoteurs, dont l'activité (ou certains segments de l'activité) est encadrée mais pas les conditions d'entrée. Le contrôle de l'accès n'instaure cependant pas un degré de fermeture comparable à celui des professions à ordre ni, à plus forte raison, à celui permis par un numerus clausus. Très brièvement évoquée dans le livre blanc, cette solution de la limitation numérique est unanimement rejetée par les organisations professionnelles. Il n'existe pas à notre connaissance de position favorable à ce type de restriction pour les professions commerciales. Rappelons que la loi de 1970 place le curseur plus près du pôle de la protection du consommateur que de celui de la légitimation des professionnels, comme le montrent les conditions d'obtention de la carte professionnelle.

Celle-ci est délivrée par la préfecture qui est chargée d'effectuer les contrôles. Elle avait jusqu'en 2004 une validité d'un an et était renouvelable par courrier. La réforme a étendu cette durée à 10 ans avec l'objectif affiché de réduire les démarches administratives. On peut craindre que l'affaiblissement du contrôle conduise un certain nombre d'agences à ne pas se tenir à jour de leurs obligations, en particulier dans le domaine des garanties financières (cf. infra). Cette décision va toutefois dans le sens des perspectives ouvertes par le livre blanc et visant à laisser plus de place aux régulations internes à la profession. En ce qui concerne les critères d'attribution des cartes T et G, la modification est légère (décret 2005-1315 du 15 octobre 2005). Les critères sont au nombre de quatre.

Le premier exclut ceux qui ont fait l'objet depuis moins de dix ans d'une condamnation pour crime ou d'une peine d'emprisonnement une série de délits, parmi lesquels on retrouve l'abus de confiance, la fraude fiscale ou le proxénétisme (la liste est bien plus longue). Ce premier critère n'est pas sans rappeler la loi de 1947 sur l'assainissement des activités commerciales et n'apporte que peu d'éléments sur la définition de la profession.

Le critère d'aptitude professionnelle, reposant sur le diplôme uniquement ou sur la reconnaissance de l'expérience professionnelle, est plus intéressant à analyser. Il instaure une barrière à l'entrée sans pour autant définir les savoir-faire requis. Les diplômes demandés correspondent à trois ans d'études juridiques, économiques ou de gestion, un BTS/DUT de professions immobilières, ou encore le diplôme de l'institut d'études juridiques, économiques ou commerciales option vente et gestion d'immeubles. En ce qui concerne l'expérience professionnelle, il faut soit avoir un baccalauréat (ou équivalent) et trois ans d'expérience en transaction (pour la carte T) ou en gestion (pour la carte G) 60 , soit avoir dix ans d'ancienneté dans des activités immobilières (quatre ans pour des anciens cadres). Le principal changement par rapport à 1973 concerne la validation de l'expérience professionnelle pour les titulaires d'un baccalauréat avec le passage d'une année de pratique à trois au minimum. Cela signale un relèvement des exigences, sans bouleverser les critères d'aptitude. Bien plus, le développement des diplômes de premier cycle, et plus particulièrement des cycles courts (STS et IUT) provoque de fait un assouplissement des conditions d'attribution. Il n'y a pas de stage ou de vérification des aptitudes par examen. Ces vérifications existent pour les professionnels d'origine étrangère : au-delà des équivalences de diplôme qui dépendent des conventions entre pays, les préfectures disposent d'une certaine marge d'interprétation dans la reconnaissance de l'aptitude professionnelle et peuvent demander un examen sur les connaissances juridiques ou le niveau de Français. Comme tout contrôle administratif, celui-ci est soumis à un certain nombre de variations entre les préfectures, de fraudes (prête-nom ou exercice sans carte), ou de situations à la frontière de la légalité. Il peut arriver par exemple que le titulaire de la carte ait la majorité des parts de l'agence immobilière sans en être le gérant, ni même prendre part aux activités de l'agence. Néanmoins, au regard de la question du degré de fermeture et de la définition de ces professions, le problème de la validité des contrôles apparaît secondaire par rapport à celui des collaborateurs du détenteur de la carte et des autres professions autorisées à exercer la transaction sans carte professionnelle.

Il n'y a pas, pour les premiers, de validation de l'aptitude professionnelle, alors qu'ils engagent la responsabilité du détenteur de la carte. Même lorsque l'agence a des succursales, seul le responsable du groupe doit justifier de son aptitude et détenir la carte T. Deux statuts peuvent théoriquement être rencontrés parmi les collaborateurs. Le premier est celui de négociateur, salarié ou VRP, auquel s'applique la convention collective de l'immobilier (1990), pour lequel un lien de subordination existe. Le second est celui d'agent commercial, considéré comme mandataire du responsable de l'agence. Il doit être inscrit au registre du commerce, soit dans les activités immobilières (703A) soit comme intermédiaire du commerce (511), sans qu'il y ait, semble-t-il, de règle systématique déterminant l'un ou l'autre choix. Il doit par ailleurs détenir une autorisation préfectorale, distincte de la carte T et qui ne s'applique pas spécifiquement à la négociation immobilière. Le statut de l'agent commercial, à la fois indépendant et rattaché à une agence, soulève des difficultés dans la mesure où l'agent peut engager la responsabilité du détenteur de la carte T. Une hypothèse parfois avancée pour le faire évoluer consisterait à rendre obligatoire la souscription d'une assurance professionnelle distincte de celle du responsable de l'agence, mais ce point était encore en discussion au Sénat au moment de l'écriture de ces lignes. On trouve également dans les agences de nombreux commerciaux en convention de stage, en contrat de qualification, en alternance ou autre, amenés à effectuer le même type de tâches. L'absence de barrière à l'entrée pour les collaborateurs du directeur de l'agence est régulièrement dénoncée par la presse consumériste.

La seconde entorse à une règle stricte de fermeture est la possibilité qu'ont certaines professions de se faire intermédiaire sans carte T si cela ne représente qu'une part minoritaire de leur activité : il s'agit essentiellement des notaires, mais aussi des géomètres experts, des architectes et des huissiers. Par ailleurs, d'autres entreprises peuvent acquérir la carte professionnelle et exercer la transaction ou la gestion à titre secondaire, voire sous forme de filiales. Il y a un écart entre la liste des détenteurs de cartes tenue par la préfecture et les entreprises enregistrées au registre du commerce comme agences immobilières (sous le code APE 703A). Le terme n'est d'ailleurs pas réservé : d'autres professionnels enregistrés sous leur activité principale (promoteur, marchand de biens, etc.), détiennent une carte T et indiquent "agence immobilière" sur leur enseigne tout en ne pratiquant qu'occasionnellement la transaction. Ces précisions sont importantes pour décrire la diversité des acteurs : il faut distinguer entre l'ensemble des intermédiaires possibles (dont les notaires), l'ensemble des détenteurs de carte T, et les agents immobiliers au sens classique. D'autres professions peuvent intervenir autrement que comme intermédiaire rémunéré par une commission, en dehors du cadre de la loi Hoguet, sous la forme d'expertise ou de conseil. Les frontières sont moins floues pour les administrateurs de biens, même si la pratique courante de la double activité transaction et gestion peut compliquer le classement. Il en sera question de façon plus détaillée dans la description du milieu professionnel.

Les deux autres critères d'attribution relèvent plus explicitement de la protection du consommateur. Le détenteur de la carte doit souscrire une assurance en responsabilité civile (RCP) et, surtout, justifier d'une garantie financière affectée au remboursement des fonds déposés par les clients (en transaction comme en gestion). Le montant doit donc être au moins égal à celui des fonds que l'agent envisage de détenir. Ces fonds doivent également être déposés sur un compte séquestre. Même lorsque l'agence ne détient pas d'avances, la garantie doit être au moins égale à 30 000 euros. Il peut s'agir d'un cautionnement à la caisse des dépôts et consignations ou, la plupart du temps, de l'engagement d'une caisse de caution, qui peut être une banque, une assurance, un organisme spécialisé (comme la SOCAF ou la caisse de garantie de la FNAIM). Ce principe de garantie n'est pas réservé à l'immobilier mais peut se révéler contraignant pour de petites structures. Les agences sont parfois dépendantes de leur caisse de garantie, mais la réforme facilite le passage d'une caisse à l'autre pour les administrateurs de biens puisqu'ils ne sont plus tenus de notifier ce changement à leurs mandants. Auparavant, cette notification se faisait par voie d'affichage dans les immeubles, ce qui était souvent interprété comme le résultat de malversations commises par le gestionnaire. Au-delà de la relation entre caisses et agences, l'essentiel est le principe même de la garantie qui constitue une sécurité importante pour le client. Elle est complémentaire de l'interdiction faite à l'agent de recevoir une rémunération avant la conclusion effective de la vente. Ces deux dispositions constituent d'ailleurs les piliers de la réflexion sur une éventuelle législation européenne.

La création d'une agence est également soumise à un certain nombre d'obligations sur lesquelles il est possible de passer rapidement. Outre les conditions habituelles pour une entreprise commerciale (inscription au registre du commerce, réglementée par l'article L-121 du code du commerce, régime fiscal dépendant de la forme physique ou morale, soumission du chiffre d'affaires à la TVA), certaines dispositions sont spécifiques aux professionnels soumis à la loi Hoguet. Les principales sont les suivantes : indiquer le numéro de carte professionnelle sur les documents destinés au public, afficher les tarifs de commissions en agence, tenir un registre des mandats, et tenir un compte séquestre lié à la garantie. Les changements liés à la réforme de 2004 relèvent de la mise à jour : possibilité de percevoir des paiements par carte bancaire, d'avoir un cahier des mandats informatisé (même si une forme papier doit subsister), retrait de l'obligation de faire transiter les commissions par le compte séquestre. Cette obligation qui était considérée comme une bizarrerie car elle faisait courir un risque de confusion entre les fonds propres et ceux tenus pour le compte des tiers.

Notes
59.

Les acteurs les appellent en général cartes verte et blanche. On y ajoute la carte mauve de directeur de succursale et la carte grise d'agent commercial. Moins colorées, les appellations de carte T et G nous paraissent plus simples à mémoriser et à manipuler.

60.

Une application stricte du texte autoriserait l'attribution de la carte T à quelqu'un n'ayant pratiqué que la gestion immobilière, ou de la carte G à un professionnel de la transaction. Les préfectures préfèrent la plupart du temps, et logiquement, n'attribuer que la carte correspondant à l'activité déjà exercée, mais il existe ici une marge de manœuvre, en particulier pour ceux qui ont exercé dans des agences pratiquant les deux activités.