Les protocoles de la transaction : avant-contrats et contrats

Les développements précédents ont quelque peu anticipé sur le rôle de l'agent immobilier dans la rédaction d'actes de telle sorte que la présentation sera ici plus descriptive. La transaction immobilière se caractérise en France par la valeur contraignante des avant-contrats (qui sont bel et bien des contrats) et par la sécurité juridique qui entoure l'acte de vente. Ce dernier est nécessairement un acte authentique, enregistré par un notaire qui en vérifie la validité, tout en ayant la charge de la perception des droits de mutation. Cette disposition vaut pour les ventes d'immeubles, pas pour la cession de parts sociales 67 , de fonds de commerce, ni pour les locations. S'il n'y a pas eu d'agent immobilier ou si ce dernier n'a pas réuni les pièces nécessaires (titres de propriété, permis de construire, etc.), le notaire est chargé de pallier les manques. Les émoluments qu'il perçoit pour ce travail sont fixés réglementairement et se composent d'une partie proportionnelle au prix de vente (environ 1% du prix), augmentée d'une partie proportionnelle au montant des emprunts s'il y a une garantie hypothécaire, et de frais de dossiers. Lorsque plusieurs notaires interviennent, cette rémunération est partagée entre eux. S'il a mené la négociation, il a également droit à une commission comparable à celle de l'agent immobilier, fixée réglementairement et fonction du prix (en moyenne 3% du prix de vente). Les honoraires du notaire sont distincts des frais de mutation qui correspondent, pour les logements neufs, à la TVA et, pour les logements anciens, à des droits d'enregistrement fixés à 5,09% du montant de la transaction (ils étaient avant 1998 de 8% pour les locaux à usage d'habitation et 18% pour les autres). A cela s'ajoutent des frais de publication 68 et des frais annexes, pour la constitution de pièces administratives, ou les coûts pour le syndic de copropriété.

La place occupée par le notaire, officier public, dans l'enregistrement des transactions limite le nombre de contentieux. L'agent immobilier n'est pas impliqué dans cette phase de la transaction, même s'il doit attendre la signature de l'acte pour prétendre à sa commission. De plus, le travail du notaire (en particulier la quantité de travail qu'il doit fournir) dépend en partie de la qualité de celui réalisé au préalable par l'agent immobilier.

Dans le prolongement de cette remarque, il paraît important de souligner que la sécurité juridique n'est pas uniquement portée par l'obligation d'enregistrer la vente comme acte authentique : les avant-contrats jouent un rôle au cours de la négociation. Pour Amoyel et Moyse (op. cit.), ils sont justifiés par l'écart entre, d'un côté, le fait que l'accord de volonté soit constitutif du droit civil 69 , et, de l'autre, l'impossibilité de rédiger immédiatement un acte de vente définitif (ne serait-ce qu'à cause des procédures de vérification et de publication). Au-delà de la complexité juridique de la transaction, les avant-contrats permettent de garantir les engagements. Ils protègent contre les surenchères et les vendeurs contre des offres d'achat à un prix moins élevé. A cet égard, on oppose souvent les situations françaises et britanniques. Au Royaume-Uni, l'accord préalable n'engage pas définitivement et le vendeur peut accepter une offre à un prix plus élevé, laissant au premier offreur la charge des démarches entreprises (souscription d'un prêt, etc.) Cette pratique, nommée "gazumping" ainsi que celle, symétrique, du "gazundering" (lorsque l'acquéreur se dédit ou demande une baisse de prix au dernier moment), contribuent à allonger les délais de vente et suscitent de nombreux contentieux 70 . Cette comparaison montre que la notion de sécurité juridique de la transaction ne recouvre pas uniquement l'acte de vente mais également les étapes préalables, jalonnées par les engagements de chaque partie et les immobilisations qu'ils supposent pour leur vis-à-vis.

D'après l'enquête de l'ANIL mentionnée plus haut (2003), 4% des ventes seulement sont conclues sans avant-contrat. Ceux-ci peuvent être rédigés sous seing privé, entre particuliers, avec l'aide d'un agent immobilier ou d'un notaire, ou encore sous forme d'acte authentique. Cette dernière possibilité n'est pratiquée que dans la région parisienne, et se révèle plus rare en province. D'après l'enquête de l'ANIL, 7% des avant-contrats sont signés entre particuliers, 44% avec l'aide d'un agent immobilier et 49% avec celle d'un notaire. Des avant-contrats sont donc signés dans l'écrasante majorité des transactions, rarement sans l'intervention d'un tiers, et à part égale par des agents immobiliers et par des notaires. Comme on l'a vu précédemment, les fonds versés à l'occasion d'avant-contrats sont placés sur un compte séquestre et sécurisés par la garantie financière de l'agent immobilier. Une seconde protection est apportée pour les immeubles à but d'habitation par la loi SRU qui confère un délai de rétractation de sept jours 71 pendant lequel aucun acompte ne peut être versé. L'objectif est d'empêcher l'acquéreur de s'engager sous la pression. Trois formes d'avant contrat existent :

Ces contrats prévoient des clauses restrictives, qui peuvent être résolutoires (annulant le contrat si un événement se produit) ou suspensives (suspendant son exécution jusqu'à la réalisation d'un événement). On a évoqué plus haut un certain nombre de cas où le manque d'informations, sur la superficie, les servitudes ou les vices cachés, pouvait justifier l'annulation de la vente. Il s'agit de conditions suspensives de droit commun qui doivent figurer dans l'avant-contrat. Une seule autre clause suspensive est obligatoire : l'obtention d'un prêt 73 , ce qui constitue une originalité par rapport aux prêts à la consommation 74 . Si l'achat n'est pas financé par l'emprunt, l'acquéreur doit préciser qu'il y renonce. Les caractéristiques du prêt doivent figurer dans le compromis : si un établissement de crédit fait une proposition de prêt qui y correspond mais que l'acquéreur le refuse, il perd aussi le bénéfice de la clause suspensive. Il doit également avoir fait des démarches pour trouver un établissement de crédit. Cela protège évidemment l'acquéreur mais aussi le vendeur qui limite ainsi les chances de ne pas être payé. Les autres clauses peuvent porter sur la situation personnelle (licenciement, etc.), l'obtention d'une autorisation (notamment un permis de construire), ou encore sur la réalisation d'une transaction quand l'acquéreur finance son achat par la vente d'un bien. Au-delà de l'asymétrie qui peut exister dans la promesse unilatérale (asymétrie susceptible de donner lieu à une compensation), le champ couvert par les clauses suspensives est potentiellement vaste et relève de la liberté contractuelle. Derrière la question des clauses, l'enjeu pour l'enjeu immobilier est la capacité à fixer les termes de la transaction et à s'assurer des engagements des clients. Les avant-contrat ne débouchant pas sur une vente effective engagent parfois sa responsabilité, comme le montre ce commentaire de jurisprudence établi par les juristes de la SOCAF :

‘"Les époux X ont donné à un agent immobilier mandat de vente sans exclusivité pour une durée de 3 mois renouvelable dans la limite d'un an portant sur un immeuble. L'agent immobilier fait visiter le bien à Madame Y qui signe avec les vendeurs un acte sous seing privé de vente et verse un séquestre. Cependant, l'acquéreur ne se présente pas pour la signature de l'acte notarié de vente. Les vendeurs assignent alors l'acquéreur et l'agent immobilier en responsabilité et réparation des préjudices subis. ’ ‘"Les vendeurs exposent que l'acquéreur a adressé à l'agence un courrier l'informant de son intention de demander la nullité de la vente sur le fondement de l'article 46 de la loi du 10/07/1965 le compromis de vente ne faisant pas référence à la superficie du lot vendu. Ils font alors grief à l'agent immobilier de ne pas les avoir informés de ce courrier de sorte qu'en sa qualité de professionnel il a engagé sa responsabilité à leur égard.[…]L'attitude fautive de l'agent immobilier est donc source de préjudice pour les vendeurs. Le bien s'est trouvé immobilisé pendant de nombreuses semaines sans aucune contrepartie, puisque les vendeurs n'ont pu conserver le dépôt de garantie en raison de la mauvaise rédaction de l'acte par l'agent immobilier et ils n'ont pu le remettre en vente en raison du défaut d'information de l'agent immobilier à réception du courrier de l'acquéreur. L'agent immobilier a donc engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard des vendeurs et sera condamné à payer la somme de 7.600 € à titre de dommages et intérêts. (TGI de TOULOUSE du 19/03/2002)."’

L'intérêt de ce jugement ne réside pas tant dans la démonstration des fautes de l'agent immobilier (défaut d'information de l'acquéreur quant à la superficie, défaut d'information des vendeurs quant au désistement de l'acquéreur), que dans ce qu'il suggère sur la relation commerciale. On ne connaît pas ici le réel motif de départ de l'acheteur ("madame Y") : la superficie peut n'être qu'un prétexte pour un revirement, l'imperfection du compromis peut avoir suscité la méfiance, etc. Il est néanmoins possible de remarquer que ce départ suggère la faiblesse de la prise qu'avait l'agent sur l'engagement de l'acheteur, malgré la signature du compromis. Si les avant-contrat peuvent être vus comme un moyen pour l'agent de fixer les décisions des clients, ils ne constituent pas une garantie complète et peuvent recouvrir des situations diverses et des engagements plus ou moins fermes. Cette variabilité est encore accrue par le délai de réflexion instauré par la loi SRU.

Les avant-contrats ne peuvent pas être totalement standardisés à cause de la diversité des situations, du nombre de facteurs à prendre en compte et des vérifications à prévoir. Leur élaboration articule plusieurs domaines qui renvoient chacun à des connaissances différentes, techniques ou juridiques mais aussi financières et fiscales. Elle demande en outre d'anticiper les difficultés susceptibles de se poser, ainsi que des démarches et un temps assez long pour rassembler les pièces justificatives. Cela explique la rareté des avant-contrats rédigés sans l'intervention d'un professionnel. Les avant-contrats posent également la question de la répartition des rôles entre le notaire et l'agent immobilier, qui ne se limite pas à un partage des tâches. Si le premier peut concurrencer le second dans les activités d'entremise, l'agent ne peut rédiger des actes que dans le cadre des mandats qu'il détient. Il peut théoriquement être rémunéré pour la rédaction d'actes, mais dans les faits cela ne concerne que l'établissement des baux (cf. infra), pas les avant-contrats. Ces derniers sont alors considérés comme des services associés au mandat. En conséquence, et dans la mesure où sa responsabilité est engagée en cas d'erreur ou d'omission, il peut préférer inciter ses clients à passer par un notaire pour tous les actes. Cela ne le décharge pas des obligations du mandat, mais laisse en définitive subsister une certaine indétermination : si les pièces rassemblées par l'agent sont insuffisantes, le notaire sera chargé des démarches supplémentaires sans que cela remette automatiquement en cause le droit à commission puisqu'il faudrait que le mandat soit dénoncé pour manquement au devoir de conseil. A l'inverse, l'agent peut réaliser tout le travail nécessaire, facilitant considérablement le travail du notaire et laisser à ce dernier les honoraires de rédaction d'actes.

Notes
67.

A l'exception des cas où les parts sont considérées comme des immeubles : SCI de construction et vente de lots.

68.

En matière de transaction immobilière, la vente est réputée parfaite après publication aux hypothèques, qui rend la propriété opposable aux tiers. Cf. Amoyel et Moyse, L'agent immobilier, op. cit.

69.

Article 1853 du code civil : le transfert de propriété est reconnu quand les parties ont échangé leur consentement et "convenu de la chose et du prix". Donc le transfert peut être reconnu avant que la propriété soit opposable aux tiers, avant même que l'acquéreur prenne possession des lieux. Si un dommage intervient entre le compromis et l'acte de vente, il est à la charge de l'acheteur (article 1138).

70.

Cf. ANIL, "Le gazumping : information du client et fonctionnement du marché", Habitat Actualité, n°83, octobre 2002.

71.

Pour les actes authentiques, il s'agit d'un délai de réflexion : un consentement est donné au terme des sept jours, alors pour un acte sous seing privé, l'accord est signé mais peut être dénoncé au cours de la période.

72.

Il peut également s'agir d'un versement d'arrhes par l'acquéreur. Dans ce cas, si le vendeur se dédit, il doit verser deux fois le montant des arrhes à l'acquéreur. Le versement d'arrhes permettant aux parties de se départir de leur engagement est prévu par l'article 1590 du Code Civil. La récupération du dépôt de garantie ne peut se faire que si une clause suspensive n'est pas réalisée (article 1178 du Code Civil).

73.

Article L 312-1 à L 312-36 –Chapitre II du livre III du Code de la Consommation.

74.

Cf. Henri Heugas-Darraspen, "Achat immobilier : les conséquences d'une rupture de contrat", L'observateur de l'immobilier, n°39, 1998. Lorsque la non réalisation d'autres clauses suspensives conduit à la rupture du contrat, un risque supplémentaire est supporté par l'établissement qui accorde le prêt, dans la mesure où l'hypothèque consentie par l'emprunteur tombe.