1.2.2 L'évolution du cadre institutionnel

Les transformations instituées par la réforme de la loi Hoguet sont relativement modestes. Les principales concernent les locations touristiques et la vente de listes, mais pas le cœur du métier, la transaction. A l'exception des conditions de délivrance de la carte et de son renouvellement, elles ont principalement concerné des détails de gestion (possibilité d'informatiser le registre des mandats, d'accepter les paiements par carte bancaire). On a donc pu parler de "toilettage" 82 , même si la simplification qui en résulte pour les agents donne une certaine visibilité à l'action des syndicats. Elles étaient pourtant précédé d'une réflexion qui, sans remettre en cause les fondements de la loi, était plus ambitieuse. Le "Livre Blanc" en représente un bon résumé, dans la mesure où, entre le bilan de la loi et les propositions d'amélioration, on y trouve une analyse des enjeux auxquels la profession est confrontée. Il offre donc des développements plus riches que ceux du décret de révision. Plus généralement, l'intérêt d'une lecture constructiviste des textes, qui conduit à y voir la cristallisation des problèmes, des compromis et des rapports de force dans un contexte donné, vient de ce qu'elle restitue un état du débat sans donner plus d'importance a priori aux positions qui se sont imposées.

Le "Livre Blanc" considère dans un premier temps que la sécurité des transactions est assurée et souligne le fait que les associations de consommateurs ne demandent pas une réforme profonde de la loi Hoguet : leurs critiques portent avant tout sur la formation des collaborateurs, l'activité de marchand de listes et celle de syndic qui génère de nombreux contentieux. On a vu que la révision de 2004 modifiait le second point et que le troisième n'entrait pas dans le cadre de la loi Hoguet. D'après les auteurs du "Livre Blanc", la loi a permis la "moralisation" de la profession de telle sorte que l'enjeu est maintenant celui de la "modernisation", terme dont nous ne relèverons pas ici les connotations, et dans lequel entrent notamment l'adaptation aux nouvelles technologies, la formation professionnelle, la concurrence avec les professionnels européens et l'enjeu d'une meilleure information sur le prix et la qualité des biens. On peut s'interroger sur cette moralisation dans le contexte récent de hausse du nombre d'agences (cf. chapitre 2) : la "moralisation" résulte aussi des disparitions d'agences au cours de la crise des années 1990, et la reprise des créations s'accompagne probablement d'un nombre plus élevé d'agences sans carte professionnelle. Ce problème n'est toutefois pas abordé dans la "Livre Blanc" (sans doute du fait de sa date de parution et des acteurs interrogés) qui reste centré sur la modernisation. Celle-ci ne doit toutefois pas être promue par la réglementation mais par la régulation des organisations professionnelles, et en premier lieu des syndicats professionnels. On peut noter que ces derniers font partie des acteurs consultés pour l'élaboration du "Livre Blanc", ce qui n'a rien de surprenant, et qu'ils ont manifesté des positions convergentes (sauf pour les règles d'accès à la profession que le SNPI souhaitait assouplir). Les autres acteurs présents, outre des représentants des pouvoirs publics, étaient essentiellement les caisses de garantie, des établissements de crédit, des associations de consommateurs et d'autres professions (notaires, géomètres experts et huissiers). A l'exception de deux grands réseaux d'immobilier d'entreprise, les réseaux commerciaux n'ont pas été auditionnés 83 . L'orientation générale, donnant une grande importance aux syndicats professionnels et leur confiant le soin de promouvoir des régulations, n'est donc pas surprenante. Elle est par ailleurs cohérente avec le rôle qu'avaient déjà joué les organisations professionnelles avant la loi Hoguet. Le parti pris ne reprend donc pas la conception traditionnelle de la professionnalisation, selon laquelle seule une légitimation étatique apporte la reconnaissance demandée.

La position exprimée dans le "Livre Blanc" à propos de la réglementation est qu'elle a pour principal objectif la protection du consommateur, entendu ici comme personne physique réalisant une acquisition. Deux principes en résultent : d'une part réserver le cadre du mandat tel qu'il existe aux particuliers, en laissant notamment l'intermédiation dans l'immobilier non résidentiel relever de la seule liberté contractuelle, et, d'autre part, séparer ce qui relève de l'entremise de ce qui renvoie à la sécurité juridique de la transaction. Nous passerons rapidement sur le premier point, qui n'a pour l'instant pas connu de suite, et qui soulève la question de la taille des entreprises (un commerçant ou un artisan n'étant sans doute pas mieux informé qu'un particulier en termes de contrats immobiliers). Cette "liberté contractuelle" est dans les faits fréquente. Par exemple, les tarifs de commission pour la cession de fonds de commerce sont plus rarement affichés. Le second point vise une coupure plus nette dans la répartition des rôles entre le notaire et l'intermédiaire et réserverait la rédaction d'actes au notaire. Le bon de visite, qui est d'abord vu comme un dispositif de capture de la demande, serait supprimé ou, version plus réaliste, intégré à la loi en tenant compte de la jurisprudence. L'offre d'achat est également critiquée car elle risque de donner aux acquéreurs l'impression de concrétiser un engagement alors que le vendeur ne peut pas être tenu par elle. Plus généralement, ce qui est mis en cause, c'est une utilisation des avant-contrats destinée à figer prématurément les choix des clients.

L'objectif d'une révision centrée sur la protection du consommateur serait ainsi de parvenir à une distinction claire entre les trois moments successifs de la transaction : d'abord une information complète sur le bien, de façon à pallier le manque d'information de l'acquéreur et, pour ainsi dire, le mettre à égalité avec les autres acteurs, puis la phase de recherche, avec l'entremise d'un agent ou non, et enfin la sécurité juridique de la transaction assurée par le notaire. Dans cette approche, les protections offertes à la première et à la dernière phase ont pour but d'éviter à l'acquéreur d'avoir à prendre des décisions en situation d'asymétrie d'information. Les propositions allant dans ce sens n'ont toutefois pas eu de suite. Il nous semble que cela s'explique par le fait qu'elles limiteraient la possibilité pour l'intermédiaire d'asseoir sa légitimité sur des éléments appartenant à la première ou à la troisième phase. De fait, la suppression du bon de visite ou des avant-contrats rédigés par un agent rendrait moins irréversibles les engagements pris au cours de la négociation avec les agents immobiliers. Ces derniers peuvent difficilement renoncer à tout moyen de contrôle sur les engagements liés au mandat : le bon de visite n'est pas seulement un moyen de contraindre l'acquéreur ou d'établir une preuve d'antériorité visant à évincer les agents concurrents, mais également une pratique destinée à protéger les démarches de l'agent. Le "Livre Blanc" n'ignore pas cette nécessité suscitée par le primat du mandat simple, mais en renvoie la gestion aux organisations professionnelles.

La préoccupation concernant l'information sur la qualité des biens, et en particulier sur leur qualité technique, peut quant à elle être mise en relation avec les travaux de l'ANIL sur le marché de l'ancien 84 . C'est à ce sujet que le débat entre réglementation et régulation peut se situer, la question étant de savoir si l'absence de dispositifs stables assurant cette information, et en particulier la rareté du recours à un expert indépendant au moment de la vente entre particuliers, justifie une intervention publique, ou si l'évolution des pratiques professionnelles peut y pallier. La multiplication des diagnostics réglementaires, suscités d'abord par des problèmes de santé publique, pourrait inciter à progresser vers la réalisation d'un diagnostic technique d'ensemble. Le "Livre Blanc" se situe résolument du côté de la régulation par les professionnels eux-mêmes, tout en cherchant les moyens de favoriser ces pratiques. Une réflexion est notamment menée pour isoler dans la relation commerciale des éléments qui pourraient être rémunérés en tant que tels : mesurage Carrez, réalisation de diagnostics, d'expertises. Il s'agit d'une orientation affichée mais qui ne demande pas de réviser la loi. Les expertises, sur lesquelles on reviendra plus loin, sont par exemple clairement définies depuis quelques années sans que l'on assiste pour autant à leur généralisation dans l'immobilier résidentiel (peu de choses sont d'ailleurs dites à propos de l'évaluation du prix des biens).

La difficulté posée par ces services n'est pas tant qu'ils se font hors mandat, mais qu'ils sont potentiellement contradictoires avec la détention d'un mandat : un agent réalisant une expertise payante ne peut normalement pas être déjà en charge de la vente sous peine de conflit d'intérêts. En ce qui concerne les services susceptibles d'être réalisés en plus du mandat, la contradiction vient de la temporalité de la négociation : d'après le "Livre Blanc", ils doivent intervenir au plus tôt, c'est-à-dire avant de commencer à cherche des acquéreurs. Or, l'intérêt pour les agents est plutôt de les présenter comme compléments au mandat. Dans la mesure où la commission reste le pivot de la rémunération de l'agent, il n'est pas certain que ce dernier trouve un intérêt à développer lui-même de tels services s'ils sont déconnectés de la négociation. En d'autres termes, si l'évaluation et la réalisation de diagnostics techniques ne lui permettent pas d'obtenir plus de mandats, et en particulier de mandats exclusifs, il n'a aucune raison de les développer lui-même. Il peut en revanche se poser en prescripteur et orienter vers d'autres prestataires les réalisant. Précisons que l'idée de décomposer la relation commerciale en éléments simples, services et expertises, dont chacun pourrait faire l'objet d'une rémunération, est aussi avancée dans l'enquête dirigée par Alain Bourdin et Odile St Raymond. D'après les auteurs, une codification des éléments les plus objectivables de la relation commerciale aurait l'avantage d'ouvrir sur ceux qui le sont moins, et notamment sur le conseil, en facilitant l'instauration de la confiance. Derrière la question des rémunérations annexes, on retrouve donc celle de la difficile reconnaissance d'une compétence commerciale, dont la dévalorisation est déplorée au cours du "Livre Blanc", sans que des formes de réponse (légales, professionnelles ou autres) soient envisagées.

Il ne nous appartient pas d'anticiper sur les évolutions possibles ou souhaitables, qui pourraient aller dans le sens de la systématisation des exclusivités ou vers un encadrement différent du mandat simple (par exemple en distinguant mieux la concurrence entre agents et celle entre l'agent et le vendeur), mais de souligner que ce questionnement ouvre des pistes pour l'analyse de l'intermédiation. Tout d'abord, on peut retourner les problèmes posés par le "Livre Blanc" et interroger les procédés par lesquels les agents maintiennent une certaine stabilité dans les engagements de leurs clients, sans les lire uniquement comme une pression conduisant à des choix mal informés. Les questions du conseil et de la relation de service y sont subordonnées. La seconde voie porte sur les tendances autour desquelles se structure la profession : peut-on y voir un recentrement autour des seuls aspects d'entremise ou un élargissement à toutes les dimensions de la transaction, et selon quelles modalités ? Nous nous situerons d'abord à ce niveau collectif, sectoriel, de l'étude des métiers, avant de ressaisir l'analyse de la relation commerciale dans la deuxième partie.

Notes
82.

"La réforme de la loi Hoguet : un toilettage plus qu'un chantier de fond", Interview d'Alain Duffit, président du SNPI, par le Journal de l'Agence, n°8, 4e trimestre 2005.

83.

Il est vrai que cela n'est pas leur vocation première et que la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics revient aux syndicats. Beaucoup d'adhérents de ces réseaux sont d'ailleurs également membres de syndicats. Il est en revanche plus surprenant de voir qu'il n'est pratiquement pas question d'eux dans le document.

84.

Pour s'en tenir à l'information technique voir : Le marché de l'ancien : quel diagnostic ? Op. cit. Le gazumping : information du consommateur et fonctionnement du marché, op. cit. Ou encore L'expertise technique des logements, 2003. On compte également un grand nombre de travaux sur les conditions de financement et la sécurisation de l'accession pour les ménages modestes, qui seront cités au fur et à meure de leur utilisation.