Les travaux d'amélioration

Les travaux d'amélioration constituent la seconde composante de l'investissement logement. La partie "activité immobilière" du compte du logement n'enregistre comme investissement que les travaux importants, dont la caractéristique est de modifier la valeur du logement. Y entrent les travaux de mise aux normes de confort, ceux d'amélioration (visant par exemple à réduire la consommation d'énergie) et ceux de transformation. L'entretien courant est comptabilisé dans la consommation finale des ménages, ou comme consommation intermédiaire des entreprises. Le champ est vaste, allant des travaux réalisés individuellement par un propriétaire aux programmes de réhabilitation des centres anciens. A certains égards, l'amélioration du logement peut être présentée comme complémentaire de la production de logements neufs, lorsque celle-ci participe au renouvellement du cadre bâti. On peut opposer l'extension urbaine à la transformation de l'existant mais, dans les secteurs déjà construits, les deux types d'action ont des effets qui se rejoignent. Il existe par exemple un certain nombre de similitudes entre un programme neuf qui résulte d'une opération de démolition construction et la remise en état d'immeubles vétustes, puisque tous deux transforment un tissu urbain existant et que tous deux renvoient à cette articulation du foncier et de l'immobilier décrite plus haut. De plus, les opérations de réhabilitation les plus lourdes sont parfois menées par des promoteurs. Toutefois, les différences l'emportent, qu'elles relèvent de la destination des opérations (il n'y a pas nécessairement de remise sur le marché), des circuits de financement mobilisés (subventions spécifiques de l'ANAH 114 ), ou des acteurs professionnels impliqués. Seul le dernier point nous intéresse ici, même si l'on peut indiquer que les aides à la réhabilitation fonctionnent essentiellement sur le principe de l'incitation (défiscalisations, subventions pour des opérations ciblées ou dans des périmètres délimités par les collectivités locales). Contrairement à la production de logement neuf, il est difficile d'identifier un acteur central comparable au promoteur. Les travaux sont majoritairement décidés par les propriétaires eux-mêmes, dont les comportements sont moins directement rattachables à la conjoncture économique ou aux conditions de valorisation d'un capital.

De fait, les études ont essentiellement pris pour objet la rationalité des propriétaires, et en particulier des propriétaires bailleurs, dans le but d'appréhender leur comportement vis-à-vis du patrimoine immobilier qu'ils détiennent 115 . Il est facile d'y voir la trace de l'affaiblissement des problématiques marxistes au profit du "retour de l'acteur" qui s'est imposé comme paradigme dominant. Cette grille de lecture justifiée, même s'il faut préciser que l'évolution des problématiques sociologiques et celle des phénomènes sociaux n'ont pas été totalement déconnectées : le passage d'une construction massive, parfois standardisée, mobilisant d'importants capitaux, à la prédominance du marché du logement d'occasion, de l'investissement des particulier et de l'aide à la personne, nécessitaient un autre regard. En particulier, les travaux d'amélioration ne relèvent pas uniquement de décisions inspirées par la recherche de rentabilité financière, mais engagent un faisceau plus large de déterminants englobant les données de marché, la composition et l'état du patrimoine considéré, ce qu'il représente pour le propriétaire (enjeu familial, affectif, financier, voire professionnel) et sa compétence dans le domaine de l'immobilier. La question de la compétence des propriétaires, qu'on la définisse par le savoir-faire technique, l'information sur les professionnels à solliciter et/ou par la connaissance des aides disponibles, est alors centrale. A. Bourdin 116 insiste ainsi sur le fait que la mise en œuvre d'opérations de réhabilitation dépend de l'existence d'une filière de la réhabilitation capable de mettre en forme une demande souvent mal exprimée et sous-informée. En ce qui concerne les interventions de grande envergure, notamment les rénovations de centres anciens, cette filière doit intégrer et articuler les fonctions techniques. A une échelle plus modeste, les propriétaires sont confrontés à un nombre moins important d'interlocuteurs, mais la question de leur coordination peut se poser. D'après une enquête de l'ANAH 117 auprès d'un échantillon de 608 propriétaires bailleurs, les opérations comportent en moyenne 5,5 ou 3,2 types de travaux, selon qu'il s'agit d'une réhabilitation totale ou partielle du bien. Ils ne font pas pour autant appel à des entreprises chargées de concevoir ou de diriger ces travaux : seuls 4% font appel à un architecte et 3% à un bureau d'études. Très majoritairement, ils contactent directement les entrepreneurs et les artisans. La question est donc celle de l'information sur les financements et du choix de ces professionnels : toujours d'après cette enquête, près d'un tiers (28%) ne demande aucun devis.

Un certain nombre d'organismes institutionnels (comme l'ANAH) ou associatifs (comprenant un large spectre allant des PACT ARIM 118 à l'UNPI 119 ) apportent ce type d'informations, parfois de façon coordonnée autour d'actions initiées par les pouvoirs publics. Toutefois cet univers de la réhabilitation ne couvre pas l'ensemble des travaux, une partie importante se faisant sans aide ni subvention. A titre d'exemple, les travaux générés par les subventions de l'ANAH, toutes catégories confondues, se montent à environ deux milliards 120 d'euros par an, ce que l'on peut rapprocher des 36 milliards d'investissement total. Par ailleurs, son rôle, tel qu'il est mis en avant, semble concerner plus la définition des travaux à réaliser et le montage financier que la labellisation des entreprises de bâtiment. Cela ne signifie pas qu'elles n'agissent jamais comme prescripteurs, mais plutôt que d'autres acteurs peuvent tenir ce rôle. Lorsque la réhabilitation s'accompagne d'une cession, l'agence immobilière peut être bien placée pour indiquer la nature des travaux nécessaires ainsi que pour orienter vers d'autres professionnels. Au cours d'une transaction dans l'ancien, les travaux peuvent être obligatoires à cause des normes d'habitabilité (par exemple si la présence d'amiante est détectée), ou souhaités par l'acquéreur. Notons que le premier cas se situe à la limite de ce que l'on entend généralement par réhabilitation puisqu'il ne modifie pas réellement pas réellement la valeur marchande du bien, mais le rend apte à être commercialisé. Les deux cas ont cependant en commun d'élargir le cadre de l'intermédiation, dans la mesure où l'agent immobilier indique un spécialiste à son client. Ce conseil reste toutefois subordonné au cadre du mandat. La nature des entreprises que l'agent immobilier peut conseiller et sa capacité (ou sa disponibilité) à le faire après la signature d'un avant contrat, donc dans le prolongement immédiat de ses obligations stricto sensu, sont susceptibles de différencier les agences. Celles qui sont rattachées à un groupe généraliste exerçant plusieurs activités, dont certaines rattachées à la construction, ont ainsi des partenaires "naturels". De la même façon, celles pratiquant la gestion immobilière sont fréquemment en contact avec différents prestataires de services qu'ils peuvent recommander à leurs clients, y compris dans le cadre de partenariats formalisés.

La réhabilitation et la transaction entretiennent des rapports étroits, s'alimentant l'une l'autre. Sans discuter de ce qui est premier dans ce type d'opérations, la vente ou les travaux, il faut souligner qu'elles évoquent plus le marchand de biens que l'agent immobilier. Il n'y a pas de carte professionnelle de marchand de biens, mais plutôt une réglementation des différentes phases de son activité : droit du locataire lors de la revente (droit de préemption, nécessité de motiver les résiliations de bail), obligations du maître d'ouvrage dans les opérations de réhabilitation, protection de l'acquéreur dans les transactions, dont on a donné quelques éléments plus hauts. Juridiquement, le marchand de biens est considéré comme un commerçant et, malgré cette appellation courante, il est relativement rare que l'enseigne mentionne "marchand de biens". Le syndicat professionnel SYNAR (syndicat national de la rénovation) cherche par exemple à généraliser l'appellation de "promoteur rénovateur", insistant sur la dimension de réhabilitation alors qu'elle n'est a priori pas déterminante : ce qui définit le marchand de biens est l'achat de biens et leur revente à un prix plus élevé. Cela nécessite d'une part la capacité à engager rapidement des capitaux importants et à avoir une connaissance fine des marchés locaux pour percevoir les possibilités de hausse des prix à court terme.

Malgré leur importance numérique évoquée plus haut et la place qu'on leur attribue souvent dans la transformation du tissu urbain, ils ont été très peu étudiés en tant que tels. Ils sont pourtant les premiers acteurs susceptibles de se saisir des opportunités offertes par les différentiels de prix dans les zones centrales. Leur rôle est alors perçu de façon négative 121 . A la fonction de réhabilitation, qui se rapproche comme on l'a dit plus haut du calcul du promoteur intervenant sur des terrains déjà bâtis, s'ajoute celle de transformation de la structure de propriété. L'opération typique des marchands de biens consiste en effet à acheter un immeuble en propriété unique et à le revendre par lots, en copropriété. On parle aussi de vente à la découpe. La rentabilité est d'autant plus forte que les prix de l'immobilier augmentent et que le coût des travaux est bas. Pour cette raison, les marchands de biens sont souvent soupçonnés de ne mener que des réhabilitations minimales de mise aux normes. Par ailleurs, dans la mesure où la revente des appartements se traduit fréquemment par le départ des locataires, on leur reproche de fragiliser la position de ces derniers et d'accélérer l'uniformisation du peuplement des zones centrales. Il est vrai que les congés pour vente sont minoritaires mais leur visibilité est importante, et a justifié un renforcement du droit de préemption du locataire en cas de vente par lots 122 . Par ailleurs, l'effet sur le peuplement passe également par la pression exercée sur les prix. Même lorsque les nouveaux acquéreurs cherchent à réaliser un investissement locatif, les travaux réalisés ont pour but d'augmenter les loyers (notamment lorsqu'ils étaient soumis à la loi de 1948), de les rapprocher de ceux pratiqués dans le reste de la localisation, ce qui peut pousser les locataires à partir. Si la question de l'éviction de locataires appartenant à des catégories modestes se pose à l'occasion de tout type de rénovation en quartier ancien, elle est particulièrement aiguë dans les situations où la requalification du bâti est secondaire par rapport au changement de structure de propriété : l'opération est guidée par une possibilité de plus-value qui repose moins sur l'amélioration matérielle de l'habitat que sur les prix de marché et la revente par lots. Le cas le plus stigmatisé, mais qui n'est probablement pas le moins fréquent, est celui où l'on observe les inconvénients de la réhabilitation sans que l'amélioration de la qualité du bâti justifie un tel changement de population. A ce double aspect, on peut ajouter l'analyse qui est souvent faite de leur influence dans la formation de la bulle spéculative de la fin des années 80, en particulier dans l'immobilier parisien. On a alors assisté à des ventes en chaîne, dans des délais très courts, d'un marchand de biens à un autre, chacun réalisant une plus-value à court terme. De par leur capacité à financer des achats à un prix toujours plus élevé et de leur anticipation de hausses rapides et continues, ils ont alors contribué à alimenter le processus.

La perception du rôle du marchand de biens est donc largement négative : à l'image du promoteur bétonneur et affairiste des années 60 et 70, dont les travaux marxistes se sont faits l'écho mais qui a aussi cristallisé toute une imagerie traversant par exemple les polars de Jean-Patrick Manchette, ou encore la fameuse chanson "Le petit jardin" interprétée par Jacques Dutronc, s'ajoute, ou se substitue, désormais celle du marchand de biens dont les ventes à la découpe achèveraient de repousser les catégories populaires hors des centres-villes. Il est vrai que la dénonciation des spéculateurs immobiliers n'est pas neuve : les profiteurs de l'haussmannisation sont par exemple au centre de La Curée (1872). Les représentations actuelles portent moins sur la formation d'une classe de nouveaux riches que sur les conséquences en termes de peuplement. A cet égard, le film de Jacques Audiard De battre mon cœur s'est arrêté (2005) mettant en scène des marchands de biens qui effraient les locataires en lâchant des rats dans les cages d'escalier ou qui s'opposent violemment aux réquisitions menées par les associations de défense des sans-abri, contribue à populariser une représentation sulfureuse de cette activité, de ses pratiques, et de leurs conséquences. Si de telles représentations, qui rejoignent d'autres visions moins virulentes mais tout aussi critiques, participent de l'identité sociale du métier, elles disent peu de choses sur les caractéristiques des acteurs. Or la diversité est là aussi très importante, puisque l'activité de marchand de biens peut être très proche de celle de promoteur, comme ne concerner que des opérations marginales ou ponctuelles de particuliers recherchant une plus-value. Entre les deux, des sociétés foncières cherchant un équilibre entre la rentabilité de la gestion locative et l'apport occasionnel de plus-value relèvent également de l'activité de marchands de biens.

Bien que rattachés à des fonctions économiques différentes, les métiers d'agent immobilier et de marchand de biens se rencontrent parfois, chacun pouvant exercer occasionnellement l'activité de l'autre. De nombreux agents immobiliers se constituent, à titre de particulier, leur propre patrimoine immobilier en réalisant de petites opérations spéculatives. Les marchands de biens s'occupent parfois de la gestion locative, ou simplement de la recherche de locataires, après avoir revendu un immeuble en copropriété. Sans changer d'activité principale, il leur est alors nécessaire de détenir la carte professionnelle d'agent immobilier. Un investisseur qui a confié son bien en gestion peut également souhaiter confier un mandat de vente au marchand de biens qu'il connaît. La configuration est semblable à celle des groupes généralistes mentionnés plus haut et qui sont à l'origine promoteurs et/ou administrateurs d'immeubles, marqués par une forte implantation locale et régulièrement amenés à exercer des activités de marchands de biens et d'agent immobilier. L'image classique du marchand de biens n'est donc probablement pas majoritaire et laisse la place à au moins deux autres figures : celle de l'indépendant qui met à profit sa connaissance du marché pour son propre compte (exerçant donc à très petite échelle), et des sociétés aux activités diversifiées, dont la capacité à saisir des opportunités repose sur une implantation locale ancienne. Les premiers sont probablement les plus nombreux, comme on le verra plus loin dans le cas de l'agglomération lyonnaise. En revanche, les grandes sociétés n'exerçant que l'activité de marchand de biens, sans détenir de carte T ou G, ne sont pas présentes dans notre base de données.

Notes
114.

Agence Nationale pour l'Amélioration de l'Habitat. Les subventions peuvent être attribuées pour des travaux ponctuels, ou dans le cadre d'opérations plus vastes, les OPAH (opérations programmées d'amélioration de l'habitat).

115.

L'exemple le plus connu, et l'un des seuls à aborder la question en général et pas en rapport à une étude monographique, est l'ouvrage de Jean-Paul Lévy et Odile St Raymond, Profession : propriétaire. Logiques patrimoniales et logement locatif en France, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1992. Le fait de mettre en avant les propriétaires bailleurs correspond à une préoccupation que la baisse de la construction publique rend centrale : disposer d'un parc locatif privé de bonne qualité aux loyers accessibles. Précisons cependant que d'après le compte du logement 2004, la réhabilitation par les bailleurs privés ne représente que 12% de la dépense en travaux d'amélioration. Ici aussi, la très grande majorité est le fait des propriétaires occupants, accédants ou non : 79%.

116.

Alain Bourdin, "comment analyser les transformations de l'habitat ?" Espaces et Sociétés, n°52-53, 1989, p. 85-106.

117.

ANAH, Les propriétaires bailleurs en 2005, décembre 2005.

118.

Mouvement héritier de la ligue nationale contre les taudis créée en 1924 dont l'objectif est la résorption de l'habitat insalubre et l'amélioration des conditions de logement des plus démunis.

119.

Union Nationale de la Propriété Immobilière : syndicat de propriétaires organisé en chambres régionales et ayant une activité de conseil auprès de ses adhérents mais aussi de lobbying au niveau national.

120.

ANAH, Rapport d'activité 2005, 2006.

121.

André Massot, Les marchands de biens et la transformation de l'habitat, IAURIF, Paris, 1992.

122.

D'après la Fédération des Sociétés Immobilières et Foncières (FSIF), sur un total de 42 500 ventes à la découpe en 2004, les congés pour vente ne représenteraient que 4%. Les rachats par des locataires et les maintiens de locataires compteraient pour 63%, ce qui laisse 37% de logements dont l'occupant change (congés pour vente + logements vendus vacants). Ne connaissant pas la méthode de production de ces données, il nous paraît important de les utiliser avec précaution, comme ordres de grandeurs. Cf. la note de conjoncture de CB Richard Ellis, Market View Résidentiel, novembre 2005.