2.1.2 Transaction et gestion

La troisième composante de l'investissement est la transaction, que nous aborderons en détail dans la deuxième section. Il reste auparavant à aborder le domaine de la location. Le second versant du compte du logement ne porte pas sur des dépenses en capital mais sur la consommation associée au service logement. La dépense courante concerne notamment les loyers, les charges, l'entretien, etc. Dans la mesure où celle des propriétaires occupants est prise en compte sous forme de loyers imputés, le niveau de la dépense courante est assez proche de celui de l'activité immobilière. Toutefois, alors que l'activité immobilière a suivi une évolution cyclique, la dépense courante a connu une croissance linéaire depuis 1984. En 2004 la première atteignait 220 milliards d'euros, et la seconde 218. La part des locataires du parc privé a augmenté à un rythme proche de la moyenne et atteint 19% du total en 2004, chiffre que l'on peut rapprocher de la proportion de ménages habitant dans le parc locatif privé : 22,8% d'après le recensement de 1999. La hausse concerne tous les postes mais ce sont les loyers qui y ont le plus contribué, passant de 62% à 77% de la dépense courante dans le logement des locataires. Dans leur très grande majorité, les bailleurs sont des personnes physiques, que l'immeuble soit en propriété unique ou en copropriété. Les personnes morales ne représentent que 4,8% de l'ensemble. Les immeubles en copropriété sont la plupart du temps administrés par un syndic professionnel, tandis que la gestion locative passe plus souvent par des particuliers 123 .

On considère habituellement que l'administration de biens est un secteur fortement concentré, d'une part à cause de la complexité juridique et technique du métier (on pourrait dire des métiers qui entrent dans son champ d'action), et d'autre part du fait d'un mouvement de rachat des petites entreprises entamé dans les années 70 et qui se poursuit encore. Il a été initié par la Générale des Eaux (créatrice de la filiale Particimo) et par la Lyonnaise des Eaux (filiale Capitales) dont l'objectif était, dans un contexte de développement rapide de la copropriété, de faire des syndics des apporteurs d'affaires. Ces deux filiales ont été rachetées, la première par Foncia et la seconde par Gestrim (filiale de la Caisse d'Epargne) qui sont actuellement les deux plus grands groupes d'administration de biens français. L'idée de faire du syndic le dernier maillon d'une chaîne de services intégrés à une seule entreprise n'a pas abouti, mais les rachats et fusions se sont poursuivis. Citons par exemple le rapprochement prévu en 2006 de Gestrim et de Lamy en une société (dont la Caisse d'Epargne détiendrait encore la majorité). La tendance contribue à l'élaboration de méthodes de gestion standardisées, même s'il ne faut pas avoir une vision trop schématique de cette uniformisation, en particulier dans le cas de regroupements volontaires d'administrateurs de biens ou lorsque les sociétés rachetées sont de taille relativement importante et héritières d'une tradition associée à une histoire familiale. Certaines de ces sociétés ont été fondées au 19e siècle, à une période où l'immobilier de rapport a connu sa plus grande extension. Elles ne se distinguent sans doute pas tant par leurs méthodes, qui renvoient à l'évolution générale de la profession, que par la spécificité de leur parc.

La concentration est incarnée par les trois plus grands groupes, Foncia, Gestrim et Urbania, ainsi que par d'autres moins importants comme Lamy ou Oralia. Les trois plus importantes gèrent chacune plus de 500 000 lots en copropriété et environ 100 000 lots en gérance locative (Foncia déclarant le chiffre de 172 000). Dans un classement proposé par le Journal de l'agence 124 , on voit assez rapidement apparaître des groupes d'agences immobilières, comme ORPI et Century 21 (respectivement en 4e et 7e position) qui rassemblent un grand nombre de petites structures pour lesquelles l'agrégation a moins de sens que pour les succursales de grands groupes. La distinction entre l'activité de syndic et celle de gestion de biens n'est pas toujours opérée car les deux se recoupent souvent, mais il est probable qu'en ne regardant que le second aspect, la prégnance des grands groupes serait nuancée. La nomenclature NAF ne permettant pas ce repérage, l'EAE confirme que l'administration de biens est le secteur le plus concentré des activités immobilières : les dix premières entreprises réalisent un quart du chiffre d'affaires (contre 17% pour les promoteurs). On compte 6,8 personnes par entreprise dans l'administration d'immeubles résidentiels, pour 3,1 dans la promotion immobilière de logements, qui regroupe par ailleurs un plus grand nombre d'entreprises (environ 5478 contre 4767 en 2003). Cela laisse penser qu'il y a moins de petites entreprises dans l'administration de biens. Néanmoins, le nombre d'entreprises est resté stable entre 1993 et 2003 (autour de 4700) malgré la poursuite des fusions et des rachats, ce qui renvoie sans doute à la création continue de sociétés de taille modeste et à l'entrée dans le métier d'agences immobilières.

Nous ne nous attarderons par sur l'activité de syndic, même si elle a suscité de nombreuses controverses (liés notamment à l'opacité des honoraires 125 ), pour ne considérer que l'activité de gestion locative. Celle-ci peut être exercée à titre occasionnel, afin de trouver un revenu complémentaire et plus régulier que la transaction, tout en rendant plus durable la relation commerciale avec le propriétaire. Rappelons que les agents immobiliers sans carte G peuvent tout de même rechercher des locataires pour leurs clients, auquel cas le propriétaire intervient dans le choix final du locataire en acceptant ou non le (ou les) dossiers qui lui sont proposés. Il prend lui même en charge la rédaction du bail, l'envoi des quittances, et tous les autres aspects de la gestion. Toutefois, dès lors que l'agence lui fournit des conseils sur ces activités, la frontière avec un mandat de gestion s'estompe, ce qui peut inciter l'agent immobilier à évoluer vers la gestion locative, à condition de connaître la réglementation. De leur côté, les administrateurs de biens sont en bonne position pour s'occuper des transactions des propriétaires dont ils ont les biens en gestion, et créent fréquemment une structure de transaction. Les deux activités ne sont pas étanches même si, la plupart du temps, elles sont séparées au sein des entreprises. Le classement dans la NAF dépendra de l'activité qui dégagera le chiffre d'affaires le plus important, ou éventuellement de celle qui était exercée à l'origine, au risque de ne pas saisir les passages de l'une à l'autre. On peut cependant les mesurer à partir de la détention des cartes professionnelles. Ainsi, dans l'agglomération lyonnaise (en ne retenant que les agences immobilière et les administrateurs de biens), on compte 167 double détenteurs parmi les 561 administrateurs et agents immobiliers. Sur ces 167 doubles détenteurs, 61% sont classés comme administrateurs de biens, et 39% comme agents immobiliers. Les deux cartes sont le plus souvent obtenues en même temps (68% des cas). La double détention ne relève donc pas uniquement du développement et de la diversification des activités, mais d'une volonté d'intégrer dès l'origine deux métiers qui, pour être différents, n'en présentent pas moins des complémentarités.

Les mandats de gestion locative varient selon les tâches confiées et selon le type de garanties contre les impayés de loyer, et les honoraires sont en général compris entre 6% et 9% des loyers perçus, auxquels s'ajoutent les commissions à chaque changement de locataire. Cela pèse sur la rentabilité de l'investissement locatif et les cabinets d'administration de biens doivent justifier du fait que leur mandat épargne d'autres coûts au propriétaire, ceux liés à la gestion courante mais surtout ceux causés par les impayés et à la vacance. Leur argumentation (qui vaut également pour des mandats "transaction" de recherche de locataire) repose donc largement sur leur compétence d'intermédiaire : capacité à remplacer rapidement les locataires et à sélectionner ceux qui présentent le moins de risques. Il est intéressant de noter que la sélection a plus retenu l'attention que le premier aspect. Elle mérite d'être relevée, d'une part parce qu'elle est la plus présente dans le débat public, et d'autre part parce que les différences avec l'intermédiation dans la transaction apportent des éléments pour mieux caractériser cette dernière. Les deux intermédiations diffèrent essentiellement sur deux points. Dans le cas de la gestion locative, l'intermédiaire doit anticiper la relation future avec le locataire (et avec le bailleur), ce qui n'est pas le cas dans le cadre de la transaction. Il a, de plus, a un pouvoir de décision directe sur les demandes qui lui sont adressées 126 et constitue lui-même les dossiers alors que, pour la transaction, la concrétisation de la demande passe par d'autres acteurs, et en particulier par l'établissement qui attribue le prêt. Le gérant locatif est donc amené à jouer un rôle de filtre plus visible (mais dont on ne peut savoir a priori s'il est plus marqué) que l'intermédiaire de la transaction. Ce rôle est d'autant plus souligné que le contexte de hausse des loyers accroît dans le même temps les difficultés d'accès au logement pour les locataires et les risques d'impayés pour les bailleurs. Les administrateurs de biens ne sont pas les seuls à demander de nombreuses garanties (fiches de paye, avis d'imposition, caution, garant, quittances de l'ancienne location). Néanmoins, les standards qu'ils fixent se diffusent et en viennent à représenter une norme, ou au moins un indicateur des exigences "habituelles" pour les propriétaires qui louent directement. A l'instauration de ces barrières qui, pour être efficaces n'en restent pas moins attachées à des connotations relativement neutres socialement, s'ajoute celle, moins avouable, de la discrimination entre catégories de locataires, en particulier sur des critères ethniques. La question n'est pas nouvelle mais n'a que progressivement conquis une place de premier plan dans le débat public, notamment avec la création d'une Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (HALDE) en 2005. Les administrateurs de biens, ou plus généralement les agents immobiliers dans leurs activités de location, sont au cœur des études qui commencent à exister en France sur ce thème 127 , non seulement dans le but d'améliorer leurs pratiques, voire de leur conférer une certaine exemplarité aux yeux de l'ensemble des propriétaires, mais aussi parce que la régularité des relations commerciales facilite des mesures par le biais du "testing" (par rapport aux particuliers bailleurs). L'argument des administrateurs de biens consiste d'ailleurs le plus souvent à invoquer les exigences des propriétaires. Il est possible de n'y voir qu'une stratégie visant à diluer les responsabilités, mais la compréhension de la discrimination doit nécessairement articuler cette relation mandant / mandataire, ainsi que les principes économiques de sélection des locataires, à celle des préjugés. La question de la discrimination dans l'accès au logement locatif sort assez largement du cadre de notre travail mais nous reviendrons dans la deuxième partie sur le cas de la transaction et sur la façon de problématiser ce questionnement.

Notes
123.

Alain Silverston, "Les nouveaux enjeux de l'administration de biens", L'Observateur de l'immobilier, n°32, 1995. A partir d'une étude pour le Crédit Foncier, l'auteur estime que 2/3 des lots locatifs sont gérés directement par le propriétaire.

124.

Alain Silverston, "La France championne du monde de la gestion de copropriétés", Journal de l'agence, n°5, 1er trimestre 2005.

125.

Sur cette question, on pourra se référer aux communiqués de styles (association des responsables de copropriété).

126.

Même lorsque le propriétaire prend la décision finale, il choisit parmi les quelques dossiers préparés par l'agent.

127.

HALDE, Etude testing : la discrimination dans l'accès au logement locatif privé, 2005