Les locaux commerciaux

Quoiqu'il ait connu des mutations d'une ampleur comparable aux autres parcs, l'immobilier commercial (et artisanal) n'est pas tant étudié en termes de cycles immobiliers qu'en fonction de problématiques de substitution, entre types de surface (centres commerciaux et petits commerces) et d'espaces (centres villes et périphéries), ou de reconfiguration de l'offre commerciale et de la structure urbaine. Le premier aspect, recouvrant non seulement le retrait du petit commerce au profit des grandes surfaces mais aussi, plus spécifiquement, le développement des hypermarchés au long des années 70 et 80 a été le plus massif 145 malgré la réglementation destinée à le contenir. Cette dernière, incarnée par la loi Royer 146 , s'appuie sur une représentation consensuelle, au moins au niveau du discours politique, du rôle du petit commerce en centre-ville, que ce soit en matière de diversité, de sociabilités et, plus généralement, de modes de vie urbains. A cet égard toutefois, la notion de petit commerce est trompeuse, l'adjectif "petit" acquérant dans ce domaine des connotations qui vont bien au-delà de la surface du local, et qui sont parfois contradictoires. De fait, l'activité commerciale n'a pas disparu des centres-villes, mais ce sont les enseignes et franchises nationales, à l'image peu compatible avec le "petit commerce de proximité" traditionnel, qui se sont le plus fortement développées dans les secteurs attractifs 147 . Elles ont d'ailleurs été favorisées par la loi Doubin (Loi 89-1008 du 31/12/1989) sur le commerce associé, qu'il soit sous forme de franchise, de réseau coopératif, ou de licence de marque. Encore peu présente au début des années 1990, la franchise a notamment connu développement important 148 (ce que l'on verra dans le cas précis de l'immobilier). Prenant acte du risque d'uniformisation que cela représente, la réglementation la plus récente (loi 2005-882 du 02/08/2005), revient à une conception territorialisée et confère aux communes un droit de préemption sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux, et les baux commerciaux à l'intérieur de périmètres de "sauvegarde" qu'elles doivent définir au préalable. Les modalités changent mais l'objectif des textes reste fondamentalement le même, le maintien de la densité et de la diversité des activités commerciales et artisanales dans les secteurs concernés. Ces quelques éléments constituent évidemment une lecture très schématique, qui n'aborde ni le marquage social de l'espace par les commerces, ni la place qu'ils occupent dans les changements urbains, que ce soit par l'action des commerçants eux-mêmes ou à l'occasion de la reconversion des fonds. Il ne s'agit pas ici de développer ces perspectives qui entraîneraient au-delà du fonctionnement des marchés immobiliers. On peut en revanche souligner qu'il existe encore moins de données et de travaux sur les acteurs de l'immobilier commercial que sur celui de bureaux.

La concentration semble moins forte sur le marché des locaux commerciaux, même si les réseaux d'immobilier de bureaux y sont tout aussi présents. Les autres intervenants peuvent être spécialisés dans les locaux commerciaux, soit sur un créneau très précis, comme dans le cas du réseau "L'auxiliaire pharmaceutique", également présent à Lyon, et s'occupant exclusivement des officines, soit plus généralistes, mais il peut s'agir aussi d'agents immobiliers classiques ne prenant qu'occasionnellement des mandats pour ce type de locaux. Les spécificités liées aux fonds de commerce limitent toutefois cet aspect : chaque agence n'a pas une petite partie de son activité consacrée aux commerces. En effet, cette activité ne demande pas seulement une connaissance juridique mais également une certaine familiarité avec des prix et des valeurs locatives 149 qui sont, d'une part, distinctes de celles du logement et, d'autre part, différentes selon les types de fonds. La diversité des évaluations pour un commerce donné, selon qu'il s'agit de la vente du fonds, du pas de porte, ou du droit au bail, ainsi que l'éventualité d'un changement de destination, complexifie encore le travail de l'intermédiaire et le conseil qu'il est censé apporter. En revanche, les spécialistes en immobilier d'entreprise et en locaux commerciaux prennent souvent des mandats pour des logements en complément de leur activité principale.

Notes
145.

La part de marché du petit commerce alimentaire est passée de 67% à 29% entre 1970 et 1998. Dans le même temps, celle des hypermarchés (surfaces de plus de 2500m² selon l'INSEE) est passée de 4% à 38%. Cf. Jeanne Lubeck et Jean-Luc Schneider, "Le secteur de la distribution en France", complément au rapport n°29 du Conseil d'Analyse économique Régulation des relations entre fournisseurs et distributeurs, Paris, La Découverte, 2000, pp. 47-76.

146.

Loi 73-1193 du 27/12/1973 soumettant toute implantation de plus de 1000m² à une autorisation des collectivités locales. On rappelle souvent qu'elle a été votée à une quasi unanimité, ce qui est un signe de la perception des enjeux du maintien du petit commerce en centre-ville. Elle a été renforcée par la loi 96-603 du 05/07/1996, dite loi Raffarin, qui abaisse à 300m² la surface minimale soumise à autorisation.

147.

Voir par exemple la note de conjoncture de CB Richard Ellis, Le marché des commerces en France, novembre 2005.

148.

Cf. René Péron, "Les commerçants dans la modernisation de la distribution", Revue française de sociologie, vol. 32 n°2, 1991, pp179-207. Nuançant les évolutions du commerce de détail et pointant l'émergence en France du phénomène de la franchise, il note à ce propos : "[la franchise] est probablement appelée à se développer encore, bien qu'elle ait été un peu desservie par la dégradation de son image, due essentiellement à un mode d'organisation sociale insuffisamment sélectif et profondément inégalitaire. C'est en effet dans le modèle de la franchise que la soumission des indépendants au pôle du grand commerce ou à celui de la production, auxquels appartiennent les franchiseurs, va le plus loin. Outre les obligations très strictes d'approvisionnement, l'imposition des prix et des modifications d'agencement, l'adhésion est subordonnée au paiement d'un droit d'entrée et d'une redevance proportionnelle au chiffre d'affaires."p190.

149.

Dans la mesure où les transactions portent assez peu sur la propriété des murs, on raisonne plutôt sur la valeur locative (exprimée en euros par an et par mètres carrés), qui retient le loyer et 10% du droit au bail.