Professionnels assurant le financement de la transaction

A la question de la sécurité juridique de la transaction s'ajoute celle du financement de l'achat. La part des accédants, pointée ci-dessus, montre l'importance du crédit bancaire. A cet égard, les études ont principalement porté sur l'effet solvabilisateur des aides au logement qu'il s'agisse d'aide à la personne ou à la pierre, ces dernières consistant en différentes formules de prêts aidés : il est vrai qu'entre 1977 et 1984, 60% des acquéreurs ont bénéficié de prêts aidé, PAP ou PC. Malgré la disparition du PAP, une offre de prêts aidés s'est maintenue avec le prêt conventionné (PC), le prêt à l'accession sociale (PAS) et l'instauration du prêt à taux zéro (PTZ) en 1995, ce dernier étant destiné aux primo-accédants modestes dans le neuf et l'ancien (d'abord sous condition de réaliser des travaux puis, à partir de 2005, sans montant minimal de travaux). D'après l'enquête logement de 2002, un accédant sur quatre (26%) a bénéficié d'aides au logement pour son parcours d'accession dans la période entre 1998 et 2001. Cependant, même répandus, ils n'ont pas joué le rôle moteur de leurs prédécesseurs. Gobillon et Le Blanc 155 mesurent par exemple le faible effet multiplicateur du PTZ, signalant qu'il a surtout permis à de jeunes ménages d'avancer dans le temps leur premier achat. Les aides à l'accession continuent à produire des effets en ouvrant l'accès au marché à des catégories de ménages plus ou moins ciblées, mais ce sont les conditions d'accès aux prêts non aidés qui déterminent très largement la taille du marché. La croissance de la proportion d'acquéreurs non emprunteurs à partir de 2000 ne remet pas en cause cette observation. En effet, on assisté dans le même temps à une augmentation de la part des emprunts dans la dépense des accédants, au détriment de l'apport personnel : en 1998 et 1999, dans le prolongement d'une hausse lente et linéaire, les emprunts représentent 60% environ de l'investissement des accédants. Cette part passe à 67% et 2001 et 2002, et dépasse les 75% en 2003et 2004. L'apport personnel a même baissé en valeur depuis 2000 156 : la croissance du marché de l'ancien depuis 1998, et surtout à partir de 2000, a été très largement couverte par le crédit.

Le niveau des taux d'intérêts est le principal facteur expliquant cette accélération. Il a également rencontré des évolutions concernant d'une part les caractéristiques des prêts immobiliers et d'autre part le secteur bancaire lui-même. En ce qui concerne les premiers, les évolutions ont touché la durée des prêts, la diminution de l'apport personnel et l'évolution des mécanismes de garantie. En revanche, les prêts à taux fixes semblent rester dominants, ce qui n'est pas surprenant dans un contexte où les taux d'intérêts sont bas. L'allongement de la durée des prêts et sans doute le phénomène le plus visible. Les enquêtes logement de 1996 et 2002 note un allongement de un an entre les périodes 1993-1996 et 1998-2001, mais c'est dans la période plus récente que la tendance s'est affirmée 157 . L'apport personnel a diminué pour l'ensemble des acquéreurs, et en particulier pour les primo accédants : toujours selon les enquêtes logement de 1996 et 2002 la baisse moyenne est de 11% en tenant compte de l'érosion monétaire, baisse qui recouvre surtout une multiplication des opérations avec un très faible apport (moins de 5000 euros). Elles passent en effet de 15% à 26% entre les deux périodes. Là aussi, la tendance s'est accrue depuis. Entre les deux périodes Le poids moyen de l'endettement, calculé à partir du ratio montant de l'emprunt/revenu annuel s'est légèrement accru (de 2,5 à 2,6) tandis que le taux d'effort net a quelque peu diminué (restant à environ 20% du revenu). Bosvieux 158 voit dans l'évolution du profil des prêts un signe de la sécurisation des parcours d'accession, même lorsque l'apport est faible, les accédants se montrant particulièrement attentifs au montant des mensualités et à l'évolution de leur aide au logement. Les défauts de paiement de la fin des années 80 avaient été aggravés par des profils de mensualités progressives dans un contexte de diminution de l'inflation. Les circonstances étant différentes, il semble peu probable de voir le même mécanisme se reproduire. Par ailleurs, les mécanismes de garantie se sont également transformés, en particulier avec l'accroissement de la part de la caution mutuelle au détriment de l'hypothèque (particulièrement dans l'ancien) 159 . Il n'en reste pas moins que ces évolutions sont porteuses d'un certain nombre de risques. L'allongement de la durée des prêts, qui plus est dans un contexte de faible inflation, conjugué à l'accroissement des mobilités professionnelles (voire de l'instabilité), y contribue. Les observations de Bosvieux reposent largement sur une certaine conception du comportement et des anticipations des accédants. Or, si les échecs liés à l'accession dans les années 80 ont eu un effet d'apprentissage, ce dernier peut ne pas couvrir de nouveaux risques.

Du point de vue de l'établissement prêteur, la diminution de l'apport personnel les accroît encore, notamment lorsque la garantie est de forme hypothécaire 160 . Cela ne remet pas en cause les remarques précédentes, mais les années suivant l'enquête logement de 2002 ont vu ces traits risqués s'accentuer. La commission bancaire 161 parle ainsi de "laxisme" dans l'évolution des crédits à l'habitat, insistant non seulement sur l'augmentation des risques mais également sur la diminution des marges. Il est toutefois difficile de juger s'il s'agit de dérives propres à l'euphorie de la fin du cycle immobilier, ou d'un déséquilibre structurel des règles prudentielles. Parallèlement, d'autres institutions comme l'ANIL pointent plutôt l'inadéquation de règles d'attribution des crédits centrées sur une mesure conventionnelle de la solvabilité qui saisit de moins en moins les risques de défaut tout en continuant à exclure certaines catégories du crédit 162 .

Nous reviendrons sur la question essentielle de la solvabilité, mais il est nécessaire de souligner que cette situation renvoie aussi aux caractéristiques du secteur bancaire, et de la dimension très concurrentielle des prêts immobiliers. On reconnaît dans cette observation une constante de l'activité bancaire depuis le décloisonnement opéré par la loi de 1984, la mise en concurrence d'activités auparavant réservées ayant profondément transformé les pratiques des établissements financiers. Il ne s'agit pas ici de retracer les évolutions du secteur bancaire 163 mais de noter l'importance qu'ont prise l'attraction et la fidélisation des clients dans ce contexte. F. Cusin met en avant la mobilité des clientèles liée à la possibilité de changer de banque et de renégocier les modalités de remboursement des emprunts 164 . A cet égard, les crédits immobiliers représentent un enjeu essentiel pour les banques généralistes dans la mesure où la durée des remboursements permet de conserver les clients et de les attirer vers d'autres produits. Elles sont donc prêtes à supporter une diminution des marges et une prise de risque plus importantes que pour d'autres types de crédits aux particuliers, ce qui accentue la concurrence déjà forte avec les établissements spécialisés. Une telle situation se traduit également par la prolifération des offres commerciales et par la mise en œuvre d'un marketing toujours plus sophistiqué (Cusin, op. cit) qui peuvent susciter un besoin de conseil au sein des emprunteurs.

Dans un tel contexte, le courtage en prêts immobiliers, traditionnellement marginal en France, a connu un certain développement. Les entreprises spécialisées ne nous intéressent pas ici en tant que telles, mais renvoient à la question de l'intermédiation. Il est important de noter que cet aspect représente un élément essentiel de la relation entre les agents immobiliers et les banques. Les agents immobiliers peuvent proposer des simulations financières plus ou moins élaborées, allant de la "calculette financière" qui se borne à établir le montant des mensualités, à la simulation complète d'un plan de financement. Ce type de service, notamment dans sa version la plus simple, se retrouve également sur les sites Internet de petites annonces immobilières. Au-delà, les agents immobiliers peuvent servir d'intermédiaire entre le client et un établissement prêteur. Ils sont alors rémunérés (en général cette rémunération correspond à 1% du coût du prêt), sans avoir pour autant besoin de constituer de dossier, parfois même en apportant simplement l'adresse d'un prospect qui, au final, ne souscrira pas d'emprunt. La pratique est toutefois très différente de celle des autres courtiers : ces derniers justifient leur rôle par la sélection qu'ils effectuent dans la profusion des offres existantes, tandis que l'agent immobilier entretient la plupart du temps une relation privilégiée avec un petit nombre d'établissements, et fréquemment avec un seul. Leur relation est souvent présentée comme un partenariat commercial. Symétriquement, une banque peut orienter vers une agence ou un promoteur, mais la prescription systématique et formalisée concerne surtout l'investissement locatif dans le logement neuf (et donc le partenariat avec des promoteurs). L'aspect essentiellement financier de ce type d'opération confère en effet une grande place au conseiller financier. Le rapport qui s'établit entre une banque et une agence immobilière naît fréquemment au moment de la création de l'agence : s'il sollicite un prêt bancaire pour lui-même et/ou s'il choisit un établissement de crédit comme caisse de garantie, la coopération peut perdurer.

Ce portrait serait néanmoins incomplet s'il en restait à la complémentarité entre ces deux acteurs : au-delà des rachats de cabinets (notamment d'administrateurs de biens) un certain nombre de banques ouvrent des agences immobilières reprenant comme enseigne celle de leur maison mère. Les plus connues étant les "Squares Habitat" du Crédit Agricole et les "Espaces immobiliers" de la BNP, ces derniers comptant environ 25 implantations en France. Elles concurrencent directement les agents immobiliers sur la transaction et la gestion, même si elles ont plus souvent en charge la commercialisation de programmes neufs. L'argument est celui du regroupement des services immobiliers et bancaires (ainsi qu'assurantiels dans le cas de la BNP), qui permet la faciliter des démarches des clients. Il s'agit également pour les banques d'un autre moyen d'attirer des clients et d'instaurer une relation de proximité. Il est probable que l'extension future de ce type de structures dépende du succès de celles créées au début des années 2000. Le succès pourrait sembler acquis dans la mesure où il s'agit d'agences immobilières de forme classique ne se distinguant que par un service supplémentaire, à moins qu'il ne s'agisse simplement d'adosser la négociation immobilière à l'activité de prêteur. Plus généralement, cette entrée des banques dans le métier d'agent immobilier s'inscrit dans la problématique de la définition des contenus du service rendu par les intermédiaires.

Notes
155.

Laurent Gobillon et David Le Blanc, "Quelques effets économiques du prêt à taux zéro", Economie et Statistique, n°381-382, 2005, pp. 63-89. L'article ne prend toutefois pas en compte la modification de 2005 qui facilite l'achat dans l'ancien. Voir aussi Thierry Lacroix, "Le recul de l'accession sociale", Economie et Statistique, n°288-289, 1995, pp. 11-41.

156.

Source : compte du logement.

157.

Jean Bosvieux et Bernard Vorms, Durée des prêts : allongement conjoncturel ou changement d'attitude à l'égard de l'endettement ? ANIL, 2003. Même si les données sont plus fournies pour les prêts aidés, PAS et PTZ, qui ont traditionnellement une durée plus longue, cette étude note un allongement moyen de un an entre 2000 et 2001 pour les prêts les plus classiques (non aidé, à taux fixes), donnant une durée moyenne d'environ 17 ans. Dans la mesure où ce type de hausse a commencé à être détectée au début des années 2000, il ne paraît pas absurde d'estimer un accroissement de l'ordre de 3 à 4 ans.

158.

Jean Bosvieux, "Accession à la propriété : des acquéreurs plus nombreux mais prudents", Economie et Statistique, n°381-382, 2005, pp. 41-61.

159.

Cf. Emeline Baude et Jean Bosvieux, Hypothèque ou caution, l'exception française, ANIL, 2002. D'après cette étude, l'hypothèque est encore majoritaire en 2000 (46% des prêts) devant la caution mutuelle (30%), les autres garanties (14%) et l'absence de garantie (10%), ces deux derniers moyens concernant avant tout les clients présentant le moins de risques. Néanmoins la part de l'hypothèque est en baisse constante. La caution est devenue presque systématique pour les banques généralistes, moins pour les banques mutualistes ou spécialisées. La garantie hypothécaire est surtout utilisée dans le neuf et dans l'acquisition – amélioration.

160.

Le raisonnement est le suivant : en cas de défaut, la banque revend le bien, supportant un risque de dépréciation (notamment lorsqu'il a été acheté en haute conjoncture). Plus la part de l'achat couverte par le crédit est importante et plus la probabilité pour la banque de ne pas voir sa créance remboursée par la revente est grande. On parle alors de "negative equity". En période de hausse des prix, les banques devraient donc être incitées à demander un apport personnel plus important, contrairement à ce que l'on a observé depuis 2000.

161.

Rapport annuel de la commission bancaire, 2005.

162.

ANIL, "Prêts à l'Habitat, prudence excessive ou risques inconsidérés ?", Habitat Actualité, juillet 2005. Remarquons à cet égard que le fonds destiné à garantir les prêts réalisés dans le cadre de l'accession sociale (FGAS) a été supprimé à la fin de l'année 2005. La raison était qu'il avait peu servi (8 millions d'euros de sinistres indemnisés pour un fonds de 1,5 milliard d'euros). Néanmoins cette faible utilisation peut également être lue comme le signe de la faible sinistralité de ces parcours d'accession, et donc de la réussite du FGAS.

163.

Ce qui amènerait à nuancer l'idée d'une révolution profonde de l'identité professionnelle, malgré l'impression de "révolution bancaire"parfois avancée. Les caractéristiques anciennes du métier ont notamment servi de ressources dans l'adaptation aux nouvelles conditions d'exercice. Cf. Yves Grafmeyer, Les gens de la banque, PUF, 1992 ou encore David Courpasson, "Marché concret et identité professionnelle locale", Revue française de sociologie, vol. 35, n°2, 1994, p. 197-229.

164.

Voir François Cusin, "Attirer, sélectionner, fidéliser: le double marché du crédit aux particuliers", in Franck Cochoy (dir.) La captation des publics, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2004, p. 153-180.