Réseaux commerciaux, syndicats professionnels, fichiers communs

Les réseaux commerciaux

Ces derniers représentent probablement la transformation la plus visible ayant affecté la profession. Il est vrai que le principal réseau d'agences français, ORPI, date de 1965 mais l'essor des réseaux commerciaux date véritablement des années 90 avec le développement des franchises. On sait que la franchise immobilière est d'origine française, instaurée par Avis en 1957, mais son succès est d'abord états-unien. Century 21, d'origine américaine, s'installe en France en 1986. Laforêt Immobilier, affilié à Auguste Thouard et que l'on présente souvent comme étant la version française de Century 21, créé une franchise en 1991, suivi par le groupe européen ERA en 1993 ainsi que par Guy Hoquet en 1994. Depuis, le réseau coopératif l'Adresse, fondé par des adhérents de la FNAIM en 1999, ainsi qu'Arthur l'Optimist sont les seuls à avoir acquis une taille comparable, ce qui n'empêche pas l'émergence d'un grand nombre de réseaux. Le mouvement s'est donc montré relativement indépendant des phases du cycle et accompagne les transformations de la profession. Il n'existe pas de réel recensement du phénomène, de telle sorte que l'on ne peut le cerner que par l'information fournie par les réseaux eux-mêmes. La majorité d'entre eux, et tous les plus importants, se font référencer auprès de l'Observatoire de la franchise 171 , qui a une vocation commerciale. En dépit de son nom, il présente aussi des groupes succursalistes ainsi que des réseaux coopératifs, dont ORPI. Lors d'un pointage réalisé en 2005, nous y avons relevé 44 réseaux d'agences immobilières qui totalisaient plus de 4700 agences (soit environ 14% du total 172 ). Tous n'y sont pas présents mais un dénombrement exhaustif est rendu difficile par l'existence d'associations plus informelles ou spécifiquement régionales, comme par exemple les réseaux GIX et Noblimo sur la région Rhône-Alpes, voire locaux comme le réseau Logidirect sur l'agglomération lyonnaise. Le réseau succursaliste des bourses de l'immobilier n'y est pas présent non plus alors qu'il comptait 144 implantations à cette date. Par ailleurs, la rapidité de l'expansion rend aléatoire tout décompte précis et les chiffres donnés ici doivent être considérés comme des ordres de grandeur. On peut en premier lieu distinguer le premier réseau français, ORPI, avec environ un millier d'adhérents, des principales franchises regroupant chacune entre trois cents et cinq cents membres (plus de 700 pour Century 21). Par ailleurs, 20 de ces 44 réseaux ont été créés après l'an 2000 et ils représentent près de 17% des agences franchisées. On peut y voir à la fois l'intérêt suscité par l'activité de franchiseur et un signe des mutations du métier d'agent immobilier, mais il est probable que seule une petite partie d'entre eux se développeront (certaines franchises recensées ont moins de dix adhérents).

Sans représenter pour l'instant la majorité de la profession, les franchisés connaissent une croissance plus rapide que celle de l'ensemble des agences, et sont surtout, par définition, extrêmement visibles, du fait de leurs choix d'implantation, de l'utilisation d'enseignes identifiables et du nombre de collaborateurs par agence. La visibilité est d'ailleurs l'argument principal justifiant leur extension. On le voit notamment dans la répartition des droits d'entrée et des redevances. Parmi les réseaux recensés, les droits d'entrée sont en général fixes et s'élèvent en moyenne à 16000 euros. Les redevances se divisent en redevances de marque, se montant à 6% du chiffre d'affaires pour les plus connues 173 , et en redevances publicitaires (2% du chiffre d'affaires). Le coût, élevé, de l'adhésion est ainsi en grande partie justifié par l'apport de la notoriété d'un label et par la prise en charge d'une partie des dépenses publicitaires. L'essor des réseaux commerciaux est d'autant plus notable que l'adhésion représente une charge importante.

Plusieurs formes d'organisation coexistent. 33 des 44 réseaux évoqués sont des franchises, 5 sont des réseaux coopératifs, 3 des licences de marques, et 3 des groupes succursalistes. En théorie, ces formes sont de natures différentes et n'impliquent pas le même niveau de contrainte. Les réseaux coopératifs laissent les agences libres de leurs pratiques, et mettraient plutôt en avant des formes d'action collective (comme des fichiers communs). Les licences de marque, relevant de la propriété intellectuelle, portent d'abord sur le nom, l'enseigne et l'ensemble des aspects visuels tandis que la franchise, en plus de ces éléments, nécessite la définition d'un savoir-faire reproductible et transmissible, ainsi que la fourniture d'une assistance commerciale, mais conditionne et standardise plus fortement les pratiques des adhérents. Enfin, les filiales et succursales seraient les plus dépendantes de la maison mère. De telles distinctions ne sont pas sans effet et ont du sens pour les agents immobiliers. Les quelques réseaux qui ne sont pas en franchise sont en général plus anciens, et leur développement en réseau s'effectue dans le cadre d'une identité affirmée. On peut mentionner par exemple le groupe Le Tuc (85 implantations dont la première date de 1947) qui a pour adhérents des agences familiales. Il s'agit du seul groupement mettant en avant les valeurs attachées à la sphère domestique. Parmi les réseaux les plus importants, les différences entre les franchisés et les membres de groupes coopératifs ne relèvent pas que de la plus ou moins grande standardisation des pratiques mais également des relations entre adhérents et des choix de localisation. Nous y reviendrons plus loin, mais on peut dire que les membres d'ORPI et de L'Adresse ne sont pas sectorisés, tandis que la stratégie de développement de Laforêt, Century 21, ERA et Guy Hoquet repose sur un maillage territorial qui permet également d'éviter la concurrence directe entre agences adhérentes.

Il nous semble pourtant qu'il serait trompeur de s'en tenir à la distinction entre franchises et autres types de réseaux car tous deux sont portés par le même mouvement de fond et présentent des points communs. Tout d'abord, la loi Doubin relative au commerce associé, contemporaine du début de l'essor des réseaux commerciaux (1989), définit les obligations respectives de celui qui détient le concept commercial et de celui qui l'utilisera sans distinguer entre les différentes formes possibles. Elle ne constitue donc pas une définition juridique de la franchise. Sans entrer dans les détails de ces obligations, qui précisent les engagements devant figurer sur le contrat, on peut dire qu'elles sont communes les différentes formes d'associations. Dans le prolongement de cette remarque, notons que les réseaux n'ont pas toujours un statut unique : certains mêlent notamment des succursales formant un noyau historique et une franchise destinée à assurer le développement. Plus fréquemment encore, le franchisé d'un grand réseau peut ouvrir des succursales dans le cadre du développement du réseau à l'échelle de l'agglomération. Un franchisé parisien du groupe Laforêt revendique ainsi 35 agences, ce qui semble constituer le record national. La licence de marque peut aussi représenter une première étape vers la franchise. Ensuite, les différents types de groupes ont en commun des éléments centraux, que ce soit la reprise du nom du réseau, de sa graphie et de ses motifs visuels, ou encore l'importance prise par les supports publicitaires (site du réseau, magazine de petites annonces et, plus récemment, publicité des plus grands réseaux dans les médias audiovisuels nationaux). Le troisième point à prendre en compte est la logique de différenciation entre les franchises et, plus largement, entre tous les réseaux. Si les plus connus peuvent se prévaloir d'une notoriété acquise, ils doivent constamment la renouveler et l'accroître, tandis que les nouveaux arrivants sont contraints de se démarquer par la spécificité de leurs prestations, du recrutement, des tarifs, ou, pour le dire en un mot qui s'est quelque peu éloigné de son acception kantienne, de leur concept. En mettant l'accent sur une dimension ou l'autre du métier d'agent immobilier, les franchises agissent sur sa définition. La nécessité de les étudier de façon plus approfondie ne vient donc pas uniquement de leur croissance rapide, mais également de ce travail de réinvention de la profession. La place des franchiseurs dans la constitution d'un modèle professionnel sera au cœur du deuxième chapitre, tandis que le rôle des réseaux commerciaux dans les pratiques sera détaillé dans la deuxième partie. Pour l'instant, il est nécessaire de mentionner les autres types de regroupements, les syndicats professionnels et les fichiers communs.

Notes
171.

Voir : www.observatoiredelafranchise.fr

172.

Pourcentage calculé sur 33000 agences recensées par l'EAE en 2003. Il ne s'agit donc pas du chiffre de 2005 dont on ne dispose pas au moment de la rédaction, mais ce biais est compensé par le fait que l'EAE surestime le nombre d'agences (cf. supra). Par ailleurs, les membres des réseaux sont ceux qui ouvrent le plus de succursales : il est donc pertinent de confronter leur nombre au nombre d'entreprises plutôt qu'au nombre de cartes. Dans le département du Rhône on compte également 14% d'agences en réseau en 2005, soit une proximité remarquable avec la tendance nationale. Toutefois, le développement des franchisés, et en particulier des réseaux les plus importants, est si rapide que le pourcentage avancé de 14% est probablement déjà largement dépassé.

173.

Elles sont plus basses pour les réseaux moins connus, et peuvent également être fixes, auquel cas la moyenne s'établit à environ 700 euros. A l'intérieur du groupe les plus nombreux, ORPI se distingue par une tarification fixe. Les redevances publicitaires sont plus rarement fixes.