Chapitre 3 section 1 : "professionnalisation" et rhétoriques professionnelles

3.1.1 Les voix de la "professionnalisation"

Nous n'avons pas proposé dans le chapitre précédent d'interprétation générale des évolutions en cours, partant du principe qu'elles font l'objet de commentaires et d'analyses diverses, venant des acteurs eux-mêmes, et qui doivent être restituées. De tels discours relèvent fréquemment de l'injonction, comme l'appel à la moralisation et la modernisation lancé dans le "livre blanc". On retrouve une préoccupation comparable dans l'enquête dirigée par Alain Bourdin qui s'interroge sur les facteurs susceptibles de conduire les agents immobiliers à proposer une réelle relation de service. D'autres discours portent également la trace de la dévalorisation traditionnelle des professions commerciales et immobilières, dont la première citation ci-dessus, tirée d'une série télévisée états-unienne, est un exemple. La question de savoir "à quoi servent vraiment" les agents immobiliers n'est ainsi pas rare. Il n'est pas certain qu'une exploration des formes de cette dévalorisation, dans le sens commun ou dans d'autres types de productions culturelles, se révèle particulièrement enrichissante. Il nous semble, au travers notamment de quelques films comme celui d'Alain Resnais On connaît la chanson, mettant en scène un agent immobilier séducteur mais malhonnête et superficiel, que l'on pourrait tirer deux grandes idées d'une telle investigation 189 . La première est que, contrairement aux promoteurs ou aux marchands de biens (cf. chapitre 2), les agents immobiliers ne sont jamais présentés sous l'angle des conséquences sociales de leur activité mais sous celui de la vulnérabilité des particuliers et de la roublardise du négociateur. La seconde, corollaire de la précédente, est que la "moralité" et la compétence de l'agent immobilier sont souvent indissociables. Il serait réducteur de n'y voir que la trace de malversations réelles (qui seraient mesurables par le nombre de contentieux ou par des taux de satisfaction très bas) puisque ces représentations traduisent aussi la capacité (ou l'incapacité) de la profession à se faire reconnaître et à faire valoir sa fiabilité. Le traitement réservé aux agents immobiliers dans ces fictions est sans doute révélateur de l'image mitigée qu'ils véhiculent, du soupçon potentiel envers tous ceux à qui on est amené à s'en remettre, mais ne peut être tenu pour un analyseur de la profession et de ses évolutions actuelles. Par ailleurs, il faudrait distinguer entre l'image générale du métier dans la population, celle qu'il a auprès des clients effectifs et sa popularité comme choix d'orientation ou vocation professionnelle. Il nous semble plus pertinent de voir comment les acteurs professionnels collectifs tentent de construire la reconnaissance de leur activité au travers des mutations qui l'affectent. Ce travail peut être saisi par l'analyse des discours tenus par ces acteurs.

Notes
189.

Sans dresser de liste, on peut noter que les personnages d'agents immobiliers sont assez fréquents mais moins stéréotypés que l'on pourrait s'y attendre : les maquignons peu scrupuleux laissent fréquemment la place à des personnages d'hommes d'affaires respectables ou relativement neutres, voire à des figures plus atypiques (écrivain de pièces historiques pour la radio, actrice ne connaissant pas le succès, etc.) exerçant ce métier à titre alimentaire. En plus de ce que cela apprend sur le cinéma français récent, cette variabilité montre que l'on n'a pas affaire à une image sociale aussi fortement connotée que, par exemple, celle de notaire.