Contenu du corpus

Personnages et catégories de discours
Tableau 9 : Êtres Fictifs
Tableau 9 : Êtres Fictifs

Le tableau 9 indique les 20 premières entités ainsi que quelques objets spécifiques du métier d'agent immobilier. Toutes sont des êtres fictifs. Les premières entités non codées comme êtres fictifs sont les termes "développement", "formation" et "métier", respectivement à la 30e, 33e et 34e place (116, 110 et 103 occurrences), qui sont rattachées à des catégories d'entités. Les plus cités sont les acteurs incontournables comme les agences immobilières. Il n'y a pas d'être fictif plus finement défini pour celles-ci car les qualificatifs sont assez peu nombreux. On aurait pu par exemple créer l'être fictif "AGENCES IMMOBILIERES INDEPENDANTES@" mais il n'y aurait eu qu'une douzaine de représentants, ne justifiant pas de créer une nouvelle entité (qui, par ailleurs, n'avait pas nécessairement de sens au regard des significations traversant le corpus). Que ce soit pour les entités "inévitables" ou pour celles qui émergent au fil des recodages, la création des êtres fictifs n'est pas le résultat d'un a priori théorique (à l'inverse des catégories d'entités) : pour beaucoup, ces entités s'imposent. Leur consistance est réelle et leur fréquence importante.

Le tableau 9 permet une première visualisation du corpus. On répartit les résultats en 6 classes assez larges afin de faciliter la lecture. Les acteurs professionnels, individuels ou collectifs, y dominent, montrant à la fois la place des relations de type B et la façon qu'ont les réseaux de se poser comme acteurs collectifs (ce que signale la place du "nous"). A ce "nous" répond le "vous" qui s'adresse directement au client 225 : ce dernier est avant tout présent sous cette forme personnalisée. Les figures impersonnelles de l'acheteur, du vendeur puis du client viennent ensuite. Le marché est plus présent par les événements qui y prennent place et les objets qui le peuplent (BIENS@, TRANSACTIONS@, etc.) que comme figure générale (l'être fictif MARCHE-IMMOBILIER@ arrive en 31e position et le MARCHE-DU-PARTICULIER@ en 38e). Les autres actants peuvent pour la plupart être classés comme équipements, relevant du cadre juridique du métier (le dispositif Hoguet reprend par exemple la carte professionnelle, l'assurance en responsabilité civile et la garantie) ou de dispositifs mis en place par les professionnels, comme les fichiers communs.

Le regard théorique est plus prégnant pour la construction des catégories d'entités car leur consistance est moins établie a priori que pour les êtres fictifs. L'idée de voir comment se définit et se met en scène la compétence suppose de créer la catégorie "Logique de compétence", mais aussi celle, plus neutre, de "Métier" (ce terme étant très fréquent). Interviennent également les modes d'organisation de la profession et les discours tenus à son propos (laudatifs ou dépréciatifs). Ces catégories n'épuisent pas les registres utilisés. Les principes qui ont alors guidé le codage sont inspirés des approches présentées au début de ce chapitre. Le couple dispositif/disposition, notamment, s'est révélé opératoire pour traiter une grande partie des catégories. Les dispositifs décrivent les instruments en place susceptibles de cadrer les relations de marché. Les dispositions sont souvent à double face, à la fois schème d'action et discours instrumentalisable, à la fois principe de l'action et résultat visé (notamment dans le cas de la confiance). Dans le prolongement des dispositifs, certaines catégories décrivent les différents aspects du travail d'agent immobilier (ce qui ressort de la recherche de clients est par exemple codé comme "Intermédiation"). Enfin, quelques catégories ont également été créées pour rendre compte de configurations argumentatives moins importantes mais présentes dans le corpus ("Description de la situation", "Temporalité", "Gains", "Risque" et "Problèmes"). Le tableau 10 indique la distribution des catégories d'entités.

Tableau 10 : Catégorie d’entités
Tableau 10 : Catégorie d’entités

La distribution des catégories appelle quelques remarques. La prédominance des dispositifs juridiques (que l'on peut rapprocher de certains êtres fictifs comme ACTES@, ou DISPOSITIF HOGUET@) et des ressources cognitives (avec des termes comme "information" ou "expérience" mais comprenant également tout ce qui relève de la cognition distribuée : bases de données, sources statistiques, etc.) n'est pas très surprenante : cela confirme l'importance des thèmes du contexte institutionnel et de l'apport d'information pour justifier le professionnalisme. Par ailleurs, la catégorie Dispositifs contractuels et réglementaires est évidemment centrale dans les textes de jurisprudence, ce qui accroît son importance dans le corpus total. Si l'on retire ce sous-corpus, la catégorie n'occupe plus que la cinquième position. Les deux catégories sont fréquemment associées 226 (dans 30 textes, appartenant à tous les types de supports), de telle sorte que l'information apportée par l'agent immobilier est souvent considérée sous l'angle institutionnel. En revanche, et contrairement aux Ressources cognitives, les dispositifs contractuels et réglementaires ne sont qu'occasionnellement articulés aux autres aspects de la relation de service (Intermédiation, négociation, Promotion). Une telle association est surtout observée dans les descriptions des activités de l'agent immobilier, qui nécessitent de mentionner ces dispositifs institutionnels, notamment les diagnostics et les conditions de financement. L'extrait suivant, parmi les plus neutres que l'on puisse trouver, le montre :

‘"Mandaté par des clients acheteurs ou vendeurs, le négociateur immobilier diffuse l'offre du vendeur ou du propriétaire bailleur, sélectionne les biens pour les acquéreurs ou les locataires, dirige les négociations, conseille les parties sur le juste prix, supervise toutes les démarches nécessaires à la conclusion de la transaction : état hypothécaire du bien, certificat d'urbanisme, servitude grevant le bien, etc., et dispense aide et renseignements en matière de financement de l'acquisition." (plaquette de présentation du CQP de négociateur immobilier).’

La définition du métier passe donc par le socle de la loi Hoguet sans s'y limiter. Il constitue également un moment de la définition de l'activité de transaction, voire son contexte :

‘"Une transaction, d'après le dictionnaire, c'est un contrat, une convention, le résultat d'une négociation, donc avant tout un document. Mais pour A. M. [formateur dont l'interview fait suite à l'article], une transaction immobilière ne saurait se résoudre à un document : elle est l'aboutissement de plusieurs phases de travail qui produisent une vente. Il en dénombre pour sa part pas moins de 18, parmi lesquelles la satisfaction des obligations de renseignements qui pèsent sur le professionnel de l'immobilier." (Journal de l'UNIT, n°50)’

L'auteur se livre à un exercice de formalisation dans le but d'étayer une réflexion sur les bonnes pratiques des négociateurs. Il cherche ainsi à restituer la diversité des processus entrant dans la conduite d'une négociation (on compte parmi les 18 points cités 227 : "le travail de baisse de prix" et le "repérage du moment psychologique"). De façon significative, c'est l'amélioration des méthodes (pour ainsi dire des routines de travail) qui est visée et non la connaissance des clients. Comme on le verra tout au long de la présentation du corpus, ce second aspect est relativement peu détaillé. Cet extrait peut être lu de deux façons : on peut y souligner l'importance du contrat et le fait que les "obligations de renseignements" (soit Dispositifs réglementaires + Ressources cognitives) soient mises en avant, ou, au contraire, la volonté de l'auteur de dépasser la seule dimension juridique pour saisir toutes les activités du négociateur et objectiver les plus empiriques d'entre elles. Toutefois, le cadre institutionnel reste le principal moyen d'objectivation des savoir-faire des négociateurs, même lorsque le propos de l'auteur consiste à le dépasser. Il ne se limite pas aux obligations courantes de l'agent (loi Hoguet) mais se manifeste comme base de la formation initiale ou continue. L'exemple suivant est caractéristique dans la mesure où il aborde non seulement la rédaction d'actes mais également la dimension financière :

‘"En matière de formation des commerciaux, le CEFLU 228 propose des cycles d'initiation à l'élaboration des compromis et des promesses de vente, ainsi que des stages d'accompagnement commercial, apprentissage de la prise de rendez-vous, de la prise de mandat ou des stages spécialisés sur les produits financiers de type Besson ou de Robien. Le CEFLU a également mis au point des programmes d'initiation à l'outil logiciel Excel et comment l'utiliser commercialement pour tracer une vision patrimoniale, par exemple en le replaçant dans une culture financière." ("Formation", Journal de l'UNIT, n°50).’

La relation commerciale est ici limitée (prise de rendez-vous et prise de mandat), à l'inverse des aspects financiers. Les savoir-faire financiers et fiscaux apparaissent comme le prolongement naturel des connaissances juridiques spécifiques à la transaction immobilière. Il s'agit d'une dimension bénéficiant d'un prestige certain auprès des professionnels de l'immobilier. Les expressions de "vision patrimoniale" et de "culture financière" sont ainsi des indices de la valorisation d'une autre figure professionnelle, celle du conseiller financier. Toutefois, comme le montre la distribution des êtres fictifs et des catégories dans l'ensemble du corpus, cette figure est très peu mobilisée (le premier acteur s'y rapportant est l'être fictif BANQUE@, arrivant en 45e position dans la liste des entités). Même si le conseil en matière d'argent peut représenter un échelon supérieur dans l'évaluation de a compétence (en particulier s'il s'agit de fiscalité), il reste donc en retrait derrière le socle de base constitué par la loi Hoguet et ses ramifications.

La place de la catégorie Dispositifs contractuels/réglementaires ne signifie donc pas que la figure de la profession réglementée soit la seule présente, ni même la plus utilisée. Elle n'est associée à la catégorie de "Métier" que dans 20 textes, soit moins que celle de Ressources cognitives (40 textes), ou de Formation (38 textes). Le diplôme, la formation initiale et l'expérience servent ainsi, assez classiquement, de point d'ancrage à l'objectivation de la compétence. Il faut également y ajouter les régulations qu'instaurent les professionnels eux-mêmes. Le rappel de la loi Hoguet ou des dispositifs financiers n'est donc pas le seul recours, comme l'indiquent les deux extraits suivants. Le premier fait le lien entre règle de fermeture, formation et compétence : cette dernière est ici présentée sous l'angle de l'innovation ("professionnels de deuxième génération", "nouvelles approches de services aux particuliers"), ce qui est peu fréquent dans le corpus :

‘"Réservé exclusivement aux agences adhérentes à la FNAIM, le réseau L'ADRESSE regroupe des professionnels immobiliers de 2ème génération dont la formation (école de commerce ou plus globalement bac+3) facilite, pour la plupart d'entre eux, de nouvelles approches des services aux particuliers." (site de présentation du réseau L'Adresse).’

Le second extrait montre comment, à travers l'institution d'un cadre d'action (une franchise), le métier en vient à être repensé :

‘"Nous avons donc déjà des structures de formation, d'accompagnement, de contrôle et de gestion à notre disposition. Mais la franchise est une profession supplémentaire! Cela fait 2 ans que nous travaillons sur le sujet. Nous nous sommes rapprochés d'un cabinet de conseil spécialisé. Et je dois dire que sans l'aide d'Epac, je ne me serais pas lancée dans cette nouvelle aventure. Il y a des règles fondamentales, un savoir-faire à identifier, à transmettre, des responsabilités vis-à-vis des franchisés qui s 'engagent avec nous… Epac a mis en place tous les outils afin que nous respections les règles de la franchise et également afin que notre développement se fasse sainement." (Interview d'Yvette Bedin, fondatrice du réseau "cabinet Bedin", passage souligné par nous)’

La gradation que l'on peut observer dans la phrase soulignée est significative : d'abord des "règles fondamentales" sur la base desquelles un "savoir-faire" peut être identifié puis transmis et, enfin, déboucher sur des "responsabilités", donc sur de nouvelles règles. Beaucoup de textes ont ainsi besoin de ce cadre d'action objectivable pour éventuellement chercher à saisir les bonnes pratiques, plus empiriques et moins formalisables. Les registres institutionnels servent donc d'appui à la définition des savoir-faire et de la compétence.

Si cela révèle une certaine tendance à vouloir stabiliser les attentes et les façons de faire (comme dans les codes de déontologie), il ne faut pas en déduire qu'un tel cadre suffit à justifier la compétence et le pouvoir professionnel : il doit être articulé à un discours plus générique sur le métier. A cet égard, on ne peut que noter la faible présence de la "Logique de Compétence" qui arrive en 24e position dans la distribution des catégories. La profession est décrite sous l'angle assez neutre du "Métier", combiné à celui de la "Rhétorique de l'excellence" (respectivement en 4e et 9e position), comme si l'écart entre les garanties de la loi ou des savoirs et la définition du professionnalisme ne pouvait être comblé que par l'affirmation incantatoire de sa propre valeur. Le "Métier" et la "Rhétorique de l'excellence" sont d'ailleurs largement combinés (dans 42 textes). Cela révèle que les discours sont plus volontiers orientés vers l'affirmation d'un statut de professionnel que vers la certification ou la stabilisation des qualifications, comme le montre de façon presque caricaturale l'extrait suivant :

‘"Ainsi, être professionnel de l'immobilier, c'est plus qu'un travail, mieux qu'un métier : une mission. Et l'on voudrait la confier à des amateurs ? Ce serait irresponsable et dangereux. Il est des sujets qui font l'unanimité dans les dîners, déjeuners ou réunions de famille, qui sont toujours d'actualité, sur lesquels tout le monde a un avis ou, plus grave, se croit compétent au nom d'une expérience personnelle qui n'est forcément que partielle et partiale. L'immobilier est de ceux-là, comme l'amour, l'automobile ou la météorologie. Vente, location, investissement, gestion, copropriété : chacun croit tout savoir car chacun est intéressé au premier chef. Or personne ne sait rien, ou si peu! D'où l'absolue nécessité de confier ce domaine trop important pour être négligé (un toit, n'est-ce pas l'essentiel une fois qu'on a mangé?) à d'authentiques professionnels." (Journal de l'UNIT n°46, éditorial)’

Il s'agit à notre connaissance de la seule comparaison de l'immobilier avec l'amour et la météorologie 229 . Les formes de la dramatisation qui justifient ici la coupure entre le profane et le professionnel apparaissent purement rhétoriques, au sens le plus négatif du terme, c'est-à-dire coupées des objets concrets censés les étayer. Cet extrait n'a pas été choisi uniquement parce qu'il donne prise à l'ironie : on y retrouve la justification traditionnelle du pouvoir professionnel (besoin d'un savoir spécialisé, risque qu'il y aurait à le confier à d'autres qu'à des professionnels qualifiés) qui est rarement explicité aussi nettement dans les autres textes. Lorsqu'elle est n'est pas associée à d'autres contenus du savoir-faire des agents immobiliers, la Rhétorique de l'excellence donne donc parfois une impression d'emphase. En réalité elle n'est que rarement coupée d'autres registres, comme l'Identité commerciale, dont elle souligne l'importance.

Ces remarques vont dans le sens de ce qui a été dit plus haut, à savoir que les agents immobiliers ne pouvaient qu'imparfaitement s'appuyer sur les rhétoriques des professions établies et que la dimension servicielle devait tenir une grande place dans leurs discours (et en faire l'originalité). La Relation de service est ainsi en 5e place dans la distribution des catégories (les SERVICES@ se situant en 26e place dans celle des êtres fictifs). Toutefois, avant de l'analyser spécifiquement, il est important de poursuivre l'exploration générale du corpus. Il est en effet nécessaire de prendre en compte l'ensemble des registres, et pas seulement ceux relavant de la profession, de la compétence et du métier. En particulier, la qualification des acteurs et des pratiques doit être étudiée. A cet égard, la distribution des catégories et des êtres fictifs ne suffit pas à caractériser le corpus. Il faut aussi s'intéresser à la façon dont elles sont rapprochées. L'observation des associations entre les différentes entités du corpus (appelés réseaux dans le logiciel Prospéro 230 ) permet ainsi de préciser quelques peu les figures du discours.

Notes
225.

La prédominance du "vous" sur les autres figures du client continue à être observée même si l'on retire les interviews du corpus.

226.

Il y a plusieurs façons de mesurer les associations. La plus forte est la coprésence des catégories dans le même énoncé (la même phrase), la plus lâche est observée lorsque chaque catégorie n'a qu'une unique occurrence dans le texte. Ici on prend en compte le cas où les deux catégories ne sont pas seulement présentes dans le texte, mais celui où elles apparaissent plusieurs fois chacune (catégories dites "émergentes" dans Prospéro). La fonctionnalité du logiciel correspondante est celle du "régime discursif".

227.

Parmi ces 18 points, 3 relèvent de la constitution d'un portefeuille de mandats, 3 des démarches publicitaires de valorisation, 3 de l'information sur les acquéreurs potentiels, 3 des visites, 4 de la négociation et 2 des démarches liées à la conclusion de la vente.

228.

Organisme de formation spécialisé dans l'immobilier et la construction, créé à Paris en 1972.

229.

En ce qui concerne l'automobile, les agents immobiliers utilisent parfois la profession de garagiste comme point de comparaison et comme repoussoir.

230.

Le logiciel calcule les liens en fonction de la proximité entre les termes. On compte une association si les deux termes sont dans la même phrase, et deux associations s'ils ne sont séparés que par un mot dans la phrase. Par exemple un extrait tel que "la visite d'un bien avec un agent immobilier" ajoute deux liens entre VISITES@ et BIENS@, et un seul entre VISITES@ et AGENT-IMMOBILIER@. Il est ainsi possible de visualiser l'ensemble du réseau d'un mot, mais aussi d'un être fictif ou d'une catégorie.