Les discours adressés aux clients

Le point culminant de la rhétorique du service

Les sous-corpus retenus pour le discours adressé aux clients sont celui de la presse consumériste et celui des sites Internet de réseaux, ces derniers cherchant à établir des relations de type B. Tous deux utilisent très fréquemment la figure du CLIENT-PERSONNALISE@ (en première position pour les sites, deuxième pour la presse consumériste). Ils présentent l'avantage de développer des stratégies argumentatives nettement différentes. Le risque de forcer le trait existe donc, mais il correspond aussi à la réalité des discours tenus.

Tableau 12 : discours adressés aux particuliers
Tableau 12 : discours adressés aux particuliers

Le panorama qu'esquisse le tableau 12 révèle des logiques nettement différentes. Il y a des observations auxquelles on pouvait s'attendre, comme l'usage plus fréquent de la rhétorique de l'excellence dans les discours des professionnels. La principale différence est la position des "Dispositifs contractuels/réglementaires", seconde catégorie la plus citée dans la presse consumériste et absente des 15 premières dans les sites de présentation. La place des "Dispositions de Marché" est presque symétrique, centrale dans les sites et secondaire dans la presse consumériste, de telle sorte que les deux orientations identifiées ci-dessus (objectivante et relationnelle) semblent ne pas se mêler mais bien caractériser des sous-corpus distincts. La presse consumériste va mettre en avant les obligations, notamment celles qui engagent le propriétaire lorsqu'il signe un mandat 238 et celles des agents immobiliers dans le cadre de la loi Hoguet, tandis que les réseaux d'agences organisent leur présentation autour de trois thèmes : une relation personnalisée, une offre de services, une mobilisation de compétences (se confondant avec leur motivation, leur "volonté" et leur "passion"). La dimension du réseau et son organisation, qui viennent étayer les aspects précédents, sont également des arguments fréquents, que signale l'importance des catégories de Développement et de Logique réticulaire. La participation active du client, les idées de co-réalisation et de travail conjoint sont en revanche assez peu présentes. Le travail critique de la presse consumériste consiste notamment à minorer la dimension servicielle (disponibilité, suivi, etc.) et à insister sur la faible compétence technique. L'extrait suivant est à cet égard caractéristique :

‘"Jusqu'à la signature de l'acte de vente, le professionnel est censé vous faciliter la vie. En premier lieu, il va s'occuper de prendre des rendez-vous et de faire visiter votre logement. Ce service est même souvent l'unique raison invoquée par certains vendeurs qui ont fait appel à un agent immobilier, parce qu'ils habitent loin et sont très peu disponibles pour procéder aux visites. Les arguments reposant sur la simplification des démarches liées à la transaction sont, en revanche, souvent sans commune mesure avec la réalité. Car ces démarches sont à la portée de tous." ("Vendre au juste prix", 60 Millions de consommateurs).’

On voit ici à nouveau la difficulté à faire valoir une compétence avant tout servicielle (voire relationnelle) si les savoir-faire sur lesquels elle s'appuie ne sont pas immédiatement perceptibles. L'observation des autres catégories ne remet pas en cause cette orientation. Ainsi, les "Evaluations" ont plus de poids dans la presse consumériste 239 , mais la confiance y est moins mentionnée, tandis qu'elle figure (plutôt comme moyen –transparence– que comme résultat 240 ) dans les sites de réseaux. Il s'agirait donc de deux rhétoriques séparées. Elles ne se rejoignent que dans la "Proximité", représentée largement par le "quartier", notion elle-même à géométrie variable mais qui semble être l'échelle de raisonnement la plus usitée. La catégorie de Proximité est la plupart du temps associée à l'être fictif CLIENT-PERSONNALISE@ 241 , dont elle sert à préciser les contours. Ajoutons toutefois, même si le terme de "quartier" peut laisser entendre le contraire, qu'il s'agit au moins autant de définir le projet immobilier (autour des critères de choix d'une localisation) que de qualifier la relation commerciale. La proximité est ainsi associée au "nous" du réseau commercial de façon très régulière alors que ce n'est pas le cas dans les discours entre professionnels.

A l'exception de la Proximité, le fait de porter le regard sur les termes exacts utilisés confirme plutôt l'impression de séparation : les catégories utilisées dans les deux sous-corpus ont des colorations différentes, que montrent les oppositions terme à terme suivantes : documents / expérience (Ressources cognitives), négociation / écoute (Relation de service), choix / attentes (Dispositions de Marché), annonces / communication (Promotion). La presse consumériste se penche sur les formes objectivées de la transaction, tandis que les réseaux commerciaux, se situant du côté de la qualification de la relation commerciale, cherchent à instaurer une image idéalisée de cette dernière. Même si cela n'apparaît pas dans le tableau précédent, on peut noter que des catégories telles que "Risque" ou "Problèmes" sont nettement moins fréquentes dans les sites de réseaux, même avec des formulations négatives ("sans risque", etc.) La méthode consistant à agiter les difficultés propres à la transaction pour inciter à recourir à un professionnel n'y est donc pas majoritaire.

Les procédés stylistiques correspondants vont dans le même sens. Ainsi, la presse consumériste utilise largement l'exemple et l'étude de cas :

‘"Pour juger les agences sur le critère de la pertinence des conseils, nos enquêteurs devaient se mettre dans cette situation: "Nous achetons ce logement pour le louer. Mais nous risquons de devoir le reprendre dans quelques années pour y loger notre neveu, cela sera-t-il possible ?" À l'arrivée, sur 34 agences testées, seules deux (Laforêt à Grenoble et Century 21 à Limoges) ont répondu correctement." ("Les agents immobiliers : aimables mais incompétents", Que choisir?)’

Le titre de cet autre article du même magazine "Les perles des agents immobiliers" est également révélateur. La plupart du temps, comme dans l'exemple cité, il s'agit de manquements dans les informations juridiques. En revanche, le test comparatif (par exemple entre enseignes) n'existe pas. Les sites de réseaux utilisent parfois la forme opposée, la généralisation : "Il n'en demeure pas moins que le meilleur ambassadeur de votre bien sera et restera toujours, même à l'autre bout de l'Europe, celui dont la profession est de vendre des habitations." (site ERA) Mais ils ont plutôt tendance à emprunter d'autres procédés, qu'ils relèvent de la persuasion (le site ORPI s'ouvre sur la question, qui est déjà une réponse, "Pourquoi choisir le leader?"), de la démonstration ou de l'énumération (cf. site Arthur ci-dessus). Plus que de contrats, il y est question d'engagements, de service et de motivation.

Notes
238.

Des être fictifs tels que MANDATS@ ou DIAGNOSTICS@ sont beaucoup plus employés dans la presse consumériste que sur les sites des réseaux d'agences.

239.

Il s'agit d'abord des évaluations se rapportant à la qualité et à l'état des biens, la détermination du prix venant derrière.

240.

Notons que cela rejoint les observations de H. Isaac mentionnées plus haut sur les codes de déontologie.

241.

Sur l'ensemble des textes adressés aux clients, la Proximité arrive en troisième place dans le réseau du CLIENT-PERSONNALISE@, et seulement à la 10e dans le reste du corpus.