Fondation des réseaux

Etant donné que la presse consumériste ne propose pas de test comparatif, le sous-corpus permettant de traiter les réseaux commerciaux comprend avant tout les fiches de présentation (cf. tableau 11), les sites Internet (cf. tableau 12) et les interviews de responsables de réseau (non présentés mais qui utilisent des catégories de discours proches de celles des fiches). Ce sont surtout les premières qui permettent les comparaisons. Il est vrai que les rubriques demandées par l'observatoire de la franchise pour déposer une fiche de présentation des réseaux pousse à des descriptions standardisées : présentation du réseau et de ses caractéristiques, profil des candidats recherchés, historique, aspects financiers (chiffre d'affaires moyen des adhérents, coûts de la franchise, etc.) Cela explique notamment pourquoi le Développement est la catégorie la plus citée : il peut aussi bien désigner le développement initial du réseau, que ses perspectives actuelles et celle des futurs adhérents. Néanmoins, l'extension du réseau n'est jamais le seul argument : les catégories d'Identité commerciale et les LABELS@ sont en bonne place dans toutes les fiches, surtout lorsqu'il s'agit de petits réseaux. Moins connus, ceux-ci doivent justifier leur existence. Leur présentation s'organise moins sur la formalisation de leurs caractéristiques qu'autour de la mise en scène de la success-story du fondateur, dans laquelle la franchise n'est qu'une étape naturelle. Cette représentation n'a pas pour seul objectif de pallier un éventuel anonymat : il s'agit également, implicitement, de lever le soupçon qui pèse sur tout franchiseur de ne chercher qu'à prélever une partie du chiffre d'affaire de l'agent. L'exemple suivant est assez caractéristique de cette personnalisation (qui prend même ici des allures dynastiques) et du caractère spontané de l'évolution vers la franchise.

‘ANNE CAROLE est une Franchise d'agences Immobilières dirigée par deux femmes, Anne, spécialiste de l'immobilier depuis plus de 15 ans, et sa fille Carole. […] Suite au succès des agences déjà exploitées en licence de marque ou en propre et grâce à l'homogénéité du réseau, la décision a été prise en décembre 2000 de créer une chaîne de franchise pour accélérer le développement. (fiche Anne Carole, réseau parisien, 12 implantations)’

La justification de la création de la franchise peut également s'appuyer sur l'expérience, l'implantation locale, et la notoriété. Toutes ces caractéristiques sont présentes dans le passage suivant, ce qui n'épargne pas à ses auteurs de revendiquer aussi un savoir-faire en marketing et en communication publicitaire :

‘Avec 26 ans d'expérience dans la transaction, la location et la gestion immobilières, le CABINET BEDIN IMMOBILIER détient une incomparable connaissance de ces métiers aujourd'hui en complète mutation. Il compte aujourd'hui 28 agences succursales, dont 4 sont des agences pilotes. Ce développement lui permet d'être le 2ème réseau succursaliste français. […] Le CABINET BEDIN IMMOBILIER a choisi de se développer en priorité en Aquitaine (Dordogne, Lot-et-Garonne, Landes et Pyrénées-Atlantique). Nos principaux atouts sont : 27 années d'expérience et de développement réussis, le fichier commun, le maillage géographique, une excellente santé financière et l'ensemble de nos savoir-faire. Persuadés que l'appartenance à un réseau est la meilleure voie de croissance, nous avons choisi d'investir dans le développement d'un concept de franchises.[…] Dans un marché de plus en plus fortement concurrentiel, Yvette Bedin a su construire une entreprise de renom. Son goût de l'excellence et son marketing de conquête font du CABINET BEDIN IMMOBILIER une des entreprises incontournables de l'immobilier en Aquitaine et bientôt en France. (fiche cabinet Bedin, 28 implantations)’

L'autopromotion et la Rhétorique de l'excellence vont parfois plus loin, en particulier dans le cas de ce réseau implanté sur la Côte d'Azur et à la présentation duquel ne manque que le bruit d'un bouchon de champagne qui saute :

‘"1864, le début d'une saga : John Taylor arrive sur la riviera française et très vite s'installe agent immobilier. Son renom et son efficacité lui valent de devenir l'agent des têtes couronnées et des grandes fortunes de l'époque : la reine Victoria compte parmi ses clients. Elle le nommera même vice-consul britannique à Cannes. Son fils, son petit fils reprennent le flambeau. Son arrière petite fille, digne continuatrice de la volonté entrepreneuriale de la famille est décorée par la reine Elisabeth II "Member of the British Empire". Aujourd'hui encore, John Taylor est l'agence des grands et de la "jet set". Le partenaire incontournable dans l'immobilier exceptionnel : depuis le début de l'année, une villa à Saint Jean Cap Ferrat vendue 26,5 m€, une propriété à Saint-Tropez vendue 8m€, mais aussi un fichier de 500 mandats de plus de 1m€. […] Ce formidable patrimoine de marques s'ouvre maintenant à la franchise. La stratégie est claire : être capable d'accompagner, en Ile de France d'abord, dans d'autres régions sélectionnées ensuite, la clientèle internationale fidèle de John Taylor sur la Riviera, partout où elle souhaite acquérir une autre résidence." (fiche du réseau John Taylor, 7 implantations)’

Il s'agit évidemment d'une exception, citée à titre de cas extrême (voire de curiosité). Il n'est toutefois pas inintéressant de noter l'inflexion d'un discours qui, parti de l'évocation d'une "saga" colorée, s'oriente vers les termes de "marques", de "franchise" et de "stratégie". L'expression "patrimoine de marques", notamment, résume de façon saisissante le jeu permanent des conversions entre les représentations (image, notoriété) et l'exploitation commerciale qui en est faite.

Notons enfin que la mise en scène d'histoires personnelles n'est pas réservée aux petits réseaux. La plus célèbre est sans doute celle de Guy Hoquet, fondateur du réseau du même nom, et dans le récit duquel on voit à quel point l'héroïsation personnelle peut servir de point d'appui à l'image du réseau :

‘"Je n'étais pas destiné à devenir agent immobilier. Après une vingtaine d'années passées dans la Marine Nationale, j'avais besoin de trouver un métier dynamique, qui me passionne. Je suis entré à 17 ans dans l'armée, comme simple soldat. J'en suis sorti capitaine, après avoir travaillé dur, passé des examens, des concours... C'est un peu le hasard qui m'a fait rencontrer le réseau d'agences immobilières dans lequel je suis devenu assez rapidement le franchisé qui obtenait les meilleurs résultats. Toutes mes agences dépassaient les chiffres des autres agences du réseau, y compris celles tenues en propre par le franchiseur. J'ai donc décidé de quitter, à l'amiable, ce réseau pour créer mon propre réseau." (interview Guy Hoquet, 400 implantations).’

Il s'agit sans doute de la franchise qui pousse le plus loin la personnalisation. Tout, jusque dans la perfidie du "à l'amiable" final, suggère l'exemplarité du parcours et le caractère naturel de la réussite, après cette sorte de gestation qu'a représenté le passage dans l'armée. Les enseignes nationales ne mettent pas systématiquement en avant ce type d'histoire, mais, sans aller jusqu'à parler de mythe fondateur, il s'agit souvent d'un pilier de l'identité du réseau. D'une certaine façon, on passe de l'originalité du concept commercial, de l'identité commerciale, à l'identification à une histoire personnelle (que le franchisé, à son échelle, est invité à revivre) et/ou à un réseau et à une marque. Cet aspect est d'autant plus notable qu'il peut aller à l'encontre de la codification des méthodes, codification dont on peut penser a priori qu'elle est consubstantielle à l'idée de franchise : le principe de reconnaissance (visibilité, identification, personnalisation) est premier dans le discours des franchiseurs immobiliers.