Caractéristiques générales

Les réseaux peuvent ensuite être définis par quelques caractéristiques. Outre la forme juridique du réseau dont il a été question au cours du deuxième chapitre, la comparaison peut s'organiser autour d'un petit nombre d'éléments. Etant donnée la forme prise par les fiches de présentation, on peut les résumer succinctement.

‘"Toutes les marques ont un message un peu trop philosophique à mon goût. […] Je pense qu'il est inutile de communiquer en disant que nous avons la meilleure assurance, le meilleur financement… Tous les réseaux ont mis en place des services complémentaires." (Interview de Jean Lavaupot, représentant ERA, 310 implantations en France).’

De fait, les supports techniques (juridique, financier, etc.) sont la plupart du temps mentionnés sans être pour autant soulignés. L'accent est, en revanche, plus volontiers mis sur l'assistance à la création d'entreprise et sur le soutien au début de l'activité. Il ne s'agit pas que de la gestion, mais également, et surtout, de formation initiale au métier de négociateur. Celle-ci peut avoir lieu dans des organismes de formation (le plus connu étant celui de Laforêt Immobilier) et/ou dans des agences du réseau. Dans le premier cas, elles ne se limitent pas aux futurs adhérents mais servent également à créer un vivier de commerciaux employables par les agences du groupe. Dans les petits réseaux, la formation et la transmission des méthodes passent par le ou les fondateurs eux-mêmes. Destinées d'abord aux créateurs (avec, parfois, des modules pour ceux qui avaient déjà une agence), ces formations durent de deux à quatorze semaines, partie théorique (et juridique) comprise, soit des périodes assez courtes. Rappelons par exemple que le contrat de qualification de négociateur immobilier (CQP) mis en place au niveau de la branche est obtenu au terme d'un an de cours et de stages. Les formations mises en place par les franchisés peuvent donc paraître modestes au regard des autres système existants, mais elles s'y substituent souvent pour les créateurs d'agences (qui, il est vrai, bénéficient souvent d'une expérience professionnelle dans d'autres activités que n'ont pas la majorité des étudiants préparant un BTS ou un CQP). Elles sont par ailleurs plus spécifiques, ne serait-ce que parce qu'elles comportent un apprentissage du logiciel utilisé par le réseau. La formation continue est plus ponctuelle et consiste en général à actualiser les connaissances lorsque de nouvelles réglementations apparaissent (diagnostics techniques, dispositif de Robien, etc.) Si des disparités existent dans les offres de formation, elles ne sont pas systématiquement mises en avant pour se différencier puisque la catégorie de Formation n'apparaît dans les dix premières catégories que pour 11 réseaux seulement (nationaux ou non).

‘"A LA LUCARNE DE L'IMMOBILIER est un nouveau concept d'agence immobilière qui associe immobilier et nouvelles technologies. Fruit de la réflexion de professionnels de l'immobilier et de l'informatique, l'idée est de permettre la recherche aisée d'un appartement ou d'une maison en visionnant à distance les volumes, l'espace et l'environnement du bien via une technologie de visite virtuelle unique. Les ingrédients forts de A LA LUCARNE DE L'IMMOBILIER résident dans l'utilisation d'outils de présentation et de communication innovants et de prestations originales. Le site Internet alalucarne.com, interface unique utilisant le procédé de visualisation des biens, représente aujourd'hui un des points forts de l'agence A LA LUCARNE DE L'IMMOBILIER, puisqu'il lui permet de démultiplier l'impact de sa technologie et les contacts aussi bien acquéreurs que vendeurs, représentant un effet de levier considérable pour l'achat et la vente d'un bien immobilier." (fiche A la lucarne, 8 implantations)’

Il s'agit du réseau qui va le plus loin dans la mise en valeur des biens par Internet. La visite virtuelle consiste en une vue filmée de l'intérieur du bien, un curseur permettant de changer de pièce ou d'angle de vue, tandis que le secteur visualisé est figuré sur un plan à droite de l'image. Le site indique ainsi : "Désormais, avec notre technologie, l'acquéreur a la possibilité de voir à distance non seulement le rendu réel du bien mais aussi la distribution complète des pièces, l'existence de murs porteurs, la répartition des ouvertures, le nombre de niveaux, la situation des penderies, dressings etc..." La visite repose donc à la fois sur une mise en situation et sur la quantité d'informations techniques fournies. Les agences elles-mêmes (dénommées "show room") disposent de bornes d'accès à Internet et sont conçues comme des "expositions permanentes de l'immobilier". les annonces, ainsi qu'un lien vers le site, sont ensuite référencées sous un format plus standard dans les principaux sites d'annonces immobilières. Cela signifie que, la plupart du temps, les acquéreurs potentiels voient d'abord une annonce classique avant, éventuellement, de s'orienter vers la visite virtuelle. Dans le premier extrait cité, la "technologie" des visites virtuelles est présentée, puis, classiquement, vient la possibilité de toucher les acquéreurs par le biais du Web. La majorité des textes, on l'a vu, se focalise sur le second aspect, alors que l'on aurait spontanément tendance à supposer que le premier se développerait rapidement. Ce sont encore les stratégies de référencement et de visibilité sur les sites publicitaires les plus visités qui prédominent. Même s'il n'a toujours pas suscité beaucoup d'intérêt, il est probable que ce mode de présentation soit amené à se diffuser. On peut arguer qu'il ne remplacera pas les visites réelles, sans que cela limite l'attrait potentiel des "pré-visites" et notamment de la visite virtuelle. L'argument du franchiseur est évidemment que cette pratique limite les visites inutiles (avec le slogan d'une vente pour trois visites) : il y aurait une autosélection des acquéreurs potentiels remplaçant la présélection effectuée par l'agent. Le compteur des visites virtuelles (le site annonçant un minimum de 250 visites par bien) a pour objectif de donner une mesure de l'audience aussi bien que de cette autosélection.

Le faible développement de la visite virtuelle ne renvoie pas uniquement à sa complexité technique ou au coût de sa mise en place, même si ces éléments ne peuvent être négligés. On peut sans trop de risques anticiper un effet de seuil : son lancement par une grande enseigne conduirait probablement les autres à l'imiter. Il serait en revanche hasardeux de prévoir quand se généralisera sa diffusion, ou quel pourrait être le déclencheur. On présente parfois le mandat simple comme un frein puissant à sa diffusion (notamment dans le "Livre Blanc"). Il contraint en effet l'agent immobilier à ne pas dévoiler l'adresse du bien et à tout faire pour qu'elle ne puisse être devinée. Il peut être plus difficile de restreindre l'information dans un petit film que dans quelques photos (ou a fortiori dans le texte d'une annonce). Cette restriction limite surtout la portée de l'autosélection puisqu'il manquera à l'acquéreur séduit par l'image une information cruciale : la localisation exacte du bien. Par ailleurs, les deux conséquences négatives du mandat simple présentées au chapitre 1 (limiter les démarches au début et capter rapidement les acquéreurs potentiels par un bon de visite) peuvent jouer un rôle. Mettre en place une visite virtuelle peut être considéré comme un investissement initial trop important s'il y a déjà beaucoup d'agences qui ont pris un mandat. Parallèlement, le nombre de visites organisées est une façon pour l'agent de recueillir les réactions des acquéreurs potentiels et de faire la preuve auprès du vendeur des démarches effectuées (ce que l'on peut mettre en rapport avec la Logique de l'action dont on a vu qu'elle occupait une place importante). Ces considérations sont évidemment à mettre en balance avec les avantages de la visite virtuelle, d'autant plus qu'elles ne les contredisent pas, mais peuvent expliquer pourquoi l'élaboration d'une telle technique n'est pas encore une priorité. Plus généralement, il n'est pas inintéressant de noter que les franchises se sont d'abord tournées vers des objectifs de développement et de prise sur le marché, en particulier avec les fichiers communs, avant d'envisager de nouveaux modes de présentation des biens, comme si la réussite du travail de valorisation dépendait des conditions d'appropriation des affaires.

‘"ERA France privilégie les profils de chefs d'entreprise alliant une grande capacité de management à un fort tempérament commercial. Doté d'un bon relationnel, le franchisé doit non seulement accueillir et conseiller le client en agence, mais aussi être présent sur le terrain pour animer son équipe de négociateurs et générer des contacts nouveaux." (fiche réseau ERA, 310 implantations en France)’

Les deux figures renvoient ici à une qualité principale, celle du "relationnel", mais ce n'est pas toujours le cas. Le "manager" est souvent crédité d'une vision plus large lui permettant de se détacher de la négociation immobilière elle-même pour mener le développement de son (ou ses) agences. Il est assez rare que la figure du commercial soit la seule mobilisée. Un des seuls réseaux à opposer les deux est Immoliaison (14 implantations en 2005) qui demande "plus qu'un manager, un commercial avant tout". Or la spécificité de ce réseau est de défendre l'idée de petites agences (voire d'agences à domicile, sans local commercial) et d'interdire l'ouverture d'agences secondaires. C'est également le cas du groupe TO2I où l'interdiction d'ouvrir des agences secondaires est associée à une conception globale du métier :

‘"Nous avons une vision du métier d'agent immobilier très différente de celle qui domine dans les autres réseaux. C'est un métier de commerçant, un marchand de maisons ou d'appartements. Les clients devraient pouvoir aller chez leur agent immobilier comme ils vont chez le boucher ou chez le médecin, ce n'est pas le cas actuellement. Notre rôle est de répondre aux besoins du vendeur et à ceux de l'acquéreur, ce qui est à la fois simple et très compliqué, car une grande part d'affectif entre en ligne de compte. Le rêve numéro un des français est d'acheter une maison. A une certaine époque, on séparait le fait d'entrer des mandats et celui de les vendre. Cette conception du métier est complètement dépassée. Chez TO2I, les négociateurs et les commerciaux sont des assistants. Les clients traitent directement avec le responsable de l'agence. ’ ‘Nous apprenons à nos franchisés à être des acteurs et pas seulement des directeurs d'agence, à être capitaines d'équipe et pas entraîneurs. Tout cela se reflète même dans la conception architecturale des agences TO2I. Le bureau du patron est entièrement vitré et il est situé au cœur de l'agence. Ce qui n'est en général pas le cas. Le "patron" dispose son bureau au fond. C'est à mon sens une erreur stratégique. Du fait même de cette conception du métier, les franchisés TO2I ne peuvent pas ouvrir plusieurs agences ou alors uniquement dans le cadre d'une association." (Interview de H. Lionnet, responsable du groupe TO2I, 45 implantations, passages soulignés par nous).’

Ce passage est certes long mais il présente l'intérêt de proposer une conception cohérente de la profession, articulant le rôle du professionnel ("commerçant") et ses qualités d'homme de terrain à l'organisation du travail et à la configuration spatiale des agences. La figure du commerçant à laquelle sont subordonnés les autres éléments est, comme indiqué dans l'extrait, originale. Elle fait habituellement office de repoussoir au motif que les biens immobiliers ne sont pas comparables aux biens de consommation courants et que le négociateur n'est pas un distributeur. Elle acquiert ici une valeur par la comparaison avec le médecin et le boucher, deux occupations que l'on rapproche rarement depuis l'invention de la chirurgie moderne, et dont l'association crée plutôt un effet de familiarité évoquant les commerces de proximité ainsi qu'une vision routinière, pour ainsi dire dédramatisée, des services à la personne (ce qui n'empêche pas de mobiliser, sur un mode mineur, le thème de la transparence par le biais du bureau "entièrement vitré"). Comme dans la plupart des franchises, le discours repose presque exclusivement sur le responsable de l'agence dont la figure est ici une version particulière de celle du manager. La nuance entre le "capitaine d'équipe", engagé dans la mêlée (c'est-à-dire, en l'occurrence, traitant directement avec les clients), et "l'entraîneur", organisateur distant, permet d'activer la notion valorisante de "manager" sans recourir à celle de chef d'entreprise. L'interdiction d'ouvrir des agences secondaires n'est alors pas due à une préférence pour des agences de petite taille ou une conception individuelle du métier mais à une volonté de centrer la relation commerciale (notamment l'élaboration des compromis) sur la personne du responsable d'agence.

Immoliaison et TO2I sont toutefois des exceptions. La majorité des franchiseurs préfère quant à elle laisser à leurs adhérents la possibilité d'ouvrir plusieurs agences. Cela relève d'abord d'une stratégie de séduction, consistant à faire miroiter des opportunités de croissance, et à ne pas se couper d'agents immobiliers déjà implantés et souhaitant accompagner leur extension par une franchise 254 . Mais cette politique peut également renvoyer à une vision du métier explicitement développée dans laquelle, à côté du maillage national piloté par le franchiseur lui-même, le développement s'appuie sur les membres locaux :

‘"Les créateurs viennent en général de la grande distribution, de la banque, assurance... Ils ont en moyenne 40 / 45 ans et ont eu des fonctions managériales. Notre politique est de rechercher des gens qui seront capables de gérer plusieurs agences. Aujourd'hui, sur 90 implantations, nous avons 40 / 45 franchisés. […] Nous sommes très favorables à la multi franchise parce que c'est aussi un outil de cohésion d'un réseau. L'esprit d'entreprise est le même, il y a une culture commune renforcée. Vous savez, le plus gros challenge dans notre métier est de créer des équipes. C'est un métier où le turn-over est important et le fait de proposer un réel plan de carrière à des négociateurs nous permet de constituer des équipes soudées." (Interview G. Chapeleau, directeur d'Avis Immobilier, passage souligné par nous)’

Les dispositions des responsables d'agences répondent au souci de la cohérence d'ensemble et du maintien d'un esprit de réseau, ici manifesté par la combinaison des catégories de Logique réticulaire ("cohésion") et d'Identité commerciale ("culture commune"). L'ambition personnelle des directeurs d'agences devient le ciment de l'action. On trouve fréquemment dans les textes la coprésence de dispositions managériales et d'un esprit de réseau, mais les deux ne sont qu'exceptionnellement articulés. L'intérêt de cet extrait réside également, et surtout, dans le fait d'expliciter la relation entre ce fonctionnement de réseau et l'organisation interne des agences. Habituellement, le "manager" est censé diriger une équipe sur la base de ses seules qualités personnelles. Ici, les conditions locales du développement du réseau sont présentées comme ouvrant un espace à l'évolution professionnelle, espace susceptible de stabiliser les équipes de commerciaux. Il s'agit du seul texte où une telle relation est faite. Les termes de "carrière" et de "turn-over" sont par exemple cités moins de cinq fois chacun dans l'ensemble du corpus. Les grandes enseignes, en particulier, n'abordent pas la question du turn-over. Même la presse consumériste l'ignore, alors qu'il lui arrive de critiquer le niveau de formation. Un seul autre réseau y fait référence, au nom d'une conception traditionnelle des agences familiales (il s'agit du réseau Le Tuc, cf. chapitre 2).

‘"Les avantages de notre réseau sont les suivants […] : Relation de confiance au sein de l'agence, bon état d'esprit et sérénité dans le travail contrairement aux grosses structures où le "turn-over" du personnel est souvent source de problèmes, voire de conflits." (fiche Le Tuc, 85 implantations)’

La critique de l'instabilité professionnelle des collaborateurs du directeur d'agence s'appuie ici sur une conception nettement moins managériale que dans l'extrait précédent : le registre de référence est celui de la sphère domestique, manifesté notamment par le terme de "personnel" qui détonne à côté de celui "d'équipe" utilisé dans les autres fiches. Par ailleurs, les promoteurs de cette franchise défendent l'idée d'agences de taille relativement modeste, conduites uniquement par un couple, éventuellement assisté d'un autre membre de la famille. Comme dans la plupart des réseaux, les relations de travail y sont donc neutralisées, même si cet effacement renvoie plus à l'image idyllique des rapports familiaux qu'aux capacités du responsable de l'agence 255 . Au-delà de la dimension largement individuelle du travail quotidien des commerciaux, on peut voir dans cette neutralisation un écho aux success-story évoquées plus haut : le discours des franchiseurs mise sur le désir de développement des futurs adhérents et tend à personnaliser leur réussite professionnelle.

‘"J'ai rencontré plusieurs réseaux et après plusieurs entretiens avec chacun, j'ai décidé de signer avec l'enseigne avec laquelle je me sentais la plus proche. Chez Solvimo, ils ont été très à l'écoute du secteur géographique qui m'intéressait. Mon mari est médecin, nous sommes bien implantés, connus dans notre ville, et je voulais également préserver notre vie familiale et éviter les trop longs déplacements. Ils ont adhéré à cela, pas les autres, qui voulaient même que je déménage. Vous savez, certains franchiseurs étaient même prêts à m'envoyer le contrat par la poste pour que je leur retourne avec le chèque de droit d'entrée…" (interview adhérente Solvimo, Ain).’

Au-delà de l'intérêt que présente cette situation où la notabilité locale se mêle aux outils marketing du franchiseur (flagrante dans la mise en équivalence du "secteur géographique" et de la locution "connus dans notre ville"), la citation précédente retient notre attention parce qu'elle fait ressortir des principes peu visibles de différenciation des réseaux. La franchise ne se limite pas à la généralisation et à la reproduction d'un concept qui a fait ses preuves en un temps et en un lieu donné : on ne peut comprendre ses déclinaisons qu'en tenant compte de son positionnement (même implicite) par rapport aux autres franchises du même domaine, positionnement qui ne se limite pas au contenu du cahier des charges. La "course au secteur" observée dans l'immobilier est probablement transposable à d'autres domaines d'activité et s'avère inévitable dans ce processus de relocalisation du concept de franchise qui est souvent ignoré 258 . De la même façon, l'idée que la franchise ne serait qu'une illusion d'entreprise individuelle au profit du franchiseur 259 est à nuancer par l'importance des adhérents ayant déjà leur agence ou qui ouvrent des succursales.

L'observation des franchises conduit bien à repérer des pratiques extrêmement diversifiées, plus dans les méthodes de travail (taille des agences, rôles respectifs du responsable et des commerciaux, préférence, ou non, pour le mandat exclusif, etc.) et dans les modalités de développement que dans les supports et les services rendus. Partant de constats assez proches (faible part de marché des professionnels, nécessité pour les indépendants d'avoir le soutien d'un réseau), les franchiseurs proposent des approches différentes. Cependant la concurrence entre franchiseurs est loin de se limiter à la définition des pratiques et des contenus professionnels. Elle porte au moins autant sur l'image (dans le sens où la visibilité plus grande de l'un éclipse l'autre) et sur les positions des réseaux les uns par rapport aux autres. Ceux qui ne peuvent se prévaloir d'une place dominante (régionale ou nationale) sont amenés à se différencier, mais seule une partie le fait en proposant une vision originale du métier. Le plus souvent, il s'agit de se glisser dans les interstices laissés par les grands réseaux : outre la distribution des secteurs et la taille des agences, les tarifs ou l'investissement initial requis (évoqués au chapitre 2) sont un moyen pour les petits réseaux d'attirer des adhérents par des exigences moindres que les franchises plus importantes. Ce type de concurrence est peut-être spécifique à l'immobilier. Il conduit à l'idée selon laquelle les franchises ne sont pas uniquement des lieux d'objectivation, de codification et de différenciation des pratiques mais également des révélateurs des représentations et enjeux auxquels adhère une fraction complète de la profession.

Notes
250.

Tabac, presse, cafés, hôtels, restaurants.

251.

Il n'est pas ici question des réseaux entièrement construits sur l'infrastructure technique, comme le centre d'appels Immosky cité plus haut ou, en général, les réseaux de marchands de listes.

252.

On peut également trouver les professions libérales, les commerciaux d'entreprise, des chefs d'entreprise, voire des commerçants. Ces catégories sont toutefois rarement citées.

253.

Elle est parfois même intégrée à un raisonnement typologique : "Si l'on établit un référentiel sur le profil des négociateurs et des agents immobiliers du groupe qui réussissent, on s'aperçoit qu'ils appartiennent à cette catégorie de conquérants." (interview J. Bost, un des responsables d'ERA)

254.

Le problème posé est alors le partage des secteurs car le fait d'encourager les ouvertures secondaires limite le nombre de localisations que le réseau peut proposer (cf. infra). Les textes étudiés sont donc assez peu bavards sur le sujet, qui apparaît souvent de façon détournée.

255.

Cette image se transmet à la relation avec le propriétaire vendeur : "Rapport privilégié avec la clientèle, notamment les propriétaires vendeurs. Il est en effet plus facile de créer un climat de confiance avec un client lorsque ce dernier a toujours affaire au même interlocuteur que lorsque vous avez une "cohorte" de commerciaux qui défilent les uns après les autres au domicile du client." (fiche Le Tuc)

256.

Ce qui n'empêche pas d'avoir pour premier objectif affiché la réussite des agences déjà membres.

257.

L'existence d'un rapport concurrentiel entre les franchisés et d'une éventuelle contradiction entre leurs stratégies de développement n'est pas niée mais n'est que rarement explicitée sous un angle spatial. On trouve par exemple dans cet extrait un point de vue plus démographique sur l'extension des succursales à l'intérieur des franchises : "Les franchisés les plus dynamiques devraient multiplier les ouvertures de succursales, en densifiant leur secteur. Par exemple, le plus important franchisé de Laforêt Immobilier compte déjà 35 points de vente (ce qui le classe parmi les dix premiers agents immobiliers succursalistes de France!) D'où la nécessité, pour les franchiseurs, de créer des prestations spéciales de type VIP pour leur clientèle à multiple point de vente ; la création de nouvelles franchises - ou l'arrivée de franchises étrangères nous semble encore largement possible : les barrières à l'entrée ne sont pas encore trop élevées…et plus de 50% du marché échappe encore aux professionnels. La "défranchisation", c'est-à-dire la conversion d'anciens franchisés en succursalistes…ou le rachat de franchise par des succursalistes nous semble hautement d'actualité, notamment à l'occasion de départs en retraite des premiers franchisés." Journal de l'agence, n°6

258.

Citons par exemple Luc Boltanski et Eve Chiapello (Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit) qui, dans une brève présentation (p. 537), n'abordent que le processus d'analyse et de codage par lequel on identifie les facteurs de réussite d'une entreprise donnée de façon à les abstraire de leur contexte initial et à les rendre reproductibles. Cela n'entre pas dans une réflexion sur les franchises mais, plus généralement, sur la marchandisation d'objets et de facteurs originellement extérieurs à la sphère marchande. La phase suivante de cette marchandisation, l'échange, ou, ici, la création d'un établissement en franchise, n'y est pas abordée.

259.

Au lieu de développer une entreprise de grande taille, les franchiseurs feraient supporter l'investissement et les coûts de gestion liés aux nouvelles implantations à des franchisés non salariés mais à l'indépendance illusoire. C'est la thèse défendue notamment par Jeremy Rifkin dans L'âge de l'accès, Paris, La Découverte, 2005 (1ère édition, New York, 2000). La façon dont les discours des franchiseurs misent sur la volonté qu'ont les futurs adhérents de créer leur entreprise et de devenir un patron indépendant va dans ce sens. Il n'est pas inintéressant de noter que dans la liste impressionnante de secteurs dans lesquels Rifkin observe l'existence de franchises (32 au total, dont les pompes funèbres, la décoration d'intérieur et le tourisme animalier), l'immobilier n'est pas mentionné.