Un modèle professionnel ?

L'analyse du corpus n'a pas été présentée dans son intégralité. Les sous-corpus de jurisprudence et de textes émanant des syndicats n'ont pas été décrits en tant que tels, afin d'éviter les redites avec les chapitres précédents. Le premier est très spécifique et a été utilisé pour le premier chapitre. Le second est plus proche de la "moyenne" du corpus et on y trouve une objectivation proche de celle observée dans la presse consumériste, sans (évidemment) la propension à critiquer la profession. Par ailleurs, plutôt que d'insister sur les catégories de discours les plus fréquentes, parfois répétitives et attendues il nous a paru intéressant de faire ressortir certaines d'entre elles qui permettaient de nuancer un regard trop exclusivement fixé sur les dénombrements de mots. L'objectif était ainsi d'alterner les distributions de catégories et les citations, peut-être moins représentatives mais tout aussi révélatrices, sans se perdre dans ce que Chateauraynaud appelle la "métrique" de l'outil utilisé. Enfin, le thème du fichier commun n'a été que peu développé car nous lui réservons un traitement détaillé plus loin. A cette restriction près, les traitements précédents couvrent assez bien l'ensemble des enjeux apparaissant dans les textes retenus. De façon très schématique, ils articulent trois dimensions principales qui sont :

Chacun des trois pôles peut être activé dans une argumentation portant sur l'un des deux autres. La Figure 4 montre, de façon encore une fois assez simplifiée, comment chacun peut servir de ressource argumentative.

Figure 4 : articulation des pôles de discours

Cette figure appelle assez peu de commentaires dans la mesure où elle ne fait que schématiser des figures de discours décrites plus haut. On pourrait lui superposer un schéma des argumentations critiques dont l'architecture serait semblable mais les contenus différents. Il s'agit plutôt d'une visualisation rapide des types d'arguments que d'un récapitulatif complet des textes étudiés.

En ce qui concerne la tonalité des textes, l'originalité par rapport aux approches présentées en début de chapitre semble moins provenir du domaine de l'immobilier lui-même que de la place prise par la personnalisation et la psychologisation des relations. La place et le traitement réservés à la relation de service distinguent notamment notre corpus de celui traité dans Le nouvel esprit du capitalisme, même si les univers de référence (et le jargon) paraissent souvent proches. On peut l'attribuer à la dimension publicitaire d'une partie des textes, mais il est nécessaire de souligner que cet aspect fait partie du modèle professionnel proposé. Ce n'est pas parce que la presse consumériste l'écarte au profit d'autres exigences qu'il doit être totalement ignoré : il est au cœur des discours tenus par les professionnels, auprès des clients mais également auprès des agents immobiliers eux-même. Par ailleurs, on trouve peu de références à l'univers domestique ou à l'habitat en tant que tel. De la même façon, il n'y a pas de typologie de clients comme on aurait pu s'y attendre dans des textes fortement teintés de marketing. Cela vaut, évidemment, pour les propos tenus aux clients mais également dans ceux à destination des professionnels : la coloration marketing des textes sert au moins autant à constituer des repères professionnels qu'à étayer des dispositifs et des pratiques de captation. Nous ne discuterons pas ici de la question de savoir si l'absence de segmentation de clientèle renvoie, en plus des spécificités de la transaction immobilière, à l'insuffisance de la professionnalisation. Nous noterons simplement que les rhétoriques professionnelles se situent dans cet espace marchand, au point où les "attentes" se convertissent en "demande" ce qui peut expliquer l'usage plus que modéré de répertoires relevant du monde domestique.

Il faut pour conclure dire un mot de l'usage de ces textes. Outre leur portée pratique, ils servent de ressources aux argumentations des agents immobiliers : à la fois pour la prétention au professionnalisme, nécessaire à l'établissement d'une relation commerciale fructueuse, et pour la justification de leurs pratiques. Il serait toutefois excessif d'avancer l'idée que le corpus contient la totalité des argumentations possibles : non seulement celles décrites jusqu'ici doivent être déclinées dans des contextes particuliers, mais elles présentent une double lacune, la faiblesse des références à l'habitat et l'absence des discours des indépendants. Comme on le verra dans les parties suivantes, une critique virulente des réseaux commerciaux répond à la relative mise en cause de la figure de l'indépendant isolé. Il n'en reste pas moins que la majorité des enjeux traversant la profession sont travaillés dans les documents étudiés ici : s'il n'en émerge pas un modèle professionnel unifié, il est possible d'en tirer une cartographie des évolutions récentes.