Calendrier de la recherche

Ce travail a été précédé d'un DEA sur le même thème, mais la thèse n'a commencé qu'un et demi après la soutenance du DEA, en janvier 2003. Il s'agissait d'un objet et d'un cadre, l'agglomération lyonnaise, que nous ne connaissions absolument pas et pour lequel nous n'avions aucune entrée préétablie. Le DEA a été l'occasion d'un premier contact avec les agents immobiliers et avec les organisations professionnelles. Une part du travail exploratoire était donc effectuée au début de la thèse, malgré la période d'interruption entre les deux : même si nous n'en reprendrons que très peu de choses, cette première étape a évidemment contribué à la représentation que l'on se faisait du sujet. Elle a notamment permis de se faire une idée des difficultés d'accès au terrain et de certaines erreurs à éviter. Pour le doctorat, nous sommes partis d'un des contacts noués à la fin du DEA : un ancien salarié d'administrateur de biens qui nous avait contacté dans le cadre de la création d'une entreprise de diagnostics techniques (plomb, amiante, métrage Carrez) et qui a pu utiliser une partie des chiffres du DEA pour monter un "business plan". Au début de la thèse, il a accepté de nous orienter vers certains de ses clients qui lui paraissaient les plus ouverts et les plus susceptibles d'accepter un entretien : il a ainsi sélectionné dix directeurs d'agences, dont six administrateurs de biens (ces derniers constituant l'essentiel des contacts d'un diagnostiqueur). Quatre seulement sont donc des agents immobiliers tels que définis en première partie, dont trois ont été interrogés. Le quatrième n'a pas refusé l'entretien mais a plusieurs fois esquivé les rendez-vous de telle sorte que nous y avons renoncé (le problème s'est posé plusieurs fois, nous y reviendrons). Les six gérants d'immeuble ont également été rencontrés pour des entretiens assez approfondis mais qui n'entrent pas entièrement dans le cadre de l'enquête. Les entretiens suivants ont été d'abord obtenus par rebonds, sur indication des premiers agents interrogés mais cette sélection par réseau a vite été abandonnée, d'une part à cause de la similarité des discours tenus par les enquêtés, à la fois sur eux mêmes et sur leurs confrères, et d'autre part parce que "l'effet réseau", pour intéressant qu'il soit, apparaissait réduit : ces agents se connaissaient par divers biais (appartenance à la FNAIM ou au SNPI, fait d'avoir suivi une formation en commun) sans pour autant travailler ensemble. Les agents n'orientaient jamais vers une agence du même quartier et, pour le dire simplement, les discours enregistrés n'incitaient pas à creuser la question de l'interconnaissance. En revanche, ceux tenus sur la profession étaient tranchés et invitaient à diversifier l'échantillon : en caricaturant à peine, l'image projetée du métier était celle d'une petite minorité de "vrais" professionnels mis en péril par la médiocrité des pratiques de leurs confrères, en particulier celle des réseaux commerciaux. A cet égard, et à l'exception d'un membre d'ORPI signalé par notre diagnostiqueur, aucun membre de cette première série d'interviewés ne nous a aiguillé vers un adhérent de réseau commercial. Ces formes de critique et de positionnement par rapport aux confrères font bien sûr écho aux pratiques et aux rhétoriques professionnelles des franchisés, mais renvoient également aux formes de la concurrence et au mandat simple qui rend la relation avec le vendeur dépendante des autres détenteurs de mandat. Ce discours se doublait chez les enquêtés d'une certaine idée des agents vers lesquels nous orienter, c'est-à-dire soit ceux susceptibles d'accepter l'entretien, soit ceux qu'ils considéraient comme "intéressants" à un titre ou à un autre, et souvent pour leur recul sur les pratiques professionnelles. Ils fournissaient donc des informations extrêmement intéressantes, mais se voyaient eux-mêmes comme non représentatifs.

Il était donc nécessaire d'élargir la population étudiée à ces agents catalogués comme incompétents, et dont nous nous sommes vite aperçus, avec une surprise plus que modérée, qu'ils n'étaient pas en reste dans la critique de leurs confrères. Chronologiquement, ces entretiens n'ont pas eu lieu après l'épuisement de la première série, mais en parallèle. Les agences étaient sélectionnées à partir du fichier de la préfecture (que nous n'avions pas encore saisi comme base de données ni apparié à d'autres sources) : il s'agissait alors moins de viser à une représentativité statistique que de faire varier des critères dont l'importance commençait à apparaître : ancienneté de l'agence, localisation, appartenance ou non à un réseau commercial. A bien des égards, la passation d'un questionnaire a prolongé cette démarche. Un second axe de diversification consistait à interroger des négociateurs, et pas seulement des directeurs d'agence. Ils ne sont pas toujours faciles à contacter directement car on dispose des coordonnées des agences et des directeurs : lorsque la prise de contact se fait par téléphone, les négociateurs avaient tendance à renvoyer à leur responsable d'agence. Quelques entretiens ont toutefois pu être effectués avec des négociateurs rencontrés dans les agences, au terme d'une ou plusieurs conversations permettant d'instaurer un rapport un peu plus naturel. Ils ont donc été réalisés après ceux avec les directeurs d'agence. Si l'on s'en tient aux entretiens approfondis, enregistrés et retranscrits, 22 ont pu être menés à bien en 2003 et 2004, dont 6 avec des commerciaux d'agence. Tous appartiennent à la communauté urbaine de Lyon. Il faut y ajouter un autre directeur d'agence interrogé en mars 2003 et qui a donné son accord pour une observation à temps plein dans son agence qui a eu lieu pendant quinze jours début juillet 2003 : relativement courte pour une observation ethnographique (même si cela correspond au temps de formation d'un directeur d'agence dans certains réseaux), cette période a toutefois été essentielle dans l'appréhension du travail et des pratiques des agents immobiliers. Une seconde piste pour une observation d'une quinzaine de jours, dans un quartier proche de la première agence, a failli aboutir, un des deux responsables de l'agence se montrant intéressé par le projet de recherche. Néanmoins, peu avant le début de l'observation, un conflit avec son associé (qui a conduit quelques mois plus tard à la fermeture de l'agence) a empêché sa réalisation.

Cette phase de la recherche a débouché sur l'élaboration du questionnaire. Pour être exact, l'idée d'un questionnaire était présente dès l'origine, avec l'objectif de mieux connaître la population des agents immobiliers sur laquelle on disposait de très peu d'informations. La collecte de données et l'analyse du matériel de terrain ont toutefois déplacé la perspective, passant de la caractérisation sociologique d'un groupe professionnel à la mesure du rôle d'un certain nombre d'indicateurs dont l'importance avait émergé progressivement. Il n'existe pas de critère scientifique strict permettant de justifier la fin d'une observation ou l'arrêt d'une campagne d'entretiens. On s'appuie habituellement sur la diversité des cas abordés (par rapport au spectre des situations possibles), sur l'absence de nouveauté dans le discours des derniers enquêtés, ainsi que sur la répétition des thèmes les plus importants (dite saturation des catégories) 359 . Dans une certaine mesure nous nous sommes retrouvés dans cette situation, les propos enregistrés au cours des derniers entretiens ayant été particulièrement prévisibles. Il serait toutefois abusif d'en déduire automatiquement que la question avait été traitée de façon exhaustive puisqu'une part de la répétitivité peut être imputée au guide d'entretien ou à l'enquêteur lui-même. La motivation du passage au questionnaire était différente. Il s'agissait, pour ainsi dire, de passer de la répétition à la régularité, et de mieux cerner la part prise par certains facteurs que l'on pouvait traiter comme des variables. Le changement de méthode repose donc en grande partie sur le fait que notre intérêt et notre curiosité se sont fixés sur un petit nombre de facteurs dont le traitement pouvait être systématisés et qui nous paraissaient opératoires. Deux questionnaires ont alors été préparés et passés au cours de l'année 2005 et début 2006 : l'un a été mis en ligne, adressé à environ 3000 professionnels de la transaction installés dans les grandes agglomérations et a recueilli 268 réponses, tandis que l'autre ne s'adressait qu'aux agents immobiliers (dans un sens restrictif) de l'agglomération lyonnaise et a été passé en face-à-face dans 105 agences. L'échantillon, construit sur la base des données préfectorales a été décrit au chapitre 2. De tels effectifs conduisent à relativiser le passage du qualitatif au quantitatif, au moins pour le questionnaire lyonnais : les traitements statistiques qu'il permet restent limités et la passation en face-à-face permet parfois un rapport proche de celui-ci qui s'instaure au cours d'un entretien. De ce point de vue, la passation du questionnaire participe du travail de terrain, et de la familiarisation avec l'objet d'études, même si cet aspect est plus difficile à restituer que le langage des variables. Réciproquement, le rapport au terrain éclaire le sens des variables construites : c'est souvent la convergence des résultats issus de différentes méthodes qui permet de tirer des conclusions lorsque les effectifs sont modestes. Cette remarque vaut aussi pour le premier questionnaire, même si le mode de passation est loin d'offrir la même richesse. Il a tout de même été l'occasion de retours, certains des répondants nous ayant contacté pour avoir les résultats et/ou pour un échange de vues plus approfondi.

Une troisième phase, plus modeste a complété ce travail de terrain : elle a consisté à mener quelques entretiens complémentaires pour prendre en compte l'instauration des fichiers communs de mandats exclusifs à partir de la fin de l'année 2005. Il était impossible de les ignorer totalement, même s'il est encore tôt pour dresser un bilan. Cinq entretiens supplémentaires ont donc été réalisés avec des responsables de fichiers locaux ou avec des directeurs d'agences appartenant à des réseaux bancaires, en reprenant la même grille que pour les premiers entretiens (en y ajoutant simplement quelques questions). Il faut y ajouter, tout au long du travail de thèse, les rencontres avec des acteurs n'appartenant pas à la profession mais apportant des informations importantes : membres de syndicats professionnels, notaires, diagnostiqueurs, responsables de formation, agents du Grand Lyon et de la préfecture, conseillers financiers et clients d'agents immobiliers. Une partie a fait l'objet d'entretiens semi directifs enregistrés (listés en annexe avec l'ensemble des agents immobiliers interrogés) mais la part des rencontres moins formelles, voire impromptues, ne peut être négligée, en particulier pour les clients. Qu'il s'agisse de discussions avec ceux abordés à l'occasion de démarches de terrain (croisés par exemple devant la vitrine d'une agence) ou de conversations dans les cadres les plus divers, dans la foulée notamment des demandes de conseils que l'énoncé de notre sujet de thèse ne manquait pas de susciter, des fragments (parfois fort longs) de parcours, de stratégies et de représentations ont pu être saisis. En aucun cas on ne saurait les tenir pour un matériel de recherche exploitable, mais il nous paraît nécessaire d'évoquer ce territoire de l'informel, qui commence aux frontières du travail sociologique et dont on ne saurait s'abstraire totalement. De la même façon, les activités menées en dehors du doctorat contribuent de près ou de loin à son avancée : on pense à l'apprentissage de techniques statistiques et informatiques, mais aussi aux enseignements donnés à l'université de Lyon 2. En particulier, dans un cours de première année consacré à l'apprentissage de l'enquête par questionnaire, nous avons amené les étudiants travailler sur des thèmes assez proches : le choix du logement (2004-2005), les trajectoires résidentielles (2005-2006) et l'accession à la propriété (2006-2007). A chaque fois, 300 particuliers environ ont été interrogés. Nous ne reprendrons pas les résultats (même s'ils montrent d'une année sur l'autre des convergences intéressantes) à cause de l'incertitude sur la qualité de la passation qui est effectuée par les étudiants. En revanche, on ne peut nier que ces enquêtes ont contribué à notre représentation du comportement des acquéreurs et des vendeurs sur le marché immobilier. Pour ne donner qu'un seul exemple, le fait que la proportion d'acquéreurs passant par une agence varie entre 40% et 60% (notamment selon le type d'habitat) dans ces enquêtes a plutôt conforté la décision de présenter les chiffres du premier chapitre, chiffres dont la construction pouvait soulever quelques réserves.

Enfin, il faut préciser que les problématiques et le matériel ont été élaborés en dehors de toute demande institutionnelle. Cette demande existe, en partie de façon latente, au point que l'idée d'un financement CIFRE a été évoquée par un interlocuteur en cours de thèse. Sensible aux thèses d'Amiot et de Lassave 360 selon lesquelles la recherche urbaine avait été largement déterminée par, et en réaction, aux orientations des commandes publiques, il nous semblait que le doctorat constituait un cadre approprié pour aborder une question indépendamment des préoccupations des organismes publics et privés, notamment des organisations professionnelles. Par ailleurs, le parti pris explicité dans l'introduction, consistant ne pas reprendre telles quelles les diverses problématiques projetées sur les agents immobiliers, justifiait ce recul. On peut le regretter a posteriori dans la mesure où le fait de s'inscrire dans le cadre d'une telle coopération aurait peut-être permis de faciliter l'accès à la population étudiée (notamment pour le questionnaire en ligne), ou à certaines sources (encore qu'il ne s'agisse là que de suppositions et qu'il ne faille sans doute pas surestimer la quantité de données dont disposent ces associations professionnelles). Le rapport avec ces institutions est donc resté distant d'un bout à l'autre du travail de thèse. Cette position, assumée à l'origine de la thèse, s'est nuancée par la suite mais il était impossible de dévier du travail accompli entre temps. Toutes ces remarques étaient nécessaires pour donner une vision d'ensemble du travail réalisé, il importe à présent d'entrer dans le détail des différentes méthodes utilisées construire et restituer le matériel d'étude.

Notes
359.

Cf. notamment Howard Becker, Les ficelles du métier, Paris, La Découverte, 2002.

360.

Michel Amiot, Contre l'Etat, les sociologues, Editions de l'EHESS, Paris, 1986; Pierre Lassave, Les sociologues et la recherche urbaine, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1997.