4.2.3 Observer des pratiques professionnelles

On retrouve pour l'observation des réticences comparables à celles manifestées à l'occasion des entretiens. De façon à améliorer les chances d'obtenir l'accord pour une période d'observation, la demande était formulée en fin d'entretien, voire après avoir passé une demi journée en compagnie de l'agent. A cela s'ajoute la question de la place que peut prendre un enquêteur dans une agence. Si l'on se réfère au fonctionnement de l'agence et à l'expérience de ses membres, l'observateur peut soit être un personnage assez nouveau, soit ressembler à un stagiaire ou à un négociateur en formation. Dans ce deuxième cas, la réticence peut provenir de l'impression qu'il va falloir consacrer du temps à l'observateur sans qu'il soit un collaborateur en devenir. Par ailleurs, les stagiaires ont souvent pour tâche principale de faire la pige pour l'agence (c'est-à-dire, rappelons-le, de dépouiller les journaux de petites annonces et d'appeler les vendeurs pour obtenir des rendez-vous en vue d'un mandat). La contrepartie demandée pour l'observation était souvent de passer un temps assez long sur la pige. Il est évidemment fondé d'envisager une contrepartie, qui en outre donne corps, objective en une sorte de contrat informel, le lien entre l'enquêteur et l'enquêté. Il ne faut toutefois pas qu'elle obère le travail d'observation : la pige n'est pas seulement fastidieuse (ce qui n'est pas un argument réellement recevable), elle nécessite un temps qui ne peut plus être consacré aux visites, à l'accompagnement des négociateurs ni même simplement à l'observation de ce qui se passe dans l'agence. La remarque vaut également pour la réception des appels téléphoniques, qui représente l'autre type de tâches confiées aux agents ne faisant pas de visite. Lorsque la période d'observation prévue est assez courte, elle peut être gâchée par ce type de conditions, ce qui nous a conduit à refuser les deux premières propositions faites. Au-delà de la contrepartie demandée, il nous semblait aussi (peut-être surtout) que le peu d'intérêt et de disponibilité des membres de l'agence auguraient mal de la suite. Il a été possible de trouver un arrangement alternatif avec une troisième agence : le responsable nous a d'abord demandé de passer une journée dans son agence, journée passée au téléphone à obtenir des rendez-vous pour l'agence, et qui apparaît rétrospectivement comme un test, une façon de vérifier qu'il était possible de nous confronter aux clients. Il était également intéressant pour notre recherche de pouvoir rester dans cette agence qui se présentait au premier abord comme des plus classiques (non franchisée, assez récente, avec uniquement une activité de transaction) et dans un secteur qui ne faisait partie ni des espaces les plus valorisés de l'agglomération, ni de ceux où le changement social a retenu l'attention des sociologues, comme les quartiers en gentrification. Afin de préserver son anonymat nous utiliserons un prénom fictif pour le directeur d'agence (Alain), ainsi que pour ses commerciaux, et un sigle également fictif pour l'agence (l'AI, pour agence immobilière) 363 . Les deux semaines et demi qui ont suivi (quinze jours pleins), correspondant aux début du mois de juillet 2003, ont donc pu être consacrées à temps plein à l'observation, non seulement pendant les horaires d'ouverture de l'agence mais également durant les repas de midi et à l'occasion d'apéritifs en début de soirée. Nous y sommes ensuite retournés une fois en octobre 2003 pour faire le point sur l'évolution des mandats pris en juillet.

Notes
363.

Le nom réel de l'agence est également un sigle.