Lien entre techniques et clientèles : Les prises de mandat

Les prises de mandat sont présentées de la même façon que celles décrites plus haut. Elles ne sont pas non plus organisées par ordre chronologique mais de façon à faire ressortir les divers degrés d'engagement du vendeur. Deux des mandats ont été pris dans le quartiers autour de l'agence (1 et 4), et 2 à Villeurbanne (2 et 3).

‘16h-16h30 deux T1 de 30m², route de Genas (Villeurbanne, à quelques dizaines de mètres de l'agence), dans un immeuble des années trente, situé derrière un immeuble donnant sur rue et en défaut d'alignement. Les deux T1 sont loués, l'un est au premier étage l'autre au troisième. ’ ‘Le rendez-vous a été pris par Alain au téléphone quelques heures avant, après de nombreux essais infructueux. Il y a déjà quelques agences qui ont un mandat (le vendeur ne précise pas combien). Le propriétaire (la trentaine, short et chemise, travaille dans le bâtiment, arrive en vélo) nous rejoint sur place. La prise de contact est très rapide, Alain présentant seulement l'agence ("on est le régional de l'étape"). Les deux visites sont rapides, les appartements étant conçus sur le même modèle (appartements traversants, couloir distribuant WC et salle d'eau cuisine, et chambre avec alcôve de part et d'autre du couloir). Alain dit reconnaître cette configuration (notamment l'alcôve) "typique à Villeurbanne" et s'attache uniquement à prendre des photos. L'état des appartements (sombre, papier à refaire) est à peine mentionné, sauf dans le cas de l'alcôve du deuxième T1 dont le papier peint est déchiré. Le propriétaire s'arrange avec les locataires (un couple au premier, une femme seule au troisième tous étant étudiants ou jeunes travailleurs). Le mandat (un par bien) est rempli sur les marches à la sortie de l'immeuble. Le propriétaire demande 51 000 euros et Alain annonce 10 000 de commission de façon à ne faire porter la négociation que sur la commission. La seule remarque du vendeur est que l'acquéreur devra forcément être un investisseur car les baux courent jusqu'en 2005. Manifestement au courant des pratiques, il n'est interrogatif que sur les diagnostics plomb-amiante. En voyant les tarifs, que lui montre Alain, il s'exclame : "Bonjour la marge! Je vais me reconvertir dans ce créneau". Alain défend un peu ces diagnostiqueurs (coût de l'appareil pour l'amiante, sérieux de cette agence). Tous deux étant pressés, Alain conclut : " là on le fait un peu à l'arrachée mais on prendra le temps d'en parler sérieusement ensuite." ’ ‘ Commentaire : la question de l'enjeu de la prise de mandat se pose étant donné la rapidité de l'interaction. La volonté de montrer sa compétence, voire sa spécificité (locale) est toutefois notable, d'autant plus que le propriétaire a lui-même un regard professionnel. Le fait de connaître le type de bâtiment, d'avoir un appareil photo numérique et surtout le lien avec des diagnostiqueurs vont dans ce sens. Mais quelle que soit l'importance de ce facteur pour un intermédiaire qui cherche à se constituer "son" marché, il n'infléchit que très peu le cours de l'interaction : c'est le niveau d'engagement qui prime. Alain interprète cet entretien comme beaucoup d'autres : "il faut savoir s'adapter au client, il veut le faire vite, on le fait vite". Toute négociation est bloquée, que ce soit par le contexte de mandat simple ou par la situation d'interaction, nécessairement courte. Les occasions d'instaurer un rapport plus direct et plus approfondi sont donc très limitées, ce qui n'empêche pas l'AI de se ménager une marge de négociation en proposant une commission très élevée. Sans donner le prix final affiché par les autres agences et ne s'intéressant qu'au net vendeur, le propriétaire se désengage de la conduite de la vente. Le fait que les biens passent d'un investisseur à un autre est probablement un facteur essentiel dans la minimisation des aspects liés à l'habitat et de l'état des appartements. Cette configuration risque de minimiser le rôle de l'intermédiaire, à moins qu'il ne trouve rapidement des acquéreurs potentiels. Il lui était pourtant difficile de ne pas chercher de mandat pour cette affaire si proche de son agence (d'autant plus que, lors de la prise de contact par téléphone, Alain a donné de nombreux exemples d'appartements vendus à proximité) mais l'engagement de part et d'autre reste très limité. ’
  1. Créer de l'engagement
‘Midi, rue Gabriel Péri (Villeurbanne, au nord des Charpennes), T2 de 43m², 3 étage, livré en 2001. ’ ‘Pour obtenir le rendez-vous, Jérôme s'est fait passer pour un particulier et laissé entendre qu'il connaissait une très bonne agence : la propriétaire a rappelé l'AI aussitôt alors qu'elle disait ne plus chercher d'agence. C'est une femme de 60 ans à peu près, cordiale mais têtue, "villeurbannaise de toujours" (son père y dirigeait une entreprise). Elle a acheté l'appartement sur plan en 2001 mais ses meubles n'y entraient pas et elle ne l'a jamais occupé. Elle veut donc que les annonces soient précises pour éviter à d'autres cette désillusion. Elle a déjà confié son bien à une agence mais le commercial n'appréciait pas les convecteurs (ce qui l'a manifestement vexée) et, surtout, ne lui envoie pas de visites. Alain affirme ne pas avoir de problème avec les convecteurs et lui montre les différents supports promotionnels, puis fait le tour de l'appartement et prend des photos (2 du salon, cuisine, chambre, SdB, vue). La propriétaire se montre pointilleuse lors de la rédaction du mandat : elle insiste pour que le métrage exact soit inscrit (43,12m² et non 43m² : "43,12 c'est le métrage Carrez alors écrivez ça" ;"Laissez-moi vous dire pourquoi je mets 43 : même si c'était 43,7, on le vendrait encore 43", "oui, mais écrivez 43,12"). Elle insiste aussi pour que le terme "petit" figure dans les annonces, et s'interroge sur l'orientation : ce n'est ni Sud ni Est, et Alain inscrira sud-est sur le mandat. Elle refuse ensuite de donner le tarif de l'autre agence, arguant que c'est le métier de l'AI de trouver le bon prix de vente. Elle en veut 94 000 euros, après s'être renseignée sur les prix par les petites annonces, et sans faire référence du tout au prix d'achat en 2001. Alain estime que les autres agences prennent 7% (en affichant à 100 000 euros). Il propose donc 5%, laissant un prix net vendeur de 94 000 euros (et il précise "prix net vendeur garanti "), satisfaisant pour la propriétaire qui nous laisse partir en disant "Vous avez l'air dynamique, faites votre métier maintenant, pas comme l'autre qui est venu, envoyez-moi des clients." Remarque d'Alain dans l'ascenseur : "il faut savoir s'adapter aux clients. Ici c'est une personne âgée qui se braque facilement, alors il n'y a qu'à s'adapter. Mais son 43,12 m², moi je mettrai 43 m² sur le site. " ’ ‘ Commentaire : La signature du mandat n'est en effet pas acquise même si une part importante a été réalisée au téléphone. Il se joue également une définition de la façon de travailler : la propriétaire ne cherche pas tant à contrôler les démarches qu'à tester les réactions de l'agent à certaines exigences qui sont autant de signes annonciateurs du déroulement futur de la relation. Le fait d'inscrire la mesure exacte devient un signe d'honnêteté (envers les futurs clients mais aussi envers elle-même), une façon de ne pas se faire avoir à nouveau par un à-peu-près. Ses attentes concernent autant le sérieux de l'AI que sa souplesse face à certaines demandes. Il est révélateur qu'elle relie, dans sa méfiance des agences, un jugement erroné (remarques sur les convecteurs) et une incompétence (ne pas proposer de clients), comme s'il y avait une continuité entre les deux. L'argumentation d'Alain consiste alors autant à tout approuver qu'à déplacer la discussion vers ses démarches (en montrant les photos ou les supports publicitaires). Le rapport de forces est toutefois un peu moins défavorable ici que dans d'autres cas de mandats simples puisque la première agence est déconsidérée et que l'on n'est pas loin de l'exclusivité. Le facteur qui bloque une négociation à ce moment de la relation est la persistance de la méfiance, visible lors de la discussion du prix. Pour Alain, ces discussions sont des points de détail agaçants mais qu'il peut concéder sans remettre en cause son autonomie. Il attribue le caractère tatillon à l'âge de son interlocutrice plutôt qu'à sa première déception et, contrairement à d'autres prises de mandat, ne met pas en avant la nécessité de prouver rapidement sa compétence à la cliente. On peut en déduire que l'enjeu, avec une faible pression de la concurrence, est de faire valoir son autonomie et sa façon habituelle de présenter le bien. ’
  1. Négocier pour engager
‘12h-13h30 T1 35m², cours Tolstoï (Villeurbanne), immeuble ancien (années 30), 5e étage sur cinq sans ascenseur, refait à neuf. ’ ‘Alain a récemment vendu un bien dans cet immeuble au 1er étage. Forte odeur d'humidité dans l'entrée. Nous croisons une commerciale d'agence dans l'escalier ce qui fournit à Alain une entrée en matière auprès du vendeur: "on a croisé une charmante jeune dame en arrivant…" Il dit également avoir vendu un bien dans l'immeuble et connaître l'endroit. Le propriétaire (homme, 55-60 ans, marié, short et chemise) répond que cette agence lui a promis un client dès le lendemain, intéressé par le quartier et ce type d'appartement. Sans commenter, Alain parle des supports publicitaires qu'il utilise. Le propriétaire : "Je ne voudrais pas qu'il y ait trop d'annonces dans les journaux gratuits, c'est jamais bon pour la vente". Réponse : "ça tombe bien, je ne communique pas là-dessus, ça sert à rien". Il montre alors un exemplaire de chaque journal immobilier utilisé, les encarts, et parle du site. Alain commence à faire des photos tout en notant que la cloison entre la cuisine et le salon a été abattue. La salle de bains, les WC, le parquet de la chambre (en alcôve) et du salon, ainsi que les fenêtres (donnent sur le cours Tolstoï) ont été refaits. Alain demande si le métrage a été réalisé et le propriétaire répond qu'il l'avait fait faire, mais avant d'abattre la cloison : il a déjà pris RV avec un expert pour le diagnostic plomb amiante et lui demandera de refaire le métrage Carrez. Alain remplit alors le mandat en lançant la discussion sur le prix. Le vendeur demande 69 200 euros, les autres agences affichant à 75 000 (7% de commission) ce qui est, lui a-t-on dit, le prix du marché. A la question de savoir si c'est son prix "taquet", il répond qu'il ne souhaite pas baisser le prix. Il a acheté cet appartement au moment où sa femme a été mutée à Chalons, pensant réaliser un investissement locatif. Sa femme étant revenue près de Lyon, ils comptent acheter pour habiter de telle sorte qu'il se retrouve "dans une autre logique" où il a intérêt à rester ferme sur le prix. Il se dit toutefois prêt à accepter des aménagements : accepter la commission à charge de l'acheteur 370 (ce qui est la pratique courante), vendre le mobilier à part (toujours dans la perspective de diminuer les frais de mutation dus par l'acquéreur). Alain fait remarquer que le mobilier ne représente pas grand chose : seule la cuisine est meublée, essentiellement par des placards de récupération. Le vendeur propose également de renforcer la porte d'entrée et d'installer des volets : "si c'est pour habiter. En l'état ça peut aller pour une location mais c'est un peu limite pour une vente". Il a fait faire des devis au plus cher et se montre prêt à baisser le prix d'autant si les acquéreurs veulent réaliser ces travaux eux-mêmes. Commentaire d'Alain (à propos des devis) : "vous avez une bonne démarche". Alain indique le prix sur le mandat et veut qu'il dure trois mois (période usuelle). Le propriétaire préfère un mois, sûr de vendre dans ce délai. Alain répond que le mois d'août est peu propice à la vente (d'autant plus qu'il est lui-même en vacances : "on ne va pas pouvoir travailler ensemble avec un mandat de un mois"), sous-entendant que la vente ne se fera pas forcément dans les 15 jours qui suivent. Le vendeur rétorque qu'il attend une visite dès le lendemain et que les autres agences lui promettent beaucoup de clients potentiels. Il invoque la concurrence : "on travaillera ensemble si vous me proposez des clients". Alain déclare pouvoir fournir une visite dans l'après-midi (ce qu'il ne fera pas), et oriente la conversation vers la mise à disposition des clés. Le propriétaire les laissera dans un commerce proche. Commentaire en sortant : "je pense qu'il est pas prêt de le vendre, son bien. Celui que j'ai vendu au premier il est parti à 50 000 euros, c'est vrai qu'il n'était pas dans le même état mais ça fait quand même une différence. Moi je pense qu'on en reparlera en septembre." ’ ‘ Commentaire : On peut noter deux enjeux dans cette prise de mandat : la définition du rôle de l'agent et l'anticipation de la négociation. Ces deux éléments se rejoignent en partie. La pression sur l'AI est forte puisqu'un client presque acquis est annoncé pour le lendemain. Il est ainsi relégué au rôle de strict intermédiaire, dans la logique pure du mandat simple où toutes les agences concurrentes sont équivalentes. Sa stratégie consiste alors à réinscrire la relation dans une durée plus longue, en discutant la durée du mandat et en parlant de "travailler ensemble". Le propriétaire n'est en réalité pas certain de vendre le lendemain puisqu'il évoque les annonces et montre qu'il a réfléchi à la logique de promotion de son bien (pas d'annonces dans Bonjour ni dans Top Affaires) : son assurance est aussi un effet rhétorique. Cette façon professionnelle de considérer la transaction se prolonge dans la conception de la négociation qui pourra s'appuyer sur des éléments objectifs, meubles ou travaux d'aménagement dont le prix est chiffré par des devis. La marge de négociation est ainsi décomposée en une série d'éléments secondaires. On peut noter une certaine logique dans cette démarche, la valeur de l'appartement étant dépendante des travaux de rénovation qui y ont été menés. Cela ne dépossède pas l'AI de son pouvoir de négocier (puisqu'il peut choisir comment agencer les points négociables) mais l'empêche de déplacer la négociation sur le terrain du marché. Le propriétaire, connaisseur de l'immobilier, veut imposer sa perspective de valorisation du bien indépendamment de la qualité de la relation avec l'agent. Ce dernier facteur explique sans doute autant que le prix le commentaire final de l'AI sur la difficulté à vendre rapidement.’
  1. L'argument de la proximité
‘16h30-17h30 T3, rue Frédéric Mistral (tout près de l'agence, cette rue trace la séparation entre Lyon et Villeurbanne, les immeubles côté Lyon, comme celui-ci valant 10% plus cher), 70m², 4e étage sur 6, avec ascenseur. ’ ‘Le propriétaire (marié, trois enfants jeunes, 35 ans environ, laisse la télévision allumée pendant l'entretien) avait déjà demandé une estimation à Alain, mais ne l'a pas recontacté en mettant son bien en vente. Il est seul pour nous accueillir car sa femme est en vacances. Nous arrivons alors qu'une commerciale d'une autre agence est en train de partir, ce qui permet à Alain de commencer les photos. Il est toutefois gêné par le désordre. Lorsque la concurrente est partie, Alain : "Alors, vous êtes un cachottier, vous vendez sans nous le dire !" Le vendeur rappelle la première estimation où le prix proposé était inférieur à ce qu'il souhaite actuellement (115 000 euros net vendeur). Il propose de refaire une visite de l'appartement ce qu'Alain décline car il s'en est "imprégné" la fois précédente et l'a "bien en tête". Le propriétaire a mis une annonce dans Bonjour "pour voir ce que ça donnait" et a été "submergé" d'appels d'agence. Il en a accepté quelques-unes unes, notamment Alain, en souvenir de l'estimation et malgré la question du prix. Pour retourner la situation, Alain dit vouloir préciser son estimation et joue sur les délais : au prix demandé c'est "jouable" mais actuellement un bien vendu au prix du marché (sous-entendu : à la première estimation) "se vend dans les deux jours". Le propriétaire répond qu'il se donne trois mois, ce qui permet à Alain de rebondir : "dans les trois mois à votre prix on est sûr de vendre". Ils laissent le mois d'août en suspens, Alain indiquant que les meilleurs mois sont septembre octobre novembre. Négociation sur le prix de vente : le propriétaire indique que les autres agences affichent à 130 000, laissant un net vendeur de 123 000 (il a fixé le prix après avoir lu les annonces dans le quartier). Sceptique, Alain calcule la part d'une commission sur 130 000 euros et trouve 16 000, ce qui laisse un net vendeur de 114 000 euros (ce qui est fort opportunément très proche du net vendeur demandé en début d'entretien). La négociation portera ainsi exclusivement sur la commission et le prix net vendeur est garanti, les concurrents ayant, d'après lui, le comportement inverse. Alain : "Comme ça vos 114 000 sont garantis même s'ils négocient. Et ils négocient toujours… Et au pire il se vend à ce prix là avec une commission de 0. Mais bon, ça je vous le dis tout de suite je ne le ferai pas. (rires)" [après la visite Alain me dira avoir regardé sur le bureau pendant que la commerciale de l'autre agence était encore là pour lire sur les mandats de ses concurrents les prix et tarifs : "il a essayé de m'embobiner mais heureusement j'ai eu l'œil, je sais qui sont les confrères sur le coup et combien ils prennent."] Une seconde négociation a lieu pendant la rédaction du mandat : à la question des clients potentiels, Alain répond qu'il apporte la clientèle locale, la moitié de ses ventes se faisant dans le quartier "à 300 ou 400 mètres de l'agence. Moi je vois les gens, ils achètent en tac tac tac, ils veulent rester dans le coin où ils ont leurs habitudes parce qu'il y a la supérette derrière, il y a l'école machin pour leurs enfants. Les seules raisons pour lesquelles on veut partir c'est qu'on fait construire ou alors, bon, qu'on est muté. Avec moi vous améliorez vos chances de toucher cette clientèle que mes confrères ne vous amèneront pas. Et puis vous me connaissez, on est l'agence du coin". Il termine les photos, en faisant remarquer que la commerciale précédente n'en avait pas pris. Elles plaisent au propriétaire qui dit vouloir prendre les mêmes pour vendre aussi son bien sans intermédiaire. Remplir le mandat est aussi l'occasion de demander le motif de départ (naissance du troisième enfant), le PV de l'assemblée de copropriété. Il faudra également faire signer le mandat par la femme du propriétaire et réaliser le diagnostic plomb amiante, Alain laissant la carte du diagnostiqueur qui est son associé. Deux remarques en partant, l'une sur la nécessité de ranger l'appartement, et un "à très bientôt " pour indiquer que les visites ne tarderont pas.’ ‘Remarques en sortant : "il est cool mais il sait ce qu'il veut. Maintenant il faudra revenir vite, ça le surprendra, on reste dans son jeu sympa mais on lui montre qu'on est sérieux. C'est pour ça que j'ai dit : à très bientôt". Une visite a d'ailleurs eu lieu dès le lendemain à laquelle je n'ai pas pu assister étant avec Salima. Commentaire : "Je l'ai épinglé, je lui avais dit à très bientôt et dès le lendemain […] Mais il n'avait rien rangé, une vraie porcherie. Le visiteur m'a dit qu'il ferait abstraction du désordre mais il doit passer voir son ministre des finances. En tout cas, il ne vendra jamais s'il ne range pas." ’ ‘ Commentaire : La fixation stratégique (et acrobatique) du prix est ce qui retient le plus l'attention, avec une commission qui atteint de fait 12% du prix affiché, et qui est donc très au dessus des tarifs de l'agent (d'une certaine façon, en concrétisant la vente, Alain a gagné la différence entre 123 000 et 114 000 euros soit 9000 euros…) D'autres éléments doivent toutefois être notés, en particulier le discours sur la proximité qui permet de rétablir une légitimité dans une situation que le vendeur cherche à maîtriser complètement. On peut y lire aussi la volonté de capter le maximum d'affaires dans le quartier, et le lien entre les clientèles locales de vendeurs et d'acquéreurs. La prise de mandat mêle démarche commerciale et ancrage local, puisque c'est la réalisation d'une première estimation (même marquée par un désaccord sur le prix) qui poussera le propriétaire à accepter le mandat. On peut penser que l'argumentation d'Alain a visé à démontrer sa spécificité : proximité mais également photos et garantie du net vendeur. En situation de mandat simple, la conquête d'une certaine maîtrise de la relation passe par la nécessité de se démarquer des concurrents. La volonté exprimée après la rencontre de proposer très rapidement des visites va dans ce sens. La discussion sur le prix est également révélatrice car, sans constituer un retour à l'estimation de départ, elle vise à instaurer une capacité d'action. Il est significatif que ce pouvoir porte sur la commission, fixée à un niveau très élevé mais sur laquelle portera ensuite toute la négociation : elle peut apparaître comme un prélèvement injustifié, mais aussi comme une pirouette destinée à conquérir une certaine autonomie, en ne se laissant pas imposer un net vendeur supérieur à celui des autres agences, dans une situation où le mandat simple limite la marge de manœuvre. ’

Le deuxième et le quatrième mandat ont abouti à une vente, à 98 000 euros pour le 43,12m² et 127 000 pour le T3, donc avec une baisse de la commission. Les deux autres ont été vendus par d'autres agences. Les prises de mandat accordent une part importante au montant de la commission ce qui peut paraître contradictoire avec ce que l'on a dit au chapitre précédent sur le fait qu'elle ne régulait pas la relation entre le vendeur et l'intermédiaire. En réalité, ce n'est pas le montant de la commission qui est en jeu : elle peut être très élevée dans le dernier cas, ou plus faible (elle n'atteint que 4% pour le T2 rue Gabriel Péri, alors que les commissions pour des petits biens sont en général à un taux plus élevé). Pour appliquer sa technique et annoncer un prix plus bas que ses concurrents, tout en conservant des chances d'entrer le mandat, il ne peut pas discuter le net vendeur. En revanche, en garantissant ce net vendeur, il acquiert une certaine liberté dans la négociation et, surtout, dans la promotion du bien. Cette façon de fixer la commission (fixer un prix d'affichage, un net vendeur et avoir une commission résiduelle), appelée "consignment" dans la microéconomie de l'intermédiation immobilière, a plusieurs variantes. La plupart du temps, les agences partent soit d'un prix de marché sur la base duquel ils calculent leur commission ou, lorsqu'ils sont en situation moins favorable, d'un net vendeur auquel ils ajoutent la commission. S'il peut y entrer une part de bricolage, elle est souvent moins fine qu'ici. Un agent n'a théoriquement pas le droit de proposer une commission différente du barème affiché mais, dans la mesure où les particuliers raisonnent sur un prix d'ensemble, les jeux sur la commission sont peu visibles. La particularité de la méthode d'Alain est que le prix annoncé sur le marché dépend de celui affiché par les autres. Le "consignment" ne s'interprète alors qu'imparfaitement en termes de principal/agent, et encore moins en termes de contrat incitatif proposé par le principal, puisque les prix annoncés par les autres agences ont une importance centrale. Ainsi, le fait de proposer rapidement des visites ou non dépend moins du taux de commission que de la pression des autres agences et, plus généralement, d'un rythme qui s'installe et qui dépend de l'attractivité du bien, du rapport avec le propriétaire, et de la concurrence. Il se joue autre chose que le prix et la commission lors de ces prises de mandat : l'intermédiaire définit sa marge de manœuvre, son autonomie, dans un contexte où les engagements réciproques des deux parties sont limités. La discussion sur la commission n'en est qu'un aspect et la capacité se distinguer des autres agences est essentielle. L'implantation locale et l'argument de proximité jouent ici un rôle important : fait d'avoir vendu un bien dans le même immeuble, d'avoir eu un contact préalable avec le vendeur ou encore de pouvoir invoquer la clientèle locale. L'absence de cette dimension se fait ressentir dans les mandats pris par Salima qui manque d'arguments à faire valoir.

Notes
370.

Rappelons que, quand la commission est à charge du vendeur, elle est incorporée au prix (donc il y a des frais de notaires sur la commission) et le vendeur la reverse à l'AI après la vente. Quand elle est à charge de l'acquéreur, elle est versée à part. Il s'agit d'une pratique courante qui peut gêner le vendeur s'il a l'impression que le prix de vente est amputé (mais son net vendeur reste le même) : le fait que ce vendeur la propose révèle surtout qu'il a déjà été confrontée à une vente avec un intermédiaire.