Pige, prospection, apport d'affaires

Pige et prospection

La pige, dont on a vu l'importance pour une agence comme celle d'Alain est la méthode la plus fréquente d'acquisition d'affaires, en même temps que la plus décriée. L'abonnement à une revue de presse en ligne permet un gain de temps certain mais ne garantit en aucun cas à l'agent qu'il sera le premier à contacter le vendeur, d'autant plus que toutes les agences abonnées reçoivent peu ou prou les mêmes annonces. Par ailleurs, tous ne sont pas abonnés et il n'est pas rare, en entrant dans une agence, d'y voir les négociateurs absorbés dans la lecture des journaux d'annonces. Cette pratique est probablement celle qui alimente le plus l'impression de rareté pour les agents immobiliers, chaque nouveau bien faisant immédiatement l'objet de très nombreuses sollicitations, et l'exaspération des vendeurs (pour la même raison). L'observation à l'AI montre par exemple que la mention "agences s'abstenir" est en réalité alléchante pour une agence car elle sous-entend que le bien est peut-être encore libre. Il est vrai que cela limite le nombre de vendeurs se passant totalement d'un intermédiaire : le nombre de sollicitations suivant la moindre parution d'annonces conduit la plupart des vendeurs qui essayent de vendre seul pour se faire une première idée à confier rapidement un mandat. Dans cette phase spécifique, les méthodes d'amorce comme celles de l'AI peuvent se révéler efficaces (même si, rappelons-le, les trois quarts des appels se soldaient par un refus ou par la constatation que le téléphone donné dans l'annonce était celui d'une agence). Même les vendeurs les plus réticents peuvent concéder un mandat s'ils reçoivent beaucoup d'appels d'agence. Au stade de la pige, il nous semble difficile de repérer des logiques orientant tel type d'agence vers tel type de bien. Elle semble plutôt fonctionner pour les biens les moins chers, mais il est peu probable qu'une catégorie de biens y échappe totalement. Quelques cas excluent la présence d'un agent : achat par le locataire, vente directe entre proches, ou encore ventes par adjudication dites "à la bougie" (tous ces cas n'empêchant pas des évaluations avant la vente par un agent). Dès lors que la chaîne d'acteurs entre le vendeur et l'acheteur s'allonge, il est toutefois très probable qu'un intermédiaire soit impliqué, même s'il ne parvient pas à obtenir de mandat. L'efficacité de la pige dans l'obtention de mandats, et donc potentiellement sur la réduction du nombre de transactions entre particuliers, n'est pas totale puisque le mandat n'aboutit pas toujours à une vente. L'omniprésence de la pige est un des facteurs expliquant l'impression de rareté et de pénurie de biens, alors que le nombre de ventes a été élevé tout au long de notre étude.

Nécessaire pour un grand nombre d'agences, et particulièrement pour les plus récentes dont le réseau d'apporteurs d'affaires est limité, la pige instaure une relation commerciale dont on a vu la fragilité avec les prises de mandat de Salima et d'Alain. Elle contribue aussi à augmenter le nombre de mandats simples sur un même bien et à alimenter diverses formes de suspicion entre agences et vendeurs (lorsque le négociateur appelle et se renseigne sur le bien, beaucoup de vendeurs demandent immédiatement s'il s'agit d'une agence), ou entre agences (soupçon d'une visite demandée à un concurrent pour obtenir un mandat). Une telle situation, qui rapproche le travail d'agence de celui des centres d'appel et du télémarketing, est souvent perçue comme ingrate, voire dévalorisante. Cette partie du travail est d'ailleurs souvent confiée aux stagiaires, même si l'ensemble des membres de l'agence est souvent amené à le faire. Citons le cas de deux associés de 28 et 33 ans, implantés trois ans auparavant dans le 6e arrondissement (agence 4), qui ont embauché un commercial uniquement pour la pige et la prospection : de façon tout à fait significative, ils ont demandé à faire l'entretien le soir (20h30) pour que leur nouvel employé ne soit pas au courant et n'entende pas le mal qu'ils pensaient de cet aspect du métier. Ils ne révélèrent d'ailleurs cette gêne qu'à la fin de l'entretien, après que nous ayons demandé plusieurs fois les raisons pour lesquelles ils avaient voulu le déplacer. La condamnation de la pige est particulièrement sévère lorsqu'elle émane d'agents pouvant s'en passer :

‘"Pour moi, le relationnel c'est 80% des affaires. C'est très important. 90% des mandats qui rentrent dans mon agence aujourd'hui à raison de 150 mandats par an sont rentrés directement par le relationnel et nos prescripteurs. Voilà, donc après on pourrait faire la pige, on pourrait passer notre temps sur Internet et aller piquer les affaires des autres, ce que font les agences immobilières qui sont incapables d'avoir des affaires elles-mêmes. On pourrait piquer des affaires avec de fausses visites, etc. Bon, ben ça c'est la médiocrité professionnelle. (Agence 10)’

Ce jugement est émis par le directeur d'une filiale d'un groupe de promotion dont une partie des clients sont amenés par les banques partenaires, et qui bénéficie également d'une implantation locale dans le 8e arrondissement. Au-delà de l'acquisition des affaires (et des conditions de leur obtention), la pratique ou non de la pige est un critère de classement entre agences, repoussoir pour celles qui peuvent s'en passer, et mal nécessaire pour les autres.

La prospection peut avoir, dans une moindre mesure, une image comparable mais elle correspond à une logique différente. Il s'agit de contacter les propriétaires avant la décision de mise en vente, d'anticiper la décision de mise en vente et de l'orienter vers l'agence. La plupart du temps, la prospection se fait par boîtage, parfois par courrier électronique pour les agences qui parviennent à obtenir les adresses mail. Le fait de proposer des évaluations gratuites est également une technique de prospection. Elle repose sur l'idée que le service rendu gratuitement permettra de convaincre le vendeur de la compétence de l'agent, dans une situation où il n'y a pas d'enjeu immédiat puisque le propriétaire ne confie pas de mandat à l'issue de l'estimation (qui par ailleurs n'oblige en rien à vendre ensuite à ce prix là). L'agent espère évidemment être recontacté au moment de la mise en vente. Il s'agit donc d'une technique d'amorce dont le résultat se révèle en réalité hasardeux. On l'a vu par exemple dans une des prises de mandat d'Alain : lorsqu'il décide de vendre, le propriétaire, même à titre d'essai, tente souvent de se passer d'intermédiaire et/ou commence à un prix plus élevé que celui donné lors de l'estimation. Il peut alors hésiter à recontacter un agent qui lui a proposé un prix plus bas. Un tel processus affecte typiquement les agences les mieux implantées, celles qui ont la meilleure réputation, comme le décrit cette directrice (qui parle en francs) qui a repris une agence installée depuis les années 70 dans le 8e arrondissement fait figure, dit-elle de "référence" :

‘"Ils [un couple de vendeurs] avaient une estimation gratuite de l'agence de référence, hein, une estimation gratuite et je me retrouvais avec des gens qui me demandaient, mais sans vouloir travailler avec moi parce qu'ils estimaient que je n'étais pas dynamique.(…) Quand vous avez une réputation à tenir, comme j'estime que c'est mon cas, vous êtes obligé à une certaine rigueur. Si ça vaut un million, on peut dire : ça vaut tant mais je vous la prends à un million deux ou un million cinq parce que les collègues en feront autant. Mais ce qu'ils vont retenir, c'est un million. Ils sont venus vers vous pour une optique de prudence et ils vont retenir ça. Et après il y a un collègue qui leur dira : non, mais on vous a dit des conneries, et moi je vous en tirerai un million cent. Et là, vous vous faites griller. Donc le seul moyen d'arriver à quelque chose sur cette période là, il faut les rappeler, rester en contact. Eventuellement les récupérer comme acheteur, leur proposer une visite. Malheureusement, ce suivi je le fais très, très mal. Je sais que je dois le faire mais ça prend énormément de temps [elle énumère ses autres activités]. C'est pas long mais il faut appeler les gens quand ils sont là. Moi j'ai des enfants, appeler les gens après 20h, bon..." (Entretien 9)’

Jouir d'une bonne notoriété et d'une image de sérieux ne suffit donc pas à transformer l'estimation préalable en mandat. Indépendamment de la tendance des vendeurs à tenter leur chance sans intermédiaire et la probabilité qu'une autre agence les contacte alors en premier, la bonne image de l'agence est précisément ce qui retient le vendeur à la recherche d'une bonne affaire. Il est possible de considérer cette technique de prospection comme un moyen d'instaurer un rapport privilégié et confiant avec un vendeur, sans qu'elle soit pour autant efficace (ou plutôt : sans qu'elle soit immédiatement efficace) sur le plan commercial. Notons toutefois qu'il est difficile pour un agent de mener une prospection sans proposer d'estimation gratuite, cette offre représentant le seul argument tangible pour amorcer une prise de contact. L'efficacité de la prospection fait partie, comme on l'a vu au chapitre 3, des terrains vers lesquels les franchiseurs orientent leur discours. Peu d'agences se passent de la prospection, mais la réflexion sur sa rationalisation est en grande partie portée par les réseaux.

22% seulement des agences de l'échantillon disent se passer de la pige ou de la prospection (les deux sont la plupart du temps pratiqués ensemble). Les agences récentes de type B sont celles qui utilisent le plus la pige (environ 80%). En revanche la prospection caractérise plutôt les réseaux, et particulièrement les franchisés (catégorie d'agence A, mais également l'ensemble des adhérents). La quasi-totalité des agences en réseau déclarent y voir une source significative de mandats. Pour les autres agences, ce taux est d'environ 75%, légèrement moins pour les agences anciennes de type B, ce qui s'explique par la proportion d'anciens cadres de l'immobilier et du bâtiment parmi eux (environ un quart), plus susceptibles de faire jouer le relationnel, et par le fait qu'ils sont quelques uns à s'être orientés vers l'immobilier d'entreprise où la prospection fonctionne différemment. La différence principale en matière de prospection est donc bien celle qui oppose indépendants et adhérents de réseau. Elle renvoie moins à la forme de la prospection (par exemple aux publicités laissées dans les boites aux lettres) qu'au mode d'organisation des seconds, forme qui repose sur la prospection systématique de petits secteurs. Les agences en franchise sont sectorisées et, dans chacune d'elle, les commerciaux ont en charge de petits secteurs. Une description est ainsi fournie par ce franchisé ayant fondé son agence en 1988 dans le 7e arrondissement, rencontré lors de la passation du questionnaire. Il développe une conception qui est celle du "arming", propre à ce réseau mais repris par d'autres, évoqué au chapitre 3 :

‘"Le travail d'un commercial c'est de serrer le plus de paluches possibles, c'est de se faire connaître. C'est d'être au courant de tout ce qui va être à la vente demain, aussi bien chez les confrères, chez les concurrents ou autres. Donc ça c'est celui qui connaît bien son marché. Être très en amont, très à l'écoute des vendeurs et des acheteurs, notre métier c'est ça. On fait des ventes de proximité, même sur le même étage. On a fait des ventes :" écoutez j'ai un F3 dans la résidence, nous on aime bien la résidence mais la famille s'agrandit, si vous avez un F4, n'hésitez pas". Comme on sait où trouver le F4 après c'est ciblé. C'est un travail de fond. Quand on a un taux de rotation de 6%-7% si vous avez 30 F4 dans la résidence, 30 F4 ce serait étonnant qu'il n'y en ait pas un à la vente dans les mois qui arrivent. Si on est très en amont, on peut rendre un service complet : ils auront peut-être besoin de nous pour une mutation, surtout s'ils partent dans une autre région, on peut les recommander à un confrère, etc. Concrètement, un conseiller qui travaille bien une résidence il détient 30% à 40% du marché. J'ai des conseillers qui sont bien au-delà. ’ ‘-C'est lié aussi à l'habitat qu'il y a dans le secteur…’ ‘-Oui, oui. Disons, il faut connaître les gens, et connaître leurs projets. Quand vous connaissez les projets des gens, bon il y en a qui cherchent le mouton à cinq pattes, on essaye de les faire atterrir un peu, mais quand vous connaissez bien les projets des gens… C'est vrai que c'est du boulot. Un conseiller c'est quelqu'un qui a le contact facile…’ ‘-Ils sont sectorisés ?’ ‘-Ils sont sectorisés, ils ont des îlots, des résidences. Leur boulot c'est de bien connaître ces résidences. On travaille sur des tout petits… Nous on travaille sur du 1300 foyers. Alors si vous calculez à 6%-7% de turn-over, c'est la moyenne hein, un logement il change de main à peu près tous les 12-13-14 ans en moyenne… Tout dépend où c'est situé : on a une agence à Vaulx-en-Velin, on a un turn-over de 16%-17%, ça tourne à peu près tous les 6 ans. Sur les quais : 2%, sur les places à peu près pareil." ’

La prospection n'est pas décrite comme le moyen de convaincre un vendeur ou de préparer sa mise en vente, mais comme une méthode de recueil d'information, et comme une prise sur un micromarché (moins décrit comme un marché que comme la subdivision d'un espace quadrillé que se partagent les commerciaux d'une agence). Dans le prolongement des discours de franchiseurs étudiés au chapitre 3, la conception défendue ici mêle une approche managériale, en termes de part de marché, de taux de rotation et de nombre de ménages à prospecter (approche qui s'explique aussi par le fait que ce directeur d'agence ne pratique plus la transaction et s'occupe uniquement du développement), à des éléments relevant plutôt du savoir-faire relationnel et de la présence constante du commercial sur son secteur. Dès le début de sa présentation, le directeur d'agence a en tête un type particulier d'habitat, des résidences de grande taille, relativement récentes par rapport à l'habitat ancien que l'on peut trouver dans une partie des quartiers sur lesquels travaillent ses commerciaux (le 7e arrondissement, voir chapitres 7 et 8). Le fait d'évoquer des quatre pièces, le bien "standard" par excellence, n'est pas non plus anodin. Il apparaît clairement que, à l'instar de ce que l'on a observé pour la pige, le retour de ce type de prospection dépend des caractéristiques de l'habitat et de la mobilité des habitants au moins autant que du savoir-faire relationnel de l'agent. Celui-ci est d'ailleurs relativement standardisé même si le discours de ce franchisé insiste sur l'inscription locale et sur la capacité à être à l'affût, deux caractéristiques qui distinguent la prospection du caractère routinier de la pige, l'apparentant bien plus à une technique au sens défini ci-dessus.

Les indépendants pratiquent la prospection avec le même souci d'en retirer une information (en discutant avec le gardien, en croisant des habitants dans la cage d'escalier, en discutant avec les commerçants environnants) mais de façon moins systématique, au gré par exemple des visites qu'ils sont amenés à faire dans un immeuble donné. Nous n'avons pas rencontré d'indépendant ayant adopté un plan systématique de prospection sur des espaces aussi bien délimités que les secteurs de franchisés (les franchisés eux-mêmes ne la pratiquent pas tous avec cette application, notamment lorsque la pige prend une place importante) : souvent de plus petite taille, les indépendants n'ont pas la possibilité de miser toute leur activité sur un secteur aussi restreint qu'ils ne peuvent investir de façon aussi constante (y consacrant des commerciaux à temps plein). Leur pratique peut donc paraître plus diluée, moins conforme à ce modèle des franchisés que l'on pourrait qualifier de logique du guet. Une des conséquences de ce déséquilibre dans la prospection, mais aussi dans la pige, est l'impression que les franchises sont omniprésentes, interviennent sur un très grand nombre d'affaires, prenant parfois des mandats dans des conditions qui pénalisent l'ensemble de leurs concurrents. Cette impression, très répandue chez les indépendants, y compris ceux qui ont été négociateurs dans une agence en franchise, est nourrie par les objectifs fixés aux commerciaux qui doivent entrer un nombre de mandats par mois (souvent sept) pour prétendre à leur rémunération 375 . Une telle image contribue à la mauvaise réputation des franchisés auprès d'un grand nombre de leurs confrères. Un des répondants au questionnaire nous dira ainsi, voyant la question sur l'appartenance à un réseau commercial : "Je ne comprends pas que dans un étude sérieuse vous posiez des questions à ces gens là. Ce ne sont pas des agents immobiliers. Ce sont des gens qui ont un peu d'argent et on leur dit : vous prenez une franchise Banette, Casino ou Century 21. Pour eux c'est pareil, et ils se ramassent pareil dans tous les cas". Toutes les remarques ne sont pas aussi radicales mais, dans un contexte de conjoncture tendue, l'omniprésence (perçue) des franchisés (et de l'ensemble des réseaux commerciaux) est mal ressentie. Derrière l'accusation (par ailleurs réciproque) d'incompétence, se cache aussi une différence dans le rapport au marché, la pratique systématique des franchisés s'opposant à celle des indépendants, qui ne s'exprime d'ailleurs pas en termes de conquête de parts de marché. Avant d'approfondir cet aspect, il est nécessaire de préciser deux autres dispositifs par lesquels obtenir des mandats, complémentaires de la prospection.

‘"Dès qu'un propriétaire veut vendre, nous sommes les premiers informés, forcément. Tout ce qu'on a à faire c'est de lui faire savoir qu'il y a une possibilité de lui vendre son bien, de lui dire qu'on est les mieux placés.(…) Les locataires, ils vont avoir tendance à nous contacter spontanément. Nous en plus, nos pouvons faire une information aux locataires, une prospection dans nos immeubles pour qu'ils viennent vers nous spontanément. Ensuite, en fonction de ce qu'ils cherchent, s'ils veulent une maison, sur Francheville ou après sur Craponne, là on essaye de les aider mais on est plus dans la situation d'une agence immobilière classique." (Agence 21)’

On notera cet usage du "spontanément" qui résulte en réalité d'un travail de prospection. Cet extrait d'entretien fait toutefois écho à la conception qu'ont les franchisés de la prospection : l'avantage du syndic réside dans le fait qu'il est le premier informé de la vente ou du départ d'un locataire, ce qui lui permet d'être le premier à proposer un mandat, et donc de pouvoir espérer un mandat exclusif. On glisse ainsi de la prescription à une forme aboutie de prospection qui n'a rien d'automatique et qui nécessite une présence commerciale en plus de la présence comme prestataire auprès des propriétaires. L'agence est toutefois moins armée pour l'accompagnement de locataires souhaitant accéder hors de son parc, ce qui peut la conduire à élargir son activité de recherche de biens, encore que de façon marginale. Nous ne disposons que de peu d'éléments sur l'avancement du mouvement de concentration des cabinets d'administrateurs de biens (dont on a vu l'ampleur au chapitre 2), mais il ne peut que renforcer la portée du phénomène par la mise en commun d'informations sur un nombre croissant d'immeubles. Le groupe Foncia a ainsi lancé une franchise à laquelle adhèrent des agences qui faisaient à la fois de la transaction et de la gestion (et/ou du syndic) afin de capter les complémentarités encore non exploitées entre les deux activités. Les transactionnaires de leur côté sont conscients du gisement d'affaires que peut représenter l'activité de syndic. Cet aspect est parfois leur motivation principale, comme dans le cas de ce directeur d'agence indépendante qui, après avoir pris la carte de gestion et entamé avec son associé une activité de location et de gestion, cherche à mettre en place une activité de syndic :

‘"Il faut revoir le métier de syndic, même si pour l'instant c'est un métier qui ne rapporte pas beaucoup d'argent. Ça peut apporter beaucoup de monde en transaction, parce que là le fichier des clients vous l'avez. Et le propriétaire bailleur qui veut revendre, ça vous tombe tout cuit, alors que ce sont des personnes qui sont très difficiles à avoir si on n'est pas syndic. On s'aperçoit que les syndics poussent énormément pour récupérer des biens à la transaction. Ils récupèrent la crème, tout ce que nous on ne peut pas récupérer. Des gens qui ont donné leur bien en gestion, et quand le locataire s'en va, le syndic demande de le relouer. Et eux : "non, non on ne veut plus relouer, on veut vendre, on veut plus s'en occuper." Le syndic : "je vous envoie un mandat. Ça se vend tant dans la résidence." Facile. Même s'ils ne sont pas costauds aujourd'hui, c'est pas des gens de terrain, ils sont en bonne position pour faire de la transaction." (Agence 7)’

Cet extrait témoigne d'une certaine exagération sur l'avantage représenté par la position de syndic. Il n'en est pas moins précis sur le processus en jeu et sur le type d'effet attendu. On le voit, c'est la captation d'une clientèle de propriétaires bailleurs, impossibles à contacter par une prospection classique dans les boites aux lettres, qui est visée. Les propriétaires occupants peuvent plus facilement être touchés.

  1. Le réseau commercial : le réseau commercial est également une source formalisée et régulière d'affaires. Il s'agit donc d'une forme spécifique de prescription, dont il existe plusieurs formes. Le fichier commun de mandats exclusifs a été brièvement présenté au 2e chapitre et nous y reviendrons dans la troisième partie, de telle sorte que ne seront présentés ici que les formes traditionnelles d'apport d'affaires. Etant sectorisés, les franchisés ne s'apportent pas d'affaires les uns aux autres, du moins pas régulièrement. Ils peuvent en revanche s'adresser des acquéreurs : lorsqu'un vendeur d'une localisation donnée déménage dans un autre secteur de l'agglomération, voire au-delà, le franchisé qui vend son bien pourra lui conseiller l'agence du même réseau située dans cette localisation. De la même façon, un acquéreur prenant connaissance d'une annonce par le site Internet du réseau peut s'adresser à l'agence de son quartier qui l'oriente ensuite vers l'agence concernée. Si l'agent sollicité en premier prend en charge certaines démarches (contacter lui-même son confrère par exemple), il y a fréquemment un partage de commission (dans les cas que nous avons rencontrés, il était de 2/3 pour l'agent ayant le mandat, et 1/3 pour celui amenant l'acquéreur). Le processus peut également concerner des propriétaires résidant loin du lieu qu'ils mettent en vente. Cette extension nationale est un argument fréquemment utilisé auprès des vendeurs, mais les adhérents de réseau rencontrés avouent que ce type de partage d'affaire, sans être marginal, est peu fréquent. La mise en commun des annonces sur les sites Internet, voire sur certains supports papier peut donner l'impression qu'il existe des fichiers communs ce qui n'est généralement pas le cas. Une exception cependant : les franchisés de première génération ont souvent ouvert des succursales à la suite de leur première implantation, et ces agences fonctionnent en fichier commun : chacune reste sectorisée mais les négociateurs y ont accès à l'ensemble des mandats (sous forme de fichier informatique). Ces réseaux dans le réseau (de deux à cinq agences dans le cas lyonnais) permettent d'une part d'avoir une offre plus variée à présenter en agence aux acquéreurs, et d'autre part de pouvoir proposer aux vendeurs de prendre aussi en charge leur recherche de logement s'ils sont intéressés par les secteurs des autres agences. Ces sous réseaux installent donc un rapport entre deux localisations. Nous verrons au chapitre 8 qu'il existe une cohérence géographique dans les choix d'installation. Enfin, il faut mentionner le fichier commun de mandats simples que certains réseaux ont mis en place, le plus célèbre étant celui d'ORPI. Les mandats (simples comme exclusifs) de toutes les agences du réseau y figurent et un adhérent ORPI ne peut prendre de mandat simple si une agence du réseau en a déjà un sur le bien en question. En revanche s'il amène un acquéreur, ce qui arrive fréquemment dans la mesure où les agences de ce réseau ne sont pas sectorisées, l'affaire se conclut en inter-agence avec un partage de commission. Comme on l'a dit au chapitre 2, les sites d'annonces sur Internet réduisent la portée de l'argument d'une grande visibilité des biens mis en fichier commun (ce qui reste pourtant la principale thématique du groupe ORPI). L'intérêt du fichier pour les agences de ce réseau réside plutôt dans le fait qu'elles n'ont pas besoin d'un portefeuille de mandats aussi important que les autres agences puisqu'elles peuvent en partie compter sur les affaires des confrères. Cela dépend évidemment du nombre d'agences du même réseau dans le secteur. Dans notre échantillon, les agences ORPI ont 41 mandats en moyenne alors que les franchisés en détiennent 51.

Notes
375.

Un cas rencontré fréquemment est celui de l'avance sur commission : une rémunération mensuelle fixe est versée, sous condition d'avoir entré un nombre suffisant de mandats. Le reste de la rémunération est fonction des commissions (ce qui revient à une rémunération uniquement fondée sur la commission, avec un minimum si le nombre de mandats est rentré). Il y a toutefois des différences selon les réseaux, certains ne rémunérant, classiquement, que sur commission.