Mandat simple et mandat exclusif

Rechercher et obtenir des mandats exclusifs

Ces dernières remarques conduisent à passer de la quantité de mandats en portefeuille à leur qualité, c'est-à-dire aux conditions dans lesquelles les mandats pris installent la relation commerciale. Nous partirons pour cela de la différence entre mandats simples et exclusifs. Le mandat exclusif place l'agent dans une situation confortable qui peut modifier ses pratiques habituelles, comme l'indique ce commercial d'une agence en réseau, non sectorisé mais travaillant habituellement sur quelques quartiers du 6e arrondissement :

‘"- Par contre au niveau relationnel c'est vrai que c'est plutôt la relation qu'on va privilégier et non la situation donc à partir de ce moment là donc si on nous recommande auprès de quelqu'un qui vend une villa sur les extérieurs et que cette villa j'en ai la vente en exclusivité au prix du marché avec la confiance du vendeur, euh, ça ne me fait rien de courir pour l'avoir.’ ‘- Il vous faut l'exclusivité ?’ ‘- Ah ben oui. Sur un secteur proche pas forcément mais sur un secteur plus éloigné." (Agence 19)’

L'exclusivité reste l'exception pour une majorité d'agences : la proportion médiane de mandats exclusifs atteint 15% dans l'échantillon 385 . Ce pourcentage, déjà faible, prend également en compte les co-exclusivités, c'est-à-dire des formes intermédiaires d'exclusivité (par exemple où le vendeur conserve la possibilité de vendre mais ne confie pas d'autre mandat). Les explications de la prédominance du mandat simple partent le plus souvent du comportement du vendeur, dans une perspective assez proche de celle des modèles principal-agent (soit comme protection contre le risque que l'agence ayant l'exclusivité ne se révèle pas efficace, soit à partir de l'idée que la mise en concurrence des intermédiaires est un stimulant), ou en invoquant le comportement stratégique du vendeur : profiter des services rendus par les intermédiaires tout en vendant soi même, fixer un prix en fonction de ceux affichés par les agents (soit au même niveau pour récupérer la différence avec la commission, soit à un niveau inférieur pour paraître plus attractif dans les annonces). Tous ces éléments ont une part de vérité et se retrouvent dans le comportement des vendeurs. Les agents eux-mêmes imputent ce type de comportement aux vendeurs : "Ils ne savent pas à qui ils vont avoir affaire et ils préfèrent ne pas… et ils préfèrent aussi très souvent vendre eux-mêmes, on donne un mandat à deux agences et puis on dit moi je vendrai aussi. On a déjà comme concurrent immédiat le vendeur, ce qui est très désagréable. Il faudrait un jour réformer la loi Hoguet, interdire les mandats en vente directe. C'est absurde" (répondant au questionnaire).

Conformément à la méthode suivie jusqu'ici, il nous semble pertinent de partir de la situation des agences, plutôt que, par exemple, d'une typologie de vendeurs, pour expliquer non seulement la faiblesse du taux d'exclusivités, mais aussi sa variabilité. La médiane varie en effet fortement d'un type d'agence à l'autre : 20% d'exclusivités pour les agences de type C, 16% pour celles de type A, 13% pour les anciennes de type B et 10% pour les récentes de type B. La répartition est indiquée dans le tableau 21.

Tableau 21: proportion d'exclusivités selon le type de l'agence
Tableau 21: proportion d'exclusivités selon le type de l'agence

Le type de l'agence n'est pas seul en cause et le type de biens a également une influence : les biens de standing, de très grande qualité, débouchent par exemple surtout sur des mandats simples. De la même façon, la médiane est à 10% pour les agences travaillant dans l'habitat individuel, et 20% pour l'habitat collectif. L'écart entre les deux est important et renvoie partiellement au fait qu'il est plus difficile d'obtenir une exclusivité pour une maison. D'autres éléments entrent toutefois en compte : les agences de l'échantillon qui travaillent surtout dans l'habitat individuel restent localisées dans des zones urbaines et peuvent avoir à faire face à une concurrence mieux implantée, de la part d'agences installées dans ces zones périphériques et donc non sollicitées pour le questionnaire. Par ailleurs, les agences n'ont pas toutes le même rapport aux exclusivités : les franchisés notamment prônent une "culture de l'exclusivité", qui explique sans doute qu'ils aient plus de mandats exclusifs que les agences classiques, même les plus anciennes (lesquelles paraissent d'ailleurs les moins bien loties) : seules les agences de type C ont, proportionnellement, plus de mandats exclusifs.

Il y a deux façons d'obtenir des exclusivités : la première est la "culture de l'exclusivité", typique des agences en franchise (au moins des grands réseaux de première génération), qui accompagne la prospection systématique d'un argumentaire destiné aux vendeurs. La seconde le relationnel qui peut apporter des affaires dans de bonnes conditions. En particulier, il bénéficiera aux agences qui ont une réputation suffisante pour attirer des clients vendeurs sans passer par la prospection ou la pige : les agences ne citant pas ces deux modes d'acquisition des mandats ont 40% d'exclusivités (médiane). Ce sont les plus anciennes, celles qui exercent d'autres activités (comme la gestion locative, l'expertise, la commercialisation de programmes neufs, etc.), activités par lesquelles des clients peuvent leur être amenés. Nous y reviendrons plus bas, l'important étant de noter qu'il y a donc des différences qui renvoient aux agences elles-mêmes, et qu'il s'agit d'explorer.

Du point de vue d'une agence, le premier obstacle pour entrer un mandat exclusif est la présence d'autres agences. Comme on l'a vu avec la pige et la prospection, obtenir une affaire ne signifie pas que l'on est le premier à prendre en charge le bien. De cette façon, même les agences les mieux armées pour obtenir l'exclusivité se retrouvent rarement en position de l'obtenir. Beaucoup de vendeurs étant contacté dès la parution d'une annonce qu'ils publient "pour voir les réactions", ils se situent dans une phase qui ne favorise l'engagement auprès d'un intermédiaire unique. La présence de concurrents a également pour effet de complexifier le contexte de la mise en vente. A cette complexité s'ajoute parfois la multiplicité des vendeurs. Comme le montre ce directeur d'agence en réseau installé dans le 3e arrondissement et travaillant dans des immeubles où, d'après lui, la mobilité est faible et où les mutations se font surtout à l'occasion de successions, cette complexité renvoie en général au problème de l'indivision :

‘"En exclusivité c'est rien. Ça doit être 10% à tout casser. On est dans un marché lyonnais où les gens, même s'ils vous connaissent très bien, l'exclusivité il ne vous la donneront pas. (…)L'exclusivité est quelque chose de très difficile à obtenir aujourd'hui parce que quand vous avez une indivision où vous avez plusieurs personnes, il y en a toujours un qui a un ami d'ami qui a un ami qui est agent immobilier, qui sait mieux que l'autre, etc. Et comme dans les indivisions les gens s'entendent jamais très bien, ils vous collent un ou deux confrères en face de vous et on se retrouve avec de la concurrence." (Agence 15)’

On notera d'une part que le relationnel n'est pas une garantie d'exclusivité et, d'autre part, que la surabondance de pige et de prospection n'est pas la seule cause pour laquelle plusieurs agents sont présents. L'agent cité a surtout en tête les indivisions successorales où le nombre d'indivisaires peut être important, mais la question se pose également en cas de divorces, qui fournissent également un grand nombre d'affaires. Néanmoins, en ce qui concerne ces indivisions post-communautaires, les agents ont plutôt tendance à souligner la rapidité avec lesquelles les particuliers souhaitent vendre et non la difficulté de l'accord (laquelle est plus souvent abordée pour les désaccords au sein des couples désirant acheter). Pour notre propos, l'important est la diversité des motifs empêchant l'exclusivité, diversité qui relativise la place de l'argumentaire, comme l'indique ce directeur d'agence à Oullins (dans la première couronne lyonnaise) :

‘"-Comment faites-vous pour obtenir des exclusivités ?’ ‘-La première chose à faire, c'est de demander s'ils ont déjà une agence’ ‘-(rires) forcément…’ ‘-ça m'est arrivé vous savez, comme j'essaye d'être un peu déstructuré pour être dans l'humain, pour attirer la sympathie, ça m'est arrivé d'oublier de poser la question. Vous balancez votre exclusivité pendant un quart d'heure et le type, vachement gêné : "euh, j'ai déjà donné quelque chose la semaine dernière" (rires). Non, ce qui fait qu'on va emporter, c'est la vision que le client a besoin de… Il doit sentir que vous croyez dans la mise en vente, que vous croyez dans son produit.(…)Je pense qu'il y a des gens qui sont imbus de leur personne, sûrs d'eux, qui veulent vous apprendre votre métier, qui pensent que ça n'en est pas un, qui disent toujours qu'ils vont se débrouiller par eux-mêmes. Et puis il y en a d'autres qui, même si, à la fin, ils ne vont pas dans notre sens, nous écoutent et répondent avec leurs arguments. La première catégorie, je dirais que c'est pas grave, on peut pas travailler avec tout le monde, donc là aussi faut qu'ils trouvent d'autres confrères. La deuxième catégorie, si on n'a pas le mandat exclusif tout de suite on l'aura peut-être par la suite, parce que le mandat exclusif on l'a pas toujours du premier coup. On peut travailler en mandat simple et puis au bout d'un mois, deux mois, avoir l'exclusif. " (Agence 2)’

Ce passage rappelle l'importance du contexte de la prise de mandat. Il n'en invalide pas pour autant l'importance de l'argumentaire de l'agent : qu'il s'agisse de la structuration de l'entretien avec le client, (la décontraction calculée étant censée susciter la sympathie) ou des justifications qui sont "balancées" l'effet n'est pas nul, même s'il ne se traduit pas par une exclusivité dans un premier temps. Dans un contexte d'accélération des ventes, la "récupération" d'exclusivités après une période de mandat simple reste rare, mais quelques agents la mentionnent : "Nous on n'a que des mandats simples, et puis on s'arrange pour que petit à petit le vendeur vire les autres" dira ainsi un commercial en répondant au questionnaire lyonnais. Le point important est que, indépendamment de la forme que prendra le mandat, la relation commerciale peut tendre vers une forme d'exclusivité si la relation entre le vendeur et l'intermédiaire peut être reformulée en termes de présentation du produit sur le marché.

Notes
385.

Cette proportion est plus représentative que la proportion moyenne car le fait de poser la question aussi sur les co-exclusivités implique qu'un petit nombre d'agences ont des taux très élevés.