5.2.2 La promotion des mandats

Une fois le mandat pris, les démarches de l'immobilier consistent à en assurer la promotion sur différents supports publicitaires, et à le présenter aux acquéreurs potentiels. Les modes de valorisation seront étudiés en détail dans la troisième partie avec l'étude des petites annonces. Néanmoins il est nécessaire de dire un mot des techniques publicitaires utilisées avant d'aborder la relation avec les clients acquéreurs.

On l'a vu avec l'exemple de l'agence où a eu lieu l'observation, les agents portent un grand soin à la sélection de supports publicitaires. Tous ne réalisent pas des statistiques aussi poussée sur le retour de chacun d'entre eux, mais la plupart font la distinction entre les gratuits, les journaux d'annonces immobilières et la presse payante, quotidienne ou hebdomadaire, locale ou nationale pour les biens les plus prestigieux, sans parler de publications spécialisées comme Demeures et châteaux. Ce dernier type de publication s'adresse à un public restreint et permet aux agences spécialisées d'être particulièrement visibles alors qu'elles ne communiquent pas dans d'autres journaux :

‘"Aujourd'hui on aime bien cibler des choses qui sont belles, donc dès qu'il y a une belle propriété, les gens qui suivent l'information sur ces belles demeures, il n'y a pas énormément de supports qui autorisent à savoir ce qui se passe, quand on voit un nom pendant 6 ans, 10 ans dans chaque numéro sans en avoir raté un, ils se disent ces gens sont sérieux, on va s'adresser à eux même si on n'est pas connu, au moins à titre personnel. Ils nous connaissent à travers une marque. On en revient à la marque en disant : quand on est une marque forte et que vous avez dans des revues où il y a 60 pages, 10 ou 15 pages du même groupement qui apparaît, les gens repèrent votre logo, repèrent votre marque. La clientèle, elle vient spontanément à partir du moment où vous êtes communicant sur des grands supports nationaux ou internationaux. C'est notre cas, on est tous les mois dans des supports comme propriétés de France, Belles demeures, Demeures et châteaux, notre site Internet, Le Figaro, des revues nationales et internationales. Ben effectivement quand vous êtes présents avec régularité dans ce genre de, je dirais, de revue ou de magazine, les gens automatiquement vous contactent. Puis ensuite vous avez toute notre tradition de réseau puisque vous savez que quelqu'un qui réussit dans sa vie professionnelle c'est quelqu'un qui a eu dans sa vie une addition de réseaux qui ont pu lui permettre d'évoluer dans sa carrière et de mobiliser ses réseaux pour pouvoir, effectivement, développer son activité." (Agence 3)’

Le choix ne pose pas réellement de difficulté pour une agence située sur ce genre de créneau. Pour l'immense majorité des autres, plusieurs critères de choix peuvent être retenus, les deux principaux étant la diffusion (les gratuits étant alors les plus intéressants, sans compter que le coût de l'annonce est moindre) et la qualité visuelle. Toute l'iconographie est en jeu ainsi que la mise en page. Les agences négocient d'ailleurs la forme des encarts paraissant dans les journaux d'annonce, qui deviennent "leur" espace de promotion du fait de cette possibilité d'en modeler la forme et parce qu'elles n'y partagent pas la place avec d'autres annonceurs. L'aspect visuel est essentiel, de nombreux agents rencontrés reprenant la phrase constamment répétée par Alain (ou une variante) : "on achète avec les yeux". C'est la raison pour laquelle les gratuits sont parfois délaissés. En ce qui concerne la publicité sur Internet, on distingue le recours aux sites d'annonces (type seloger.com) et les sites spécifiques à l'agence ou à son réseau commercial.

Les données du questionnaire permettent de donner une idée du choix des supports, même si elles ne distinguent pas finement entre tous les journaux. Chacun des supports, pris isolément est utilisé par la majorité des agences : 64% pour les gratuits, 59% pour les autres types de journaux, 69% pour les sites d'annonces sur Internet, et 65% pour les sites d'agence ou de réseau. Internet s'est donc généralisé, même s'il faut nuancer en raison de la construction de l'échantillon : rappelons que ces agences ont été contactées par courrier électronique. 8% des agences n'utilisent qu'Internet et 5% uniquement les supports papier. Les agences déclarant n'utiliser aucun support de valorisation sont encore moins nombreuses (6 agences soit 2%). On ne peut réellement distinguer les différences entre agences qu'à partir de la combinaison des supports choisis. De façon à rendre l'indicateur lisible, on procède à une simplification : pour les supports de valorisation papier on distingue entre les agences qui font une sélection (n'utilisant qu'un type de journaux, que ce soit les gratuits, les journaux d'annonces ou la presse), et celles qui utilisent plusieurs types de journaux. En ce qui concerne Internet, on distingue les annonces n'utilisant que leur site, celles n'utilisant que les sites d'annonces et celles utilisant les deux. En retirant les agences qui ne se fient qu'à Internet ou qu'aux journaux, quatre styles de promotion apparaissent, qui figurent dans le tableau 25.

Tableau 25 : style de promotion selon le type d'agence

La technique la plus fréquente est celle de l'accumulation des supports. Elle est légèrement plus fréquente chez les adhérents de réseaux commerciaux (type A) qui bénéficient du site du réseau (lequel indique la plupart du temps un lien vers celui de l'agence), à égalité avec les agences généralistes qui, de par leur taille plus importante, ont la possibilité de mettre en œuvre une communication diversifiée. A l'inverse les agences récentes ont moins souvent la possibilité d'utiliser tous les supports, sans qu'il soit réellement possible de déterminer lequel est le plus souvent sacrifié : elles sont aussi nombreuses dans chacun des profils de promotion, utilisant tout de même les annonces en ligne moins souvent que les autres. Les agences anciennes de type B semblent privilégier l'audience sur la sélection des supports, préférant les sites d'annonces aux sites d'agence. S'il permet de décrire dans les grandes lignes les pratiques de promotion, ce tableau ne permet pas de les référer à des techniques spécifiques. Les deux techniques auxquelles ont peut spontanément penser sont la logique cumulative, consistant à communiquer sur tous les supports, et l'approche marketing, qui repose sur la sélection des sources par lesquelles arrivent le plus d'acquéreurs. Contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture rapide du tableau 25, la première logique n'est probablement pas la plus répandue : s'ils cherchent autant que possible à être présents sur tous les types de support, afin d'augmenter les chances que les annonces soient vues, les agents effectuent un tri à l'intérieur de l'offre de chaque catégorie. Une partie des agents interrogés adopte une troisième méthode, plus artisanale : ils ajustent la communication au type de bien. Cette méthode associe une vision générale du portefeuille de mandats, à un raisonnement mandat par mandat, décrite par exemple par ce commercial :

‘"-Vous parliez de qualité : comment est-ce que vous classez vos biens, dans quel ordre vous les présentez ? ’ ‘- comment on va les approcher, les classer nous…C'est un petit peu un tableau de chasse. On se dit: voilà, il y a 40 affaires en portefeuille. Ce mois-ci on se dit, tiens, c'est parmi ces 15 là que ça va tirer. D'accord ? C'est là dedans que ça va se vendre. Les autres, ce n'est pas encore assez mûr, ce sera pour le mois prochain; donc on arrive à cibler nos actions sur certains produits à un moment donné. On sait que ce sont eux qui vont partir parce qu'ils sont au prix du marché, parce que les propriétaires ont fait une proposition, parce qu'ils sont vendeurs, parce qu'il y a un contexte, etc. Et là, on a une démarche différente selon les biens, les acheteurs, on essaye d'apporter une solution sur mesure à chaque fois. Si c'est un bien courant, classique, on peut le passer dans les gratuits, si par contre c'est un bien qu'il faut valoriser, mettre en avant, on va plutôt le mettre en vitrine et en magazine avec des photos, le mettre sur Internet. Ce sont des démarches coûteuses et on ne peut les engager que quand on a une certaine sécurité d'obtenir la rémunération au bout de l'effort. (Agence 19)’

Malgré l'appartenance de son agence à un réseau, les choix de promotion de ce négociateur n'apparaissent ni cumulatifs ni standardisés. L'ancienneté de l'agence et l'expérience de ses membres ont permis d'éprouver la pertinence de chacun des modes d'exposition du bien, en fonction du type de bien mais aussi, et surtout, de l'état d'avancement de la relation commerciale. On retrouve donc l'idée selon laquelle la promotion du bien objective la relation avec les clients. Par ailleurs, et sans remettre en cause la justesse du jugement de cet agent et de ses confrères sur la probabilité de vendre tel ou tel bien, on ne peut s'empêcher de penser qu'il a une dimension performative. Cette remarque vaut également, et même plus, pour ce directeur d'agence :

‘"Parmi les services qu'on va vendre à notre propriétaire vendeur, il y a justement toute cette réflexion commerciale, marketing qu'on va utiliser. C'est pas la peine de faire de la publicité dans le journal, de pourrir, de galvauder tous les supports pour avoir x dizaines d'appels, pour perdre notre temps. Pour ce type de produit on a 80% de chances que l'acquéreur ait tel type de profil. Ben, cet acquéreur là en principe on le trouve dans tel type de quartier, dans tel type d'immeuble, il a plutôt ses enfants en primaire, dans le secondaire, etc. On va aller à la sortie des écoles ou je sais pas quoi. On va vraiment faire des actions qui monopolisent un peu plus les méninges et puis qui nous demandent davantage de temps, mais qui à la fin nous permettent de pas se promener quoi, de pas faire perdre de temps à nos clients." (Agence 8)’

Il s'agit du directeur que nous avons cité plus haut pour sa pratique "qualitative" d'acquisition des mandats : il y a donc une cohérence entre la composition du portefeuille de mandats et une telle pré-construction de l'acte d'achat. Il est cependant exceptionnel que la promotion anticipe à ce point les caractéristiques probables de l'acheteur. Elle se focalise habituellement plutôt sur la qualité de la présentation du bien. Ces deux agences mettent en œuvre une promotion que l'on a qualifiée d'artisanale (ce qui pourrait paraître contradictoire avec les termes de "réflexion commerciale", ou de "marketing") parce qu'elle mobilise une connaissance locale, située, nourrie empiriquement : les deux agences sont implantées depuis les années quatre-vingt et exercent une part importante de leur activité dans les quartiers environnants. La plupart du temps toutefois, les agents se montrent avant tout soucieux de la visibilité de leur promotion qui est également un argument de vente auprès du vendeur.

Il n'y a pourtant pas de relation simple entre l'audience des sources de valorisation et l'extension du public d'acheteurs potentiels. Cette remarque vaut tout particulièrement pour le recrutement géographique des acquéreurs. De façon assez paradoxale en effet, les agences de l'échantillon qui n'utilisent qu'Internet ont surtout une clientèle locale (quartier et agglomération) alors que celles qui utilisent le plus les médias, papier et en ligne, n'élargissent leur bassin de recrutement qu'à l'échelle de la région, pas aux clientèles nationales (cf. infra pour la description de cette variable). De ce point de vue, on peut penser que la nature des supports ne change pas la clientèle potentielle, même si elle peut jouer sur le choix de l'intermédiaire qui sera retenu. L'influence d'Internet sur le comportement de recherche d'un logement a fait l'objet d'une étude aux Etats-Unis, sous l'égide de la NAR (National Association of Realtors) qui cherchait notamment à savoir si la recherche sur Internet pouvait se substituer au recours à l'intermédiaire. D'après cette association, au début des années 2000, les deux tiers des "Realtors" utilisaient la toile, contre seulement 23% des clients, ce qui parait assez faible. Sur la base d'un sondage en ligne ayant recueilli 1700 réponses (sur 20 000 personnes sollicitées), les responsables de l'enquête 388 défendent plutôt la thèse de la complémentarité : les acquéreurs ayant effectué des recherches ont ensuite été plus nombreux à contacter un agent. Les intermédiaires et les sites d'annonces ont tous les deux comme fonction d'augmenter le nombre de visites et de raccourcir le délai entre chaque visite (surtout pour les acquéreurs issus d'autres agglomérations). La recherche en ligne permettrait une présélection des biens à visiter, améliorant l'efficacité des visites menées par les agents et déplaçant leur rôle vers la finalisation des affaires. Nous ne saurions reprendre tels quels ces résultats, non parce qu'ils vont trop unilatéralement dans le sens du commanditaire, mais parce que la situation française se présente différemment (les mandats simples limitent la quantité d'informations en ligne, la proportion d'acquéreurs extérieurs à l'agglomération diffère, etc.) En revanche, l'argument de la complémentarité ne peut être totalement rejeté. Le rôle d'Internet sur les prix et les délais de vente a également été testé 389 , de la même façon que l'effet du "charm pricing" (cf. supra) l'avait été : en comparant des biens similaires, ne différant que par le mode de mise en vente (usage d'Internet ou non). L'hypothèse de départ, reprenant l'idée d'une présélection des biens, est que l'amélioration de la qualité de l'appariement augmentera le prix que les acquéreurs sont prêts à payer. Utilisant les données du MLS de Dallas (plus de 48 000 transactions) les auteurs parviennent à la conclusion que l'effet d'Internet est significatif, augmentant le prix de 2900 dollars (2% en moyenne) et le délai de six jours (11% en moyenne), ce qui est évidemment impossible à interpréter hors du contexte de Dallas. L'intérêt de ces études dans notre perspective réside surtout dans la confirmation de l'idée selon laquelle le développement de nouveaux supports de promotion ne se traduira probablement pas unilatéralement par des phénomènes de substitution et de disparition des intermédiaires classiques, mais que les effets seront plus complexes. Par ailleurs, ces études invitent à passer de l'observation des moyens de toucher les acquéreurs à l'étude des clientèles elles-mêmes.

Notes
388.

Cf. Leonard Zumpano, Ken Johnson, Randy Anderson, "Internet Use and Real Estate Brokerage Market Intermediation" Journal of Housing Economics, vol. 12, 2003, pp. 134-150.

389.

James Ford, Ronald Rutherford, Abdullah Yavas, "The effects of the Internet on the marketing residential real estate" Journal of Housing Economics, vol. 14, 2005, pp. 92-108.