6.1 La place de la relation de service

Prestation de service et relation de service

Contenus

Bien qu'ils mentionnent souvent le service et le conseil comme des éléments essentiels de leur travail, les agents immobiliers se définissent rarement comme des prestataires (termes qu'ils vont pourtant appliquer à d'autres, ou que l'on entend parmi les administrateurs de biens). Ils n'en ont pas moins une information à fournir. Si l'on aborde le service en termes de contenus et d'informations factuelles, on retombe rapidement sur les obligations légales de l'agent immobilier qui ont été décrites au chapitre 1. Afin de les rappeler, laissons la parole à une responsable de formation, responsable du cursus en vue du CQP (contrat de qualification professionnelle) de négociateur immobilier, dont le programme a été établi au niveau de la branche par les syndicats professionnels :

‘"C'est la loi Hoguet mais c'est tout ce qui va autour. On fait les contrats. C'est également la prise de mandat, il y a des documents. Dans le juridique il y a tout ce qui est… de nouveaux crédits sont sortis. Tenez il y a eu la loi SRU il y a quelque temps, qui n'était pas en place avant. Ça oblige par exemple les copropriétaires, dans le règlement de copropriété, de mettre en place un carnet de suivi d'entretien de l'immeuble. Maintenant il y a les problèmes d'amiante, des problèmes de plomb, il faut connaître la taxe d'habitation, leur taxe foncières, les charges, le chauffage, etc. un ensemble de documents qui font que l'on peut évoquer avec nos interlocuteurs le coût de la vie dans une maison comme celle-ci ou dans un appartement. Il faut des éléments très pragmatiques, il leur faut l'exactitude de la superficie du terrain par exemple. Il ne faut pas raconter n'importe quoi, il faut avoir des éléments cadastraux, des attestations notariées, si elles sont exactes ce qui n'est pas toujours le cas. Il faut avoir des connaissances sur les problèmes de charpente pour savoir s'il n'y a pas de problèmes de termites ou d'autres bestiaux qui pourraient être dans les poutres. Ça va être aussi bien comprendre une fissure dans un mur. Ou être capable de dire, éventuellement, si c'est dû au propriétaire, dire qui… Si il s'est énervé ou je sais pas, je dis n'importe quoi (sourire) ou si c'est parce que l'immeuble date de très, très longtemps et avant les écoulements d'eau se faisaient de telle ou telle façon donc avec le temps cette lucarne… " ’

L'intérêt de cette énumération, outre sa fonction de rappel, ne réside pas tant dans l'exhaustivité que dans sa progression : en partant des obligations et des dispositifs les plus généraux (lois Hoguet et SRU), sa description progresse vers les manières d'appréhender un bien, en introduisant la question de son insertion dans un voisinage (carnet de copropriété) et en l'inscrivant dans une temporalité plus longue que celle de la transaction ("le coût de la vie dans un appartement"), avant d'évoquer les spécificités sous l'angle du diagnostic ("comprendre" une fissure). Du fait de ces particularités propres à l'état et à l'histoire de chaque logement, la quantité d'informations à apporter peut être très variable, d'autant plus que ces éléments peuvent être référés à la situation particulière des clients.

Par conséquent, le questionnaire ne peut saisir cette question que d'assez loin. Il était demandé aux agents d'indiquer dans quels domaines ils estimaient apporter une réelle information, ce qui est à la fois un signe des domaines qu'ils privilégient, et de l'idée qu'ils se font des renseignements importants pour leurs clients. Les aspects juridiques sont les plus cités (69,2%), devant les aspects financiers et la fiscalité (46,2%) les aspects techniques (45,9%), et les travaux et aménagements (36%), ce qui suggère un écart assez important entre l'information légale minimale (majoritairement apportée) et la capacité à l'enrichir. Notons toutefois que les limites de ce service sont parfois difficiles à définir, notamment parce qu'il peut être rendu par plusieurs acteurs : les contraintes légales portent sur les pièces devant accompagner un compromis ou un acte de vente, mais ne précisent pas qui doit les réunir. Les négociateurs peuvent ainsi s'en prendre aux notaires :

‘"-Vous diriez que la relation s'arrête à la promesse de vente ?’ ‘-Non parce qu'après on peut les assister, on les assiste jusqu'à la vente, souvent parce que les notaires font pas leur boulot jusqu'à la vente, donc on s'en occupe. Et puis après on peut leur proposer un déménageur. Et puis répondre à leurs questions.’ ‘-Et une fois que la vente est faite ?’ ‘- Alors après les gens ils se débrouillent. Notre métier c'est de vendre, c'est quand même de rentrer des affaires dans notre agence et de la faire tourner. On peut pas passer notre temps à faire autre chose, notre métier c'est d'abord la vente. " (Agence 10)’

Toutes les agences ne réalisent pas ce suivi. Les notaires de leur côté peuvent se plaindre des lacunes dans les informations transmises par les agents immobiliers, en particulier lorsque le compromis a été signé à l'agence (et donc sous seing privé). L'un des notaires interrogé le résumera ainsi : "Je ne comprends pas pourquoi les agents immobiliers continuent à signer des compromis. Pour eux c'est une tâche qui n'est pas rémunérée, qui leur prend du temps, et ils engagent leur responsabilité alors qu'une fois sur deux ils n'ont pas la compétence juridique 409 ". En revanche, lorsque les dossiers sont complets, et transmis rapidement, les notaires voient leur travail grandement facilité. C'est à la suite de ce genre de rapports que peuvent se constituer des relations telles que celles décrites au chapitre précédent (apports d'affaires, etc.) Notons que les enjeux sont du même type avec les banquiers : un agent immobilier peut notamment être pressé de savoir si le prêt va être accordé ou non (malgré les clauses suspensives qui permettent d'avancer la procédure). La régularité des relations est ici ce qui permet progressivement l'instauration de la confiance, comme l'écrit Lucien Karpik à propos de la relation de partenariat 410 : " elle se moule dans une confiance qui prend la forme concrète d'intentions, d'attentes et de pratiques réciproques fortement prévisibles". 

Les domaines dans lesquels les agences disent manquer d'information sont également un indicateur des points sur lesquels elles rencontrent des difficultés, mais également de ceux qu'elles jugent utile de développer : 36% disent n'avoir aucun besoin, mais parmi celles-ci, certaines affirment tout de même avoir besoin d'information sur le marché 411 . D'une manière générale, les agences souhaitent surtout disposer de plus de données sur l'activité du marché (71%), ce taux montant à 85% pour celles qui disent apporter une information technique à leur clients : une fraction d'agents (issus du bâtiment notamment) ressentent ainsi le besoin de données fiables sur le marché de façon à compléter une approche techniciste de la transaction. Les autres aspects apparaissent nettement moins préoccupants pour les enquêtés : 24% sur les aspects techniques, 17% sur les aspects juridiques et 12% sur l'évaluation des biens. Les agences de l'échantillon sont fréquemment membres d'un syndicat professionnel ou d'un réseau commercial dont l'utilité est précisément de pallier à ce genre de difficultés. Par ailleurs, les chiffres sur le marché sont effectivement lacunaires (cf. chapitre 7) ce qui explique partiellement ces écarts. Il n'en reste pas moins qu'ils sont importants et peuvent être vus comme un relatif repli sur les fonctions d'intermédiation au détriment de la dimension servicielle. Dans le questionnaire lyonnais, où les agences indépendantes et non affiliées à un syndicat sont mieux représentées, les chiffres ne sont pourtant pas très différents, sauf pour les aspects techniques pour lesquels un tiers des agences dit manquer d'information. Il n'y a pas de lien entre les informations qu'elles disent apporter aux clients et les domaines où elles disent en manquer. Les domaines dans lesquels les agences disent fournir de l'information ne dépendent pas tellement du type de l'agence, mais plutôt des caractéristiques de la clientèle. Les différences ne concernent pas les aspects techniques mais le domaine juridique et celui de la fiscalité, typique des clientèles aisées (tableau 31).

Tableau 31 : informations fournies selon le type de clientèle
Domaines dans lesquels l'agence estime apporter une information à ses clients
Juridique Juridique et fiscalité Fiscalité Total
Clientèles aisées (type 1 et 2) 31% 52% 17% 100%
N=106
Clientèles moyennes et modestes (type3 et 4) 47% 46% 7% 100%
N=162
Total 41% 48% 11% 100%
N=268

L'écart renvoie au niveau social des clientèles mais également au type de projet. Ainsi l'information juridique est moins souvent associée aux investisseurs (60% contre 69%) alors que l'on aurait pu penser qu'ils se situaient dans un environnement réglementaire plus complexe : pour eux comme pour les acquéreurs qui ont déjà été propriétaires, c'est plutôt l'effet d'apprentissage qui est révélé par le questionnaire (les particuliers ayant déjà réalisé une transaction ont moins besoin de s'en voir enseigner les règles).

Il faut mentionner également les mises en contact vers d'autres professionnels, déjà évoquées au chapitre 2. 44% des agences disent orienter régulièrement les clients vers d'autres professionnels et donc se reconnaissent un rôle de prescripteur. 33% orientent vers des banques et 25% vers des professionnels du bâtiment (11% orientent vers les deux). C'est notamment le cas des anciennes agences de type B (53%) dont on a vu qu'ils faisaient partie des plus insérés dans le milieu de l'immobilier. Les adhérents de réseau sont également nombreux à avoir ce rôle de prescription (54%), ce qui renvoie moins à l'inscription dans un milieu local qu'aux connexions proposées par les franchiseurs avec des prestataires de service, et tout particulièrement avec des banques. Il faut nuancer car les franchisés peuvent constituer leur propre réseau professionnel au fur et à mesure de leur activité, surtout pour des activités comme le diagnostic technique où les entreprises sont locales et de petite taille. Les agences qui apportent un soutien et une information pour les projets de travaux et d'aménagements sont aussi les plus nombreuses à conseiller des entreprises du bâtiment : cela représente une agence sur cinq dans l'échantillon. Dans des cas exceptionnels comme l'agence spécialisée dans les biens haut de gamme, le service peut être plus diversifié :

‘"-Vous avez parlé de "service total et détaillé" ?’ ‘-C'est ce que je vous disais. On est en train de monter, j'avais déjà monté ça avant, un service qui permettrait, avec une petite carte groupe MR, d'avoir des services, des crédits très intéressants avec un groupe bancaire international, d'avoir un déménageur qui aurait des tarifs exceptionnels, d'avoir un antiquaire qui pourrait avoir des prix intéressants sur des tas de choses, d'avoir un spécialiste de tableaux puisqu'on touche quand même des gens qui ont de beaux intérieurs et des réfections de tableaux, de dorures, etc. Donc il y a un certain nombre de services qui pourraient être mis à leur disposition pour pouvoir apporter cette complémentarité. Il y a un marchand de biens qui peut arriver à côté de chez vous, il est fréquent que quand il y a des gros billards anciens qui ont été un petit peu abîmés, on passe régulièrement dans notre société pour les remettre en état ou carrément les vendre. Donc il y a une espèce d'activité, pas parallèle, mais complémentaire à notre action qui peut effectivement intéresser nos interlocuteurs. ’ ‘-Ça fonctionne aussi pour de la rénovation, de l'équipement ?’ ‘- Ben après c'est les aménageurs. On ne va pas rentrer dans leur boulot aux aménageurs parce que l'aménagement c'est trois architectes, un décorateur, qui font ça comme ils le veulent. Donc on ne va pas non plus s'impliquer à leur place. Ils ont leur budget, leur façon de voir leur intérieur, de modifier leur intérieur, donc c'est pas… On a déjà suffisamment de complexité dans ces dossiers". (Agence 3)’

Lorsque le rôle de prescripteur prend de l'ampleur et que le réseau d'entreprises se diversifie, il reste lié aux spécificités de l'agence. Même s'il s'est constitué de façon informelle et progressivement, il peut évoluer vers une forme plus instituée. On rejoint ici le réseau professionnel tel qu'il a été étudié au chapitre précédent, mais il faut préciser que l'exemple donné ici correspond au cas très particulier d'une agence spécialisée dans un type de biens.

Notes
409.

On l'a vu au chapitre 1, le compromis est le plus ferme des avant contrats. Faire signer un compromis par un notaire introduit un délai et un coût supplémentaire.

410.

Lucien Karpik, "Dispositifs de confiance et engagements crédibles", op. cit.

411.

Il s'agit dans le questionnaire d'une question à réponses multiples.